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 Des chômeurs français et des manifestants brésiliens (Jean-Luc Mélenchon)

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MessageSujet: Des chômeurs français et des manifestants brésiliens (Jean-Luc Mélenchon)   Des chômeurs français et des manifestants brésiliens (Jean-Luc Mélenchon) EmptyDim 30 Juin - 18:02

Quand vous découvrirez cette note, je serai en route vers Perpignan et ensuite vers Lézan, dans le Gard, où je vais conclure des fêtes populaires qu’organisent mes amis communistes. Puis je remonte à Paris et je vais en session à Strasbourg. De là je reviens pour accompagner Jérôme Kerviel aux prud’hommes, jeudi matin. Jeudi soir une émission importante pour moi à découvrir dans mon agenda. Vendredi, j’embarque pour aller conclure l’université d’été du Parti de la gauche européenne (PGE) à Porto au Portugal. On voit que la pause n’est pas pour tout de suite.

Pendant que je vais et viens mon pauvre pays continue sa descente dans le néant. Les égouts des affaires débordent, empuantissant l’atmosphère, qu’il est interdit de vouloir purifier sous peine de pilori médiatique, comme il est interdit de vouloir y passer un coup de balai. Pour le médias dédiabolisateurs et lepenisés, seule madame Le Pen a le droit de le faire ! Ses complices dans les salles de rédaction, les Barbier et autres seïdes, s’en claquent de joie les genoux. Ladite madame Le Pen annonce qu’elle va supprimer le droit du sol en France pour l’acquisition de la nationalité française. Une disposition en vigueur depuis François 1er. C’est dire qu’on deviendrait français « par le sang » comme des allemands pour le bonheur des communautaristes ethnicistes. Deux siècles d’identité républicaine effacés. Cela fait moins de buzz que ma préférence pour la classe affaire. Mais, sans désemparer, « Le Monde » publie son énième publi-reportage avec photos souriantes de la chef et de son sergent Garcia, le renégat chevènementiste Philippot. Les deux dédiabolisés annoncent des conquêtes municipales. Je note que le fait qu’elle ait osé traiter France Inter de « radio bolcho » à beaucoup ému la caste et fait du rebond ! Pensez, traiter de « bolchos » les passe-plats des fachos !
 
Mais que mon avocate, maître Raquel Garrido, soit inculpée dans le cadre de son action pour ma défense n’émeut ni la buzzosphère ni les médiacrates. Heureusement, la mouvance des organisations de défense des libertés et leurs militants est là. Une pétition circule qui réunit un arc de force incroyable en faveur de Raquel Garrido. Je vous appelle à le rejoindre.

Dans ce post je ne traite que de deux sujets, plus ou moins  décollés de l’actualité immédiate. L’un me fait résumer ce que je veux dire pour vous mettre en garde sur la nouvelle fable à propos des « emplois non pourvus » qui sert de prétexte à de nouvelles coupes dans les droits des salariés. L’autre est destiné à tous ceux qui s’intéressent aux questions de stratégie politique de gauche. Je m’arrête un instant sur la situation au Brésil où sous un gouvernement de gauche a éclaté une insurrection civique de grande ampleur.

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© Fabio Rodriguez Pozzebom / ABr

Pour Hollande, les chômeurs sont coupables

Le gouvernement ne recule devant aucun rideau de fumée pour entretenir la fable de Hollande d'inverser la courbe du chômage d'ici la fin de l'année. Tout est bon pour dégonfler la statistique. Mais personne n'est dupe. Les emplois aidés du gouvernement sont inefficaces. François Hollande avait promis 100 000 emplois d'avenir pour les jeunes cette année. A peine 33 000 ont été signés à la moitié de l'année. Quant aux contrats de génération créés en mars, l'Agence France Presse écrit pudiquement qu'ils "peinent à démarrer" et le gouvernement ne donne aucun chiffre. Tous ces bricolages ineptes buttent sur le même fait : faute d’activité, point de travail salarié, même « aidé », « d’avenir », de « génération », et autres balivernes compassionnelles.

Hollande ne pourra pas tenir sa promesse. Il le sait depuis le premier jour. Il va donc changer de pied. Voici ce qu’il dit en substance : si le chômage ne baisse pas, ce ne serait pas de sa faute, ce serait celle des chômeurs ! Il a donc repris en sourdine le vieux refrain libéral jamais démontré. C'était dans son discours d'ouverture de la Conférence sociale jeudi 20 juin. Hollande reprenait à son compte la propagande du MEDEF sur les "emplois non pourvus". Le journal Le Point titrait même que "Le Medef impose son point de vue" parlant de ce sujet comme de la "marotte" du patronat. Hollande a même repris les chiffres du MEDEF parlant de "200 000 à 300 000" emplois non pourvus par an. Il a même désigné les responsables : les chômeurs ! Voilà ce qu'il a déclaré : "Il y a à peu près de 200 000 à 300 000 recrutements qui sont entamés, puis abandonnés, parce qu’il n’y a pas de candidats suffisamment qualifiés par rapport aux emplois qui sont proposés". Ayrault a immédiatement annoncé un plan de formation pour 30 000 chômeurs prétendument incompétents pour pourvoir ces postes. Ce plan sera mis en œuvre entre septembre et décembre. 30 000 chômeurs formés pour 300 000 postes non pourvus ? Et les autres ? Mystère et boule de Nantes. Ces 30 000 chômeurs auront donc l'immense avantage de sortir des statistiques de Pôle emploi juste avant la fin de l'année où la courbe du chômage est censée s'inverser. Quant au problème de la qualification professionnelle ou de la requalification, il restera en plan, comme d’habitude, pendant que continuent, dans l’indifférence générale, les fermetures de sections dans les lycées professionnels et les abandons de contrats d’apprentissage.

La réalité des emplois « non pourvus » est bien différente de ce qu’en dit le Medef et le gouvernement. En réalité personne ne sait précisément combien de postes ne sont pas pourvus. En 2008, Nicolas Sarkozy parlait de 500 000 offres d'emplois non satisfaites. En février 2011, Sarkozy répétait ce chiffre alors que son propre ministre du Travail Xavier Bertrand parlait de 250 000 postes, soit deux fois moins. Le MEDEF parle de 300 000 emplois à pourvoir en se basant sur une enquête réalisée auprès de ses adhérents qui exclut d'office les trois fonctions publiques, l'agriculture, les particuliers employeurs, les associations et les professions libérales. Quant à Pôle emploi, il identifie 450 000 offres non-satisfaites en 2012 mais le 6 juin dernier, son directeur-général parlait de 116 000 offres d'emplois non pourvues. Le premier chiffre renvoie aux postes qui n'ont pas fait l'objet d'un recrutement alors que des candidats qualifiés avaient postulé quand le second chiffre concerne uniquement offres pour lesquels aucun candidat n'a postulé.

Il ne s’agit pas pour moi de dire que les « emplois non pourvus » n’existent pas. Mais la bonne question à leur sujet est de se demander pourquoi personne n’en veut ! Les difficultés de recrutement sont connues. LaTribune.fr relève que "Dans sa note de conjoncture du 4ème trimestre 2012, l'Apec (Association pour l'emploi des cadres), écrit que "les procédures abandonnées 3 à 6 mois après avoir été lancées représentent 10 % des recrutements au premier trimestre 2012, soit un niveau habituellement observé. Ici donc dans près de 6 cas sur 10, l’emploi non pourvu l’est du fait d’un changement de cap de l’entreprise ! Il s'agit de renoncements parce que le poste ne correspond plus à un besoin (29 %) ou pour des raisons budgétaires (29 %). Ces deux motifs sont beaucoup plus fréquemment à l'origine des abandons qu'un an auparavant (respectivement, + 7 et + 9 points). Cela veut dire que le besoin de main d’œuvre recule à mesure que l’activité ralentit. L'absence de candidature adéquate n'est à l'origine de l'abandon que dans 16 % des cas, en recul de 1 point par rapport à l'an passé." On est donc très loin de l’armée de paresseux et d’embusqués qui profitent des prestations sociales sans travailler et qui seraient des parasites, des fainéants ou des fraudeurs.

Une enquête qualitative de Pôle emploi citée par " Libération " pointe aussi la responsabilité des employeurs. Voilà qui n’est pas banal ! Ils ne savent pas s’y prendre pour embaucher. " Les échecs se concentrent dans des entreprises qui ont une faible expérience du recrutement ". Ceux-là présentent des offres " parfois déconnectées des compétences réellement nécessaires au poste à pourvoir " si bien que " ces échecs peuvent être imputables autant à la pénurie de candidats qu'à l'inexpérience des recruteurs et leur méconnaissance du marché local du travail ". Et LaTribune.fr cite aussi l’association nationale des Directeurs ressources humaines selon qui " les recruteurs sont parfois trop exigeants, ou proposent des offres d'emploi farfelues : bac + 5 avec 10 ans d'expérience payé au Smic ".

Les véritables causes des abandons de recrutements sont là : difficultés économiques des entreprises, abandon de projets ou perte de clients, emplois mal payés compte-tenu des exigences demandées en termes de qualification, de disponibilité, de mobilité, de pénibilité de la tâche. Ce n'est d'ailleurs pas une surprise de lire dans LaTribune.fr que " Les recrutements les plus difficiles portent sur les aides à domicile et les aides ménagères, où 66,6% des projets de recrutements sont jugés difficiles. (….) Puis vient, dans l'ordre, les cuisiniers (64,1% de difficulté), les infirmiers (58,3%), les employés de maison (55,6%), ceux de l'hôtellerie (50,2%), les serveurs (48,8%), les aides soignants (46,5%), les agents de sécurité et de surveillance (46,4%). " Une autre variété de difficulté d’embauche doit retenir l’attention. C’est la deuxième en nombre. Il s’agit des ingénieurs, cadres d'études et de R&D en informatique, et responsables informatiques, avec 62,3% de difficultés. Ici se combinent la rareté de la main d’œuvre et les conséquences du mauvais traitement social. Les emplois sont en effet mal payés, précarisés et souvent réduits à un travail à la tache totalement dissuasif.

François Hollande sait tout cela. Pourtant il n’a eu aucun scrupule à complètement exonérer le patronat de toute responsabilité. Il a même proposé une trouvaille incroyable : faire payer les salariés du privé par l’Etat : " S'il s'agit d'un problème de mobilité, réglons le par des incitations financières. S'il s'agit d'un problème d'écart de salaires, alors comblons-le. Ce peut être la responsabilité de l'Etat ". Vous avez bien lu, Hollande envisage de subventionner les bas salaires ! Ses déclarations poursuivent un autre but. Le patronat et les syndicats doivent renégocier la convention UNEDIC sur l'assurance-chômage d'ici la fin de l'année 2013. La Cour des Comptes a déjà avancé l'idée de rendre les allocations chômage dégressives. La Commission européenne a inscrit cette demande dans ses "recommandations" pour la France. Quand, en 2008, Nicolas Sarkozy dénonçait les soi-disant « 500 000 emplois non pourvus », il ne faisait rien d'autre que préparer les esprits à de nouvelles contraintes pour les chômeurs. Il a ensuite introduit le principe selon lequel un chômeur qui refuse " deux offres raisonnables d'emploi " peut être radié de Pôle emploi et perdre son allocation chômage. En Allemagne, les sociaux-démocrates sont allés plus loin. Ils ont obligé les chômeurs à travailler dans des emplois payés même à un euro de l'heure sous peine de perdre leurs allocations de chômage.
Hollande a rendu hommage à ces réformes " courageuses " de Gerhard Schröder le 23 mai dernier. On comprend dès lors qu’avec le soudain intérêt pour les emplois non pourvus ne se trouvent en réalité qu’un gisement de nouvelles coupes dans les défenses sociales.
Les solfériniens vantent " l'accalmie " et même la " stabilisation " mais les chiffres disent l'inverse. Le chômage continue d'augmenter. Les solfériniens insistent sur la hausse de 100 chômeurs de plus en mai. « Seulement 100 », claironnent-ils. Au passage est passé sous silence l'augmentation de 1 500 chômeurs de catégorie A en un mois si l'on compte aussi l’outre-mer. Surtout, ils oublient de préciser qu'une hausse reste une hausse, aussi modeste soit-elle. Et qu'en l'occurrence, la hausse de mai 2013, aussi faible soit-elle, porte le nombre de chômeurs à un nouveau record historique dans notre pays ! Il y a désormais officiellement 3,526 millions de chômeurs sans aucune activité en France. Là où les piteux réjouis de la rue de Solférino et de l’Elysée réunis se rengorgent d’une « accalmie », la vérité est que le pays vient de battre un nouveau record historique du chômage.

Cette situation est consternante. Tout le monde sait que cette prétendue accalmie ne durera pas. D'ailleurs, pour les observateurs, la faible hausse de mai est une " surprise ". Et pour cause ! Chacun sait que la politique d'austérité du gouvernement va faire encore augmenter brutalement le chômage. La Commission européenne, elle aussi, l’intègre dans ses prévisions. Et selon l'Insee, le taux de chômage devrait passer de 10,7% à 11,1% d'ici à la fin de l'année. Surtout, la situation des chômeurs se dégrade terriblement. Toutes catégories confondues, il y a en France plus de 5 millions d'inscrits à Pôle Emploi. En un an, le nombre de chômeurs sans aucune activité augmente plus vite que le nombre de chômeurs qui travaillent quelques heures par mois. Le chômage des plus de 50 ans continue d'augmenter de 0,5% en métropole en mai. Le nombre de chômeurs de longue durée, au chômage depuis deux ans et plus, augmente de 1,1% en mai. Le nombre de chômeurs de très longue durée, au chômage depuis trois ans ou plus augmente dans les mêmes proportions. Si l’âge de départ à la retraite ou si la durée de cotisation augmentent, le compteur va exploser. En effet le taux de chômage après 55 ans est déjà hors norme. Tous ceux qui ne partiront pas à la retraite vont renforcer les effectifs des chômeurs de longue durée et bien vite des chômeurs sans droit.

Là encore, le tableau s’assombrit. Aujourd'hui, 40% des inscrits à Pôle emploi sont au chômage depuis plus de deux ans. C'est-à-dire au-delà de la durée d'indemnisation du chômage. C'est-à-dire qu'ils sont en fin de droits et survivent avec les allocations ou les minimas sociaux. Les chiffres sont têtus. Et ils sont violents. Parmi les chômeurs sortant des statistiques, à peine 20% sortent après avoir retrouvé un emploi. L'immense majorité sort des statistiques pour " défaut d'actualisation de leur déclaration de situation personnelle ". Combien de découragés parmi ceux-là ? Chômeur indemnisé ou pauvre aidé est une activité à plein temps, avec ses frais de transport et d’abonnement, sa disponibilité imposée, sa capacité à répondre à des questionnaires, des coups de téléphone et des formulaires. Combien ont déjà craqué et tout envoyer paître ?

Le Brésil en question

Au Brésil aussi. Un puissant mouvement populaire et jeune déferle dans les rues. Je n’aurais pas la prétention de dire, depuis le bureau où je me trouve dans Paris, que je vais percer à jour ce qui se passe au Brésil à cette heure et y trouver la bonne réponse politique. Mais ma pratique du continent et mon travail sur les événements qui y ont lieu depuis quinze ans me permettent sans impudence de pouvoir proposer quelques éléments de réflexion. Même vu de très loin, le contenu progressiste du mouvement saute aux yeux puisqu’il demande davantage de services publics, proteste contre la corruption et dénonce le jeu des médias. Ces demandes forment le triptyque de base des premiers pas de toutes les révolutions citoyennes dans le monde. Mais au Brésil, ce mouvement se déclenche sous un gouvernement de gauche, celui de Dilma Roussef. Ce gouvernement, à la suite de celui de Lula, est partie prenante de la vague des révolutions démocratiques qui ont traversé le continent. Son bilan dans la lutte contre la pauvreté est une réussite éclatante. Dans la période récente, Dilma Roussef a fait preuve de courage et de détermination dans les ripostes qu’il fallait apporter aux manœuvres de l’empire nord-américain pour déstabiliser les pays amis dans la zone. Elle a fait preuve de beaucoup de lucidité sur les limites de l’Europe actuelle en général en dépit des bourdonnements eurobéats de l’aile social-démocrate de son parti. Puis, en pleine tourmente, sa proposition pour répondre positivement au mouvement en cours était selon moi une véritable novation dans l’art de la gestion des situations insurrectionnelles. Elle était, selon moi, parfaitement adaptée à ce qui est nécessaire dans le moment. Je ne le dis pas en pensant à l’intérêt de son parti ou même de sa présidence. Je le dis du point de vue de son pays et du futur révolutionnaire du processus dont les gouvernements du PT ont ouverts la voie en 2002. En effet elle proposait de convoquer une Assemblée Constituante. Quel meilleur moyen pour refonder la société politique et repenser ses valeurs et objectifs tout en donnant au peuple le moyen de se construire politiquement ? Cette proposition s’est engloutie dans les protestations des têtes d’œufs constitutionnalistes brésiliennes d’une part et les mauvais coups des tireurs dans le dos de son camp d’autre part. Il n’y aura pas de Constituante. C’est la très mauvaise nouvelle de la séquence ! Je vais m’expliquer.
 
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© Jose Cruz / ABr

Mais d’abord admettons-le : le mouvement qui se déclenche sous des mots d’ordre hostiles au gouvernement de Dilma Roussef met au défi notre réflexion. Notre devoir intellectuel est de l’analyser avec sérieux. Au bout du compte il s’agit d’en comprendre les ressorts pour en tirer des leçons pour nous-mêmes et la conduite de notre stratégie. Dans l’émergence de ce processus quasi insurrectionnel on sait que de nombreux paramètres se conjuguent et qu’il est vain de chercher une cause unique. Parmi ces causes on en trouvera de nombreuses qui sont lourdement imputables au gouvernement, au système du Parti des Travailleurs, à la politique productiviste et extractiviste suivie dans de nombreux secteurs décisifs. Mais pour réfléchir utilement je crois que nous devons nous poser des questions aussi nouvelles que la situation. Ici je ne veux rien résumer dans les termes habituels : « ils » ont fait leur temps, « ils » ont été insuffisants, passons à autre chose. La bonne question à se poser selon moi est comment le PT, s’il est encore temps, peut-il rebondir et trouver dans le mouvement actuel un élément positif pour approfondir ce qu’il a commencé avec Lula. Ce n’est pas un sujet réservé aux Brésiliens. Mon intuition est que nous devons apprendre à penser notre action gouvernementale différemment, non seulement par notre programme mais par notre gestion de la durée. Je me situe donc ici comme une personne qui se sent assez proche du gouvernement brésilien pour ne pas vouloir sa fin honteuse sous les coups d’un mouvement qui nous ressemble. Je choisis cet angle pour m’éviter d’adopter deux lignes de critiques de gauche qui, selon moi, mènent à l’impasse.

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© Tomas Silva / ABr

La première voie sans issue, selon moi, est de faire le catalogue des critiques petites et grandes de tout ce qui n’a pas été fait, mal fait ou pas assez fait. Bref je m’interdis la critique de type « aile gauche » qui aiguillonne en regrettant qu’il n’en ait pas été fait davantage. Elle est en effet en dessous de la réalité de ce qui est en train de se produire. Pour être très direct : si Dilma Roussef annonçait qu’elle met en chantier demain toutes les écoles demandées je doute que cela suffise. Le mouvement est parvenu au point où ses revendications lui paraissent inscrites dans un projet beaucoup plus large que les revendications ponctuelles qui l’expriment. D’où vient cette dynamique ? J’y vois des raisons d’effets quasi mécaniques qui sont à l’œuvre dans la société. Je vais y venir dans un instant. L’autre impasse est celle qui miserait sur une voie révolutionnaire traditionnelle du 19ème et du 20ème siècle. Cela consisterait à balayer dans un même mouvement non seulement les acquis des gouvernements du PT, considérés comme superficiels et incertains, mais aussi la méthode démocratique de conquête et d’exercice du pouvoir. Ce chemin-là me parait voué à un très cruel et très coûteux échec. Les masses populaires nouvellement entrées dans la classe moyenne et celles sorties de la pauvreté ne sont pas prêtes à négliger leurs nouveaux acquis. Au contraire c’est pour les protéger et les étendre que le mouvement est engagé. Cette circonstance s’ajoute à ce que l’histoire nous apprend. La conscience d’un mouvement ne s’introduit pas de l’extérieur. Elle résulte de la dynamique propre au mouvement et au déroulement des étapes qu’il parcourt pour accomplir ses objectifs. Comprendre ce ressort intime est notre ordre du jour brésilien.

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© Fabio Rodriguez Pozzebom / ABr

Les phénomènes que nous constatons naissent et résultent de l’état de la société que dirigent nos amis. C’est-à-dire d’une société telle qu’elle a été reformatée par leur action. La caractéristique de base de ce bilan, c’est essentiellement la sortie de la pauvreté d’une très large majorité de la population, l’élévation de son niveau d’éducation et de santé. La société qui s’ébroue sous nos yeux est celle qu’ont rendu possible les conquêtes sociales des gouvernements du PT. Dans ce contexte, le premier fait à enregistrer, selon moi, serait le suivant : ces mouvements ne mettent pas en cause la réussite de ce qui s’est fait en général. Au contraire ils en attestent. Moins pauvre, mieux éduquée, plus sûre d’elle, la jeune génération entre dans un processus légitime de volonté de contrôle des affaires publiques. Elle en ressent la nécessité. Elle identifie une insupportable perte de légitimité des autorités qui ont en charge le bon fonctionnement de la société. A tort ou à raison ? Si la cause du mouvement est juste, la juste ligne est de prendre en charge le programme mis à l’ordre du jour par le mouvement populaire. Ce mouvement ne s’affrontera au camp des parti progressistes que si ceux-ci s’y opposent ou lui tournent le dos parce qu’ils ne le comprennent pas où se méprennent sur la direction qu’il prend.

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© Wilson Dias / ABr

Je sais que c’est un paradoxe d’évoquer la façon de tirer parti positivement d’un mouvement qui se construit dans son opposition à un gouvernement de notre mouvance. Mon point de vue ne se comprend que dans le cadre d’une analyse qui part de la théorie de la révolution citoyenne. Celle-ci ne décrit pas la forme d’un grand soir, ses prémices et son apothéose éternelle. Elle décrit un processus permanent qui se nourrit de ses propres succès et de ses échecs et rebondit sans cesse en inscrivant de nouvelles questions a régler à mesure que s’étend le champ de la conscience sociale et politique des citoyens. L’objet de cette maturation n’est pas de savoir qui, parmi les partis politiques en présence, doit être soutenu, ni de produire un effet de balancier électoral sous la forme des alternances politiciennes. Son objet est l’exercice de la souveraineté populaire. Les gens qui se mettent en mouvement veulent décider. Une autre façon d’exprimer la même chose est dire qu’il n’est plus question de laisser décider ceux qui le font actuellement. Ceux-la sont éliminés non pour des raisons « politiques » ou idéologiques, mais parce qu’ils sont ressentis comme incapables de régler les problèmes dont ils ont la charge devant la société. Ce sont les deux faces de la même pièce. La formule « qu’ils s’en aillent tous » clamée en Argentine ou bien les « dégage ! » répétés en Tunisie et en Egypte ne voulaient rien dire d’autres. J’insiste sur l’idée que la crise d’autorité se traduit comme une crise de légitimité. Dans ces conditions la révolution citoyenne n’est pas une idéologie qui serait apportée par un parti de l’extérieur mais un produit quasi mécanique de l’évolution de la société, de son développement éducatif. Naturellement, le paramètre décisif est la part de la population jeune dans la population totale. Tout simplement parce que la mise en mouvement de la société dépend de sa fraction la moins intégrée dans les routines du quotidien et de sa reproduction. L’autre paramètre de cette importance est celui de la part de la population urbanisée. Les révolutions citoyennes ont lieu dans les villes parce que les populations y sont dans un rapport d’interdépendance et de socialisation qui forme un tissu social hautement conducteur et réactif. D’où le fait que souvent les formes traditionnelles d’action ouvrière n’y sont pas représentées. De là vient parfois une forme de perplexité des nôtres devant de tels mouvements. L’erreur est aussi de croire que les salariés n’assument leur identité sociale que dans le cadre de leur poste de travail. Et l’ensemble des relations sociales auxquelles les implique la vie urbaine ne participerait pas autant, sinon plus, de cette identité sociale ? Je trouve d’ailleurs éclairant sur ce point que, dans les mouvements actuels au Brésil, ce soit l’augmentation du prix des tickets de bus qui ait été le déclencheur de l’action. N’est ce pas le symbole même de la revendication urbaine ? N’est-ce pas le révélateur d’une condition sociale de jeune classe moyenne sans véhicule personnel ? Comment oublier que c’est ce qui provoqua aussi le début du processus qui conduisit à la victoire de Chavez ? A cet instant, pour aller mon chemin sans y perdre mon lecteur, je laisse de côté d’autres aspects structurants de la formation de la conscience citoyenne que sont l’existence de denses réseaux sociaux. Il ne faudrait surtout pas croire qu’il s’agit là d’une simple commodité technique de communication ! Ils fournissent la conscience politique instantanée de leurs affiliés.

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© Tomaz Silva / ABr

Au total, le mouvement qui se manifeste sous des formes plus ou moins aigües et que nous nommons la révolution citoyenne, est d’abord le résultat d’une dynamique autonome dont les ingrédients, les principes auto-organisateurs, sont dans les données permanentes et évidentes de la vie et non dans une circonstance extrême particulière qui les provoquerait. J’ai étudié sur ce blog déjà cette forme de changement brutal de trajectoire de la société sur la base de ses propres paramètres en le nommant « bifurcation ». Si cette thèse est fondée, tous les pays de la révolution démocratique commencée il y a quinze ans sur le continent, du fait de leurs résultats sociaux positifs, vont connaître des mouvements semblables à celui qui s’observe au Brésil. Il ne faudra pas les lire comme des incidents de parcours mais comme des bifurcations à l’intérieur du processus révolutionnaire, soit pour le prolonger soit pour s’en détacher définitivement.

Pour réfléchir aux événements brésiliens, je voudrais aussi suggérer une brève liste de ce qu’il ne faut pas faire. D’abord ne pas se moquer. Il est vrai que la tentation existe, après avoir entendu tout ce qui s’est dit en Europe et en France en particulier au temps où les bons esprits opposaient de manière caricaturale le bon social démocrate Lula au hideux communisant Chavez. J’y ajouterai sans mal quelques sarcasmes pour nos propres bons camarades, anciens durs à cuire reconvertis dans le costume trois pièces diplomatique. Comment oublier leur pudeur de gazelle à l’idée d’organiser une rencontre avec le Front de Gauche, il y a peu quand Dilma Roussef passa à Paris, de peur de froisser ce bon monsieur Hollande et sa cour atlantiste. Qu’il était loin alors le temps où c’est moi qui faisait l’accueil du candidat Lula à Paris quand personne au PS ne le recevait ! Qu’il était loin le temps où le siège du Parti Communiste Français servait à accueillir les réunions du PT en France, dont le PS ne voulait pas entendre parler ! Qu’il était loin le temps où les nouveaux beaux habits d’aujourd’hui comptaient sur l’argent de nos collectes pour les guérilleros ! N’empêche. Le bon Brésil modéré en face du méchant Vénézuela était une construction de propagande. Il serait stupide de la valider après coup, quand elle permet moins que jamais de comprendre ce qui se passe. Le plaisir puéril de montrer que les mouvements populaires ont lieu chez ceux qui étaient censé être un modèle serait de courte durée. Bientôt aussi au Vénézuéla et dans les autres pays nous verrons la même chose, si ma thèse est la bonne.
Deuxième mise en garde : ne pas faire de la paranoïa. Voir dans le déclenchement du mouvement et dans sa conduite le résultat d’un complot de la droite oligarchique locale et des Etats-Unis passe à côté de l’essentiel : l’opportunité que ce mouvement présente pour notre propre action. Il est évident que l’oligarchie et les nord-américains ont les doigts dans l’affaire. Mais cela n’est pas décisif. Si l’irruption dans la rue d’une population hostile au gouvernement a pu les réjouir, il n’est pas du tout certain que la tournure des évènements depuis leur plaise. Aucun des mots d’ordre du mouvement ne correspond à leurs objectifs. On peut, bien sûr, penser que le rejet du PT de Dilma Roussef les sert. D’un point de vue politicien c’est absolument certain. Qui connaît la férocité animale de cette droite-là et de la presse brésilienne, trouvera donc mille et un exemples de ses grossières récupérations du désordre actuel. Mais nous n’avons aucune raison de penser qu’ils fassent mieux, le moment venu, que d’appeler au rétablissement de l’ordre. Ils reprocheront alors au pouvoir de ne pas savoir protéger les biens et la « liberté de la presse », à mesure que les vitrines des banques seront cassées et que les « journalistes » et les sièges de « Globo » seront pris à partie. Bref si nos camarades trouvent le chemin qui les ramène au cœur du mouvement, on peut dire que c’est là que commencera la révolution démocratique au Brésil. C’est dans cette direction et seulement celle-là que nous devons chercher nos repères. Le disant, je ne suis pas en train d’expliquer que les années Lula et Roussef n’aient été rien pour l’émergence de la démocratie au Brésil. Tout le contraire ! J’ai dit que la sortie de masse de la misère avait été la condition de base du renouveau du pays. Mais les formes révolutionnaires qu’ont vécues les autres pays ont été assez différentes pour que nous apercevions plus nettement dorénavant les points de passage incontournables qui forment des seuils de transitions révolutionnaires.

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© Tomaz Silva / ABr

La tenue d'une Assemblée Constituante est caractéristique de ces seuils à franchir. D’abord par sa convocation et la campagne électorale qui la précède. Puis par le déroulement des travaux, surtout quand ils sont conduits en osmose avec une implication populaire de tous les instants de toutes les catégories et de tous les lieux du pays concerné. Tout cela forme un processus d’éducation populaire et de politisation de la société qui la travaille en profondeur, bouscule toutes les routines et révolutionne tous ses compartiments. La méthode a été appliquée avec succès en Equateur et au Vénézuéla. Sa puissance opérationnelle a été démontrée. Sa limite aussi : la seconde réforme de la Constitution au Vénézuela a été un échec. Le référendum à son sujet fut perdu. Sur place les camarades s’accordèrent pour m’expliquer que ce deuxième temps n’avait rien a eu à voir avec le premier. Lourdement institutionnalisé et perclus de polémiques politiques opaques, ce processus n’avait aucune capacité d’entraînement populaire. Je ne mentionne cet épisode que pour mieux souligner combien la Constituante ne prend de sens qu’en étant un moment essentiel et un moyen indépassable de l’activité populaire de refondation de la nation et donc du peuple lui-même. Ce ne peut être un gadget « occupationnel » ou le moyen d’une ruse politicienne. L’idée essentielle est que le peuple se « refonde », s’approprie son identité collective du fait des principes qu’il décide de placer dans la constitution et des règles du jeu démocratique qu’il en déduit. Elle est le cœur de la stratégie de la révolution citoyenne et de son déroulement réel, là où elle va au bout de sa logique. En proposant une constituante restreinte à quelques sujets, Dilma Roussef a malheureusement retiré à son offre sa charge émotive radicale. Elle a donc été étouffée sur place par les adversaires bien placés de cette idée alors que les premières réactions du terrain étaient pourtant positives ! Sans Constituante, Dilma Roussef n’a plus le point d’appui dont elle a besoin pour prendre en charge le programme avancé par l’insurrection. Voici pourquoi.

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© Wilson Dias / ABr

Le processus d’ébullition déclenché par la Constituante est le point d’appui pour mener l’assaut social. Car, bien sûr, cet assaut doit avoir lieu, absolument. La question du partage des richesses ne peut être évacuée. Les tentatives faites parfois par les sociaux-démocrates pour substituer à la bataille sociale du partage une bataille démocratique, même réduite aux ersatz du minimum sociétal sont vouées à l’échec. Aucune société ne peut contourner cette question. Surtout face à la finance de notre temps. Aucune solution aux problèmes qu’elle rencontre à cette heure ne trouve de solution sans que cette question soit traitée. Mais le partage des richesses déclenche l’esprit de guerre totale chez nos adversaires dans les classes dominantes. Il en résulte un conflit où les dominants et leurs médias, livrent un combat de tous les instants et sur tous les fronts. Les plus basses manœuvres sont menées sans répit. Je n’entre pas dans cette description dont chacun connaît les déclinaisons. Ce qui nous importe c’est la méthode à choisir pour répliquer. Nous connaissons la formule algébrique : nous n’avons pas d’autres moyens que l’adhésion et l’initiative populaire. Mais quel est le contenu concret de cette idée ? C’est la convocation d’une Assemblée Constituante. La mobilisation pour l’Assemblée Constituante permet l’articulation des deux démarches : celle qui fixe la règle du jeu démocratique et celle qui en donne le contenu social. Sinon, à mains nues et d’en haut, il n’y a aucune chance de l’emporter avec des outils aussi dérisoires dans cette circonstance qu’un parti et ses réseaux, si étendus soient-ils. C’est pourquoi j’estime que c’est une lourde faute d’avoir renoncé à cette idée au Brésil. En effet la réponse positive aux demandes populaires nécessite un nouveau partage de la richesse dans cette société. Comment y procéder sans implication populaire de masse ? Autrement dit, comment faire une politique populaire à gauche sans rapport de force ? Et quant à construire un rapport de force, on ne peut commencer autrement qu’en se demandant avec qui et contre qui.
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