Mardi 8 juillet 2014
Vendredi 4 juillet devait se jouer à Dijon la troisième représentation de
Cyrano de Bergerac de Dominique Pitoiset, avec
Philippe Torreton dans le rôle-titre. Devait, parce que la compagnie a décidé de se mettre en grève en solidarité avec les
intermittents du spectacle,
le même jour que l’ouverture annulée du festival d’Avignon. Dans les couloirs du Grand Théâtre, l’homme de scène exprime toute son exaspération.
Puisqu’en Avignon les théâtres ont gardé portes closes, il n’était pas question que le Cyrano se joue comme si de rien n’était. “ La grève n’est pas toujours la meilleure réponse, mais c’est important sur les dates symboliques ”, justifie Philippe Torreton. “ Nous serons tout de même là ce soir si des gens n’ont pas été informés ou si d’autres veulent venir discuter avec nous ”.
Pendant toute la tournée, qui s’arrêtait trois jours à Dijon, la troupe de Cyrano prend un moment en fin de spectacle pour tenir le public informé du mouvement des intermittents du spectacle. Ils défendent leur régime d’indemnisation que le gouvernement et le ministre du Travail
François Rebsamen veulent réformé. “
Ce régime a été créé en 1936 pour le cinéma et a été étendu au spectacle vivant ”, rappelle Philippe Torreton. “ De tout temps, l’homme a privilégié la sécurité de l’emploi. Ce qui est normal d’ailleurs. On avait du mal à trouver des techniciens pour un tournage de deux mois. Le régime des intermittents leur permet d’avoir un statut social, un revenu pour vivre de leur métier et continuer à se perfectionner. ”
Un artiste qui ne travaille pas est mortLeur régime spécial permet aux intermittents d’avoir un revenu assuré pendant des périodes sans événement et de continuer à travailler leur art pendant ce temps. “ Un artiste qui travaille à McDo pour se nourrir, pendant ce temps ne répète pas, ne lit pas, ne se perfectionne pas ”, regrette Philippe Torreton. Ce régime a permis à l’excellence de la culture française de se construire : “ Personne ne sait où va être le talent, ni Gattaz [Pierre, le président du Medef] ni François Rebsamen. Pour qu’il puisse éclore, il faut lui laisser du temps. ”
Le comédien et ancien conseiller PS à la mairie du Paris s’en prend violemment aux membres du gouvernement. “ On ne peut plus être ministre du Travail comme Rebsamen quand on se trahit à ce point. Quant à
Aurélie Filipetti, elle n’est pas audible. Qu’on s’en prenne comme cela à la culture, c’est intolérable. Il aurait fallu qu’elle s’indigne, qu’elle mette son poste dans la balance ”, lance Philippe Torreton. Pourtant, le gouvernement n’a pas l’air prêt à céder face à la fronde des intermittents. “ Si c’était la droite qui essayait de faire passer cette réforme, les rues seraient noires de monde ”, croit l’homme de scène. Il n’y a que la gauche qui puisse faire passer des mesures comme celle-là. “ Pour la première fois, la gauche se met à dos tout le monde de la culture. Je pense qu’ils vont le payer très cher ”, prévient le comédien.
La culture pour lutter contre la criseAu-delà de cela, c’est une vraie erreur politique que dénonce Philippe Torreton. “ En période de crise, quand on demande aux Français de faire des efforts, il ne faut surtout pas réduire le budget de la culture. On voit bien les scores du Front national : il faut envoyer du spectacle ! ” En 2003, il y avait 1500 intermittents en Bourgogne. Aujourd’hui, il ne sont plus que 900. Et combien demain ? Secteur essentiel pour la société, la culture ne doit pas être assimilé aux autres. “ Demande les mêmes efforts à la culture parce que tout le monde doit faire des économies, c’est d’un populisme noir ”.
Cette réforme et les déclarations contres les intermittents du spectacle contribuent à créer un mauvais climat et à les pointer du doigt comme des travailleurs coûteux voire feignants. “ Quand Gattaz oppose les bons travailleurs et les mauvais travailleurs, c’est du racisme social. Il dit que les intermittents profitent les allocations auxquelles les autres cotisent en travaillant. Remplacez intermittents par Arabes et vous verrez… ”
Nicolas Boeuf