Lundi 10 novembre 2014
De l’Elysée à France-Inter, la caste dans tous ses états
Les membres de la caste se cabrent et serrent les rangs. Après les aveux dimanche soir par Jean-Pierre Jouyet de son mensonge dans l’affaire Bygmalion (lire ci-dessus), c’est l’éditorialiste politique de France-Inter Thomas Legrand qui a volé lundi matin au secours du secrétaire général de l’Elysée. Le médiacrate s’est évertué à dédouaner Jouyet et à banaliser les pratiques et connivences qui lient les tenants du système politico-médiatique. Pour que la caste dans son ensemble soit ainsi de sortie, c’est que le boulet qui frappe l’Elysée menace plus qu’un palais de s’effondrer.
Regardons dans le détail ce qu’a dit Thomas Legrand car sa pensée chemine l’air de ne pas y toucher. D’abord, il y a le ton sentencieux, faussement humoristique, qui vise à laisser entendre qu’une telle pratique est l’usage et que c’est très bien comme ça, faute de quoi ne resteraient que des calamités politiques : «
Alors si tous ceux qui démentent des propos qu’ils ont effectivement tenus doivent démissionner, il n’y aura bientôt plus dans la vie politique que Nadine Morano, qui ne semble pas connaître le Off ! ». C’est sûr que pour le coup, Morano est un épouvantail consensuel.
Puis Thomas Legrand en vient au constat : «
Au fond, quelle est la faute de JP Jouyet ? Il a démenti l’information de Gérard Davet et Fabrice Lhomme selon laquelle François Fillon lui aurait demandé que l’Elysée pousse les feux de la justice contre Nicolas Sarkozy. Il a démenti partiellement, puis s’est empêtré dans des explications contradictoires ». Avant que ne surgisse l’habituelle généralisation pour mieux banaliser la situation présente : «
Mais prenez la page 2 du Canard Enchaîné, les premières pages de tous les hebdos… demandez à tous les protagonistes qui apparaissent dans ces pages de confirmer ou infirmer ce qu’on leur fait dire… ils démentiront ».
Thomas Legrand peut alors légitimer le mensonge et exonérer Jouyet et tous les autres de leurs responsabilités : «
Ils démentiront. Et c’est bien normal, puisque ce sont soit des propos rapportés et qui n’étaient pas destinés à l’être, soit (plus pervers mais très courant aussi) des propos rapportés, qui étaient destinés à l’être mais que ceux qui les ont tenus ne peuvent pas assumer publiquement ». Thomas Legrand présente donc le mensonge public comme inévitable voire indispensable à l’information mais aussi à l’action politique. Ignorant la vertu, la caste protège les siens en confortant ses pratiques.
Pourtant, Thomas Legrand a bien senti qu’il arrivait sur une ligne de crête et qu’il lui fallait lâcher du lest : «
C’est un jeu assez malsain et, reconnaissons-le, les journalistes politiques en sont plus responsables que le personnel politique ». Il préfère donc faire endosser par sa propre profession, comme si tous étaient comme lui, les dites responsabilités de peur d’être évacué en même temps que les politiques s’ils étaient amenés à prendre la porte. Mais chassez le naturel, il revient au galop. Le pseudo journaliste ne peut manquer de re-rentrer immédiatement dans cette connivence dont il ne saurait s’extraire : «
L’inconvénient, c’est que François Fillon et Jean-Pierre Jouyet ont plutôt, dans le milieu politique, la réputation de ne pas être les plus tordus ». Avant carrément de roucouler avec l’invité politique du jour alors en plateau, Patrick Devedjian : «
Dites-le si vous voulez mais bien sûr je nierai avoir tenu ces propos même sous la torture » ;
Combien de fois a-t-on entendu cette phrase de connivence ? Il vous est certainement arrivé, Monsieur Devedjian, de devoir démentir des propos que vous avez tenus et que vous ne pouviez décemment pas assumer publiquement ou qui ont été divulgués contre votre gré ». Pour Thomas Legrand, les relations entre les politiques et les medias se doivent d’être fusionnelles. Le mensonge public en est l’un des expédients et le peuple est jugé trop stupide pour pouvoir s’en rendre compte.
Alors tel un carnassier, Thomas Legrand se défausse et s’empresse de renvoyer les conséquences de la séquence sur ceux qui sont les plus affaiblis : Fillon, Sarkozy et les miettes de la droite en lambeaux, sans oublier bien sûr d’agiter le chiffon noir du FN : «
Mensonges, consanguinité politique, trahison, voilà qui fait chauffer notre désormais fameux instrument de mesure : le CBPLFN (C’est Bon Pour Le Front National)… classique de l’analyse politique automatique ».
L’objet officiel de la manoeuvre était bien là, ramener la discussion à son point de départ, la demande de François Fillon : «
Le vrai mensonge est ailleurs : François Fillon a-t-il oui ou non demandé à l’Elysée d’accélérer les procédures contre Sarkozy ? ». Sauf que justement, cette demande est à ce stade invérifiable. Thomas Legrand parle pourtant de mensonge. Ce qui est par contre certain, c’est que le 6 novembre Jouyet a démenti la demande de Fillon, et que le 9 novembre, il a affirmé l’avoir bien entendue. Impossible de savoir quand il dit la vérité, mais par contre il est inévitable qu’il ait menti, la première fois ou la seconde. Pourtant là, le journaliste se montre moins empressé dans sa dénonciation : «
Donc, là ce n’est pas le mensonge de Jouyet qui est en cause ! ».
L’éditorial de Thomas Legrand n’a jamais d’intérêt que ce qu’il révèle du système par l’un de ses plus fidèles affidés. Mais cette fois, il était en plus cocasse de constater que Cohen et Legrand ont jugé bon de faire précéder le dit éditorial d’un son de Jean-Luc Mélenchon, enregistré pour l’émission
Là-bas si j’y suis (interdite d’antenne sur France-Inter et qui survit sur la toile contre les censeurs de France-Inter). Jean-Luc Mélenchon y explicitait le caractère absurde de la charge contre lui lors de son dernier passage dans la matinale de France-Inter. Gonflés sur leurs ergots, Cohen et Legrand concluaient par un méprisant : «
sans commentaires ». On connait désormais la suite. Mieux vaut être de la famille pour être caressé dans le sens du poil.
Allez encore un effort. Sur France-Inter aussi, il faudra tirer la chasse !
François Cocq