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 Pierre Condamin-Gerbier: dans le secret des banques suisses (Médiapart)

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Pierre Condamin-Gerbier: dans le secret des banques suisses (Médiapart) Empty
MessageSujet: Pierre Condamin-Gerbier: dans le secret des banques suisses (Médiapart)   Pierre Condamin-Gerbier: dans le secret des banques suisses (Médiapart) EmptyMar 2 Juil - 15:47

Témoin clé dans l’affaire Cahuzac, il fait trembler la classe politique française, de droite ou de gauche, depuis qu’il a déclaré le 23 mai au micro de France Inter : « Il y a des Cahuzac sur l’ensemble de l’échiquier politique. » Financier bien connu de la place genevoise, qui a travaillé pour le compte de grandes fortunes mais aussi au sein des banques UBS et Reyl & Cie, où l’ancien ministre du budget socialiste avait dissimulé ses avoirs occultes, le Français Pierre Condamin-Gerbier a vécu de l’intérieur, pendant dix-sept ans, l’industrie de la fraude fiscale et du blanchiment. Il en connaît toutes les combines, tous les secrets, tous les principaux acteurs, avocats, banquiers, comptables...
 
Après avoir été entendu début juin au Sénat par une commission d’enquête consacrée à l’évasion et la fraude fiscales, Pierre Condamin-Gerbier doit être auditionné, ce mercredi 3 juillet, à 14 heures, par les députés de la commission d’enquête Cahuzac, qui cherchent à établir l’existence d’éventuels dysfonctionnements de l’État dans la gestion du scandale des comptes cachés de l’ancien ministre.

Pierre Condamin-Gerbier: dans le secret des banques suisses (Médiapart) PCG
Pierre Condamin-Gerbier© dr

Mediapart a rencontré Pierre Condamin-Gerbier pour un entretien enregistré de près de six heures, le 29 mai, dans un salon privé d’un grand hôtel de Genève (lire notre Boîte noire). Calme, posé, la voix sûre, cet homme qui en sait trop nous a tout raconté, ou presque... Ce qu’il a vu, ce qu’il a fait. Pierre Condamin-Gerbier a décidé de livrer ces confessions, un peu comme on prend une « assurance-vie ». La raison : il dit avoir été la cible, lui et sa famille, de menaces anonymes ces derniers temps.

Durant ces longues heures d’entretien, Mediapart a notamment été destinataire de révélations sur les pratiques de fraude fiscale de nombreux hommes politiques français, comme Pierre Condamin-Gerbier l’a déjà laissé entendre à plusieurs reprises ces dernières semaines. Mais la décision a été prise, avec l’accord du principal intéressé, de ne publier aucun de ces noms tant qu’il n’a pas témoigné à ce sujet devant la justice, à laquelle il promet de confier certains documents susceptibles d’appuyer ses affirmations.
 
Le récit qu’il livre offre une plongée rare dans un univers où tout se mesure au poids de l’argent, où, pour certains, échapper à l’impôt est autant une jouissance qu’une obsession, où tout est toujours possible quand il est question de cacher de l’argent et de le blanchir s’il est sale.

« J’ai envie d’aller jusqu’au bout du bout. Si on ne le fait pas maintenant, on ne le fera jamais. J’entends beaucoup de gens qui s’expriment, des journalistes, des politiques, des experts (plus ou moins experts)… Ce qui manque dans ce débat, c’est le témoignage de gens sur le terrain, des gens qui peuvent dire : “Voilà ce qui se fait, concrètement, au jour le jour entre quatre murs” », confie-t-il.

Le financier poursuit : « Maintenant, que mon nom a été exposé, l’idée est vraiment d’aller le plus loin possible et d’être un peu un porte-parole praticien sur ces questions, pas du tout dans une perspective personnelle. Non seulement ça ne me rapporte rien, mais en plus ça me coûte très cher à tout point de vue, personnel et professionnel. On a la chance, au travers de l’affaire Cahuzac, d’avoir un pan du voile qui s’est soulevé, finissons de lever le drap. Il y a vraiment des choses à dire. »

Première partie du récit de Pierre Condamin-Gerbier, organisé sous forme de verbatim, suivant chronologiquement les évolutions de sa carrière.

MES DÉBUTS

« J’ai 42 ans, je suis originaire de Saint-Étienne. Dans ma famille, je suis le premier à m’être expatrié à plus de 50 kilomètres de la maison. J’ai quitté Saint-Étienne en 1990, à 20 ans, pour faire Télécom Paris avec une spécialisation en finance internationale, non pas pour gérer les fortunes, mais plus pour les activités de marché.

débuts dans le " family office " 

Le patron du master de l’époque m’appelle et me dit : “On a une demande un peu particulière qui ne nous est jamais arrivée. On a été approchés par une famille française qui a un family office.” Je découvre alors le terme. Il m’explique que c’est une structure qui professionnalise la gestion de l’ensemble des affaires d’une famille. De la gestion de leur quotidien jusqu’à la gestion de leur patrimoine. Des super-secrétaires privés, en somme, des sortes d’intendants ou de régisseurs qui s’occupent de tout pour une famille. De la gestion de leurs employés, de leurs déplacements, leurs œuvres d'art, leur immobilier, leur bateau, leur avion, l’éducation des enfants, le goûter d’anniversaire de la petite dernière… Tout, du sol au plafond.

Le but était d’être l’homme à tout faire du patriarche, qui n’a pas envie de quelqu’un qui ait pris de mauvaises habitudes en ayant déjà travaillé pour d’autres, et qui veut vraiment mettre son moule sur cette personne. “Si ça t’intéresse, rendez-vous après-demain, à l’hôtel de Crillon, tu demandes M. Untel…”, me dit le patron du master. J’arrive donc à l’hôtel de Crillon, place de la Concorde à Paris, dans un univers qui m’est totalement étranger.

La famille en question est la famille Chancel. Monsieur Jean-Louis Chancel est très peu connu dans l’environnement français, excepté pour un domaine viticole dans le Lubéron, qui produit un blanc, rosé et rouge de bonne facture. Originaire de Marseille, Jean-Louis Chancel est très proche de la COMEX et de son fondateur, Henri Germain Delauze. Il est résident, pour des questions évidentes de fiscalité, au Royaume-Uni, et a des intérêts dans le monde entier.

Monsieur Chancel a fait fortune dans le négoce de matières premières agro-alimentaires : l’huile, le jus d’orange, le café, le sucre. Il a vendu son groupe pour une très belle somme d’argent. Il décide alors “d’organiser ses affaires”. Les prémices de ce que l’on vit aujourd’hui sont déjà là. On est en 1994.

Dans ce grand hôtel parisien, je vois ce monsieur que je ne connais absolument pas me parler d’immobilier, avions, bateaux… Il mentionne des noms qui me semblent très exotiques à l’époque. J’entends pour la première fois un mot que je vais entendre quasiment tous les jours pendant les dix-sept ans qui vont suivre : le mot “trust”.

J’en ressors intéressé par l’aspect humain de ce métier contrairement au trading où on est face à l’ordinateur… Et j’avoue que pour le jeune Stéphanois de 24 ans que je suis, originaire d’une famille de classe moyenne, la découverte de ce monde des grandes fortunes m’excite un peu.
 
On me rappelle pour revenir le lendemain matin. En l’espace de cinq jours, je vois ce monsieur vingt-quatre fois. À chaque fois il me rappelle. Parfois, juste pour prendre un café. On parle de tout et de rien. Parfois, on évoque des sujets qui ne le concernent absolument pas.

UN PARADIS FISCAL AU MILIEU DES VACHES

Pierre Condamin-Gerbier: dans le secret des banques suisses (Médiapart) GUERNESEY
Guernesey, un paradis fiscal au large de la Normandie© Reuters

Au bout du 23ème entretien, M. Chancel me dit : “Si le boulot vous intéresse, il est à vous.” Il ajoute : “C’est quoi le salaire moyen de sortie de HEC ? Je vous donne trois fois le montant. Vous serez extrêmement bien payé, mais j’attends de vous une parfaite disponibilité.” Après quelques heures de réflexion, j’accepte. Je signe un contrat très simple, d’une page, de droit de Guernesey. Ses affaires personnelles se gèrent entre Londres, où il est résident, la Suisse, Guernesey et les Bahamas.

Je me retrouve, le dimanche 27 juin 1994, en fin d’après-midi, à descendre d’un avion sur l’aéroport de Guernesey, perdu au milieu de champs de vaches. Là, je me demande ce que je suis venu faire ici. Je suis logé dans une belle villa que je partage avec deux autres expatriés, employés comme moi, et le lendemain matin, on vient nous chercher en voiture. J’arrive à St Peter Port, le lundi matin. M. Chancel n’est pas là. Mais on me donne une liste de choses à faire, on ne m’explique rien, on ne m’enseigne rien. Je suis jeté à l’eau.

La famille Chancel, elle, n’est pas vraiment dans la fraude, dans la mesure où elle est sortie de France. On est complètement dans le cadre de l’optimisation. Même si, très rapidement, je me rends compte qu’il y a des sommes qui sont remises à certains héritiers pour appuyer leur train de vie, enfants et beaux-enfants, résidents français, eux, et qu’elles ne sont pas du tout déclarées.

UN MILLION EN CASH

Un samedi matin, je suis à Guernesey et on m’appelle pour me dire qu’il faut impérativement que je me rende à Courchevel, où madame est partie avec ses petits-enfants. Dans une station-service où elle s’est arrêtée pour faire un plein, elle s’est fait voler son sac. Elle n’a plus de papiers, plus d’argent, plus rien. Il faut lui amener en urgence du cash. Les banques sont fermées, elle ne peut rien faire. Je pars du coup à Londres, où je prends un avion pour Genève. C’est la première fois que je viens ici. On rouvre les portes de la banque, le Crédit suisse. J’arrive, je montre mon passeport, on m’accompagne dans une salle et on me demande pour qui est cet argent. Je réponds qu’ils ont reçu les instructions depuis les bureaux du Crédit suisse de Londres, que je n’ai pas à leur en dire plus.

J’essaie de me donner une contenance. La personne me demande d’attendre et j’entends que la personne ferme les portes à clé. Elle revient quelques minutes plus tard avec une personne visiblement plus haut placée. Même question, même réponse. Une troisième personne arrive et me dit qu’ils vont être contraints d’appeler les autorités. Je leur explique que je suis envoyé pour venir chercher de l’argent que je dois remettre à une personne. Je donne les noms des personnes du Crédit suisse à Guernesey, mais, malgré tout, les personnes de la banque décident d’appeler les autorités.

Heureusement, avec mon téléphone portable (un des tout premiers…), j’arrive à joindre les bureaux à Guernesey pour leur expliquer la situation. Quelques minutes plus tard, Jean-François Beausoleil, qui est l’actuel patron du Crédit suisse pour toute la Suisse romande, mais qui était le directeur de l’agence de Genève à l’époque, arrive. Il me remet ce qu’il doit me remettre et pour s’excuser, organise le transfert en hélico depuis Genève jusqu’à Courchevel et retour jusqu’à Lyon. À Lyon, un avion privé me ramène à Guernesey. Cette fois-là, j’ai transporté un million de francs suisses.

Pierre Condamin-Gerbier: dans le secret des banques suisses (Médiapart) CREDIT-SUISSE
© Reuters

Je découvre ce monde et je découvre la structuration fiscale de cette famille, une des pionnières en matière d’utilisation de trust pour des clients de droit civil. Toute la structuration se fait sous forme de trusts très complexes et j’apprends beaucoup de choses avec des avocats anglo-saxons et des avocats français qui les conseillaient sur les effets du trust en France ou en Suisse.

LE SYSTÈME APAX

À l’époque, la famille Chancel a négocié un système absolument incroyable. Ils ont incorporé – c’est-à-dire créé – une banque aux Bahamas, du nom d’Apax, qui n’a pour clients que les membres de la famille. Cette banque a une licence bancaire, elle a du staff, des bureaux, c’est une vraie banque, mais elle ne gère que l’argent de la famille.

La banque est sous-dépositaire de comptes auprès de Crédit suisse Guernesey. Crédit suisse Guernesey acceptait de ne connaître comme client que cette banque parce qu’ils pensaient, au départ, qu’il n’y avait que des membres de la famille.

M. Chancel réalise que ce système est, pour lui, absolument fantastique : il joue sur deux juridictions, utilise une banque qui a un triple A qui rassure tout le monde, alors qu’officiellement, il n’existe pas auprès de cette banque suisse. Comme c’est un homme d’affaires, un entrepreneur qui cherche d’autres choses à faire pour s’amuser un peu, il se dit que ce système est un rêve pour tous les gens qui ont des tailles de fortune similaires à la sienne. Il commence alors à faire de cette banque privée et de son family office un vrai business en plus de ce qu’il fait avec sa propre famille.

Il négocie donc avec Crédit suisse la possibilité d'ouvrir des rubriques à l’intérieur de son propre compte. Il y aura autant de rubriques qu’il y a de clients dans cette banque. Chaque fois qu’ils ouvrent un compte pour quelqu’un, Crédit suisse émet une lettre sur son papier à en-tête, signée par ses dirigeants… Il crée ainsi ce qui n’a jamais été créé depuis, c’est le compte bancaire au porteur.

Résultat : si vous devenez client de la banque de M. Chancel, officiellement vous avez un compte auprès d’un établissement des Bahamas, mais vous avez tout de suite derrière un autre compte auprès d’un établissement de Guernesey triple A, le Crédit suisse, qui émet une lettre, une simple feuille A4, stipulant que le porteur de cette lettre est titulaire du compte n° 234.671, par exemple, déposé auprès de Crédit suisse Guernesey et jouit de tous les droits associés à l’utilisation de ce compte. Vous pouvez ensuite vous pointer dans n’importe quel établissement du Crédit suisse et retirer ce qui est sur le compte désigné sur la lettre. Il a été le seul à le faire et a rentabilisé cela en six mois. Le système tel que je le décris a existé à partir de 1986.

En 1994, sa banque est un mini-empire, avec une dizaine de milliards d’équivalents euros en actifs. M. Chancel réussit à démarcher beaucoup de grands noms français, des grandes familles, quelques-unes très connues. Il y a des clients internationaux, mais M. Chancel étant français, la clientèle l’est majoritairement.

Cascades de structures de portage

Il offre un système bancaire clés en main et tout son savoir-faire en matière de trust, de structuration, de sociétés, de primes de transfert. Il crée un petit bijou, un truc qui n’est sur aucun écran radar, et qui est bien plus qu’une officine.

À l’époque, il n’y avait pas du tout d’échange d’informations, ni de coopération entre les autorités de plusieurs pays. La France aurait donc pu faire une demande judiciaire ou administrative auprès de Crédit suisse, on pouvait répondre, la main droite sur la Bible : “Non, M. Machin, on ne connaît pas ; Mme Truc, on ne connaît pas… » Le tout en totale légalité. Tout est tellement bien pensé en termes de cascades de structures de portage. Il a créé l’un des systèmes les plus avancés que j’aie jamais vus en matière de boîte noire, d’une efficacité redoutable et complètement impénétrable.

L'IMPÔT, C'EST L'ENNEMI

Après trois ans, je commence à m’user de ma relation avec M. Chancel. Mais j’ai toujours envie de rester dans le même domaine et je m’en ouvre à l’un des avocats de M. Chancel qui est aussi celui de la famille Latsis, futur propriétaire du groupe bancaire EFG. À l’époque, ils ont une banque en Grèce, une banque en Suisse, La Banque de dépôt, qu’ils ont achetée à la famille Onassis, et une banque à Londres.

Pierre Condamin-Gerbier: dans le secret des banques suisses (Médiapart) LATSIS
Spiro Latsis

La famille Latsis a alors une ambition : créer un vrai groupe bancaire. Spiro Latsis demande à me rencontrer. Je le rencontre, ainsi que toutes les équipes qui sont autour de lui, et ils me font une proposition très intéressante avec deux responsabilités : m’occuper de certains investissements dont est chargé Spiro Latsis dans l’Europe francophone et développer le même genre de plateforme offshore que celle de M. Chancel. Je travaille pour eux pendant trois ans.

Je rencontre deux types de clients en face de moi : ceux qui sont clairement dans une recherche d’optimisation fiscale et une proportion majoritaire de clients, européens et français, pour qui, oui, l’impôt c’est l’ennemi.

À l’époque, ce qui me sidère, même si je refuse de rentrer dans des analyses politiques parce que chacun aura sa vision des choses, c’est de voir la quantité d’énergie, de talent et d’argent dépensée simplement pour cette question d’impôt à ne pas payer. Autour de ces familles, c’est une industrie de milliers de gens, d’avocats, de financiers, qui ne font que ça. Si cette énergie là était utilisée autrement, on pourrait faire des choses incroyables…

Très sincèrement, je suis complètement dans le système. Je n’ai pas de distance, aucun recul. L’ensemble de mon métier, je le trouve passionnant. Mais je découvre une réelle industrie du contournement de l’impôt, de l’optimisation simple à la fraude de très haut niveau, avec non seulement une fraude par non déclaration, mais aussi des montages extrêmement complexes, actifs, revus et ré-analysés chaque jour avec une obsession de chaque instant. Je vois toute la palette des gens qui dépensent parfois même plus en frais pour ne pas payer d’impôts que l’impôt lui-même… Ils sont tellement dans leur truc, que l’important n’est pas tant l’argent dépensé, mais le simple fait d’échapper à son impôt.

Certains m’ont exposé leur motivation. Et il y a différentes formes d’argumentations. Celle que je trouve intellectuellement honnête porte sur des aspects confiscatoires de l’impôt, qui sont très mal vécus, notamment sur la partie successorale. Je rencontre ainsi des gens, même parmi les Français, qui ne cherchent pas le secret mais la confidentialité, pour la protection de leur vie privée, et cela peut apparaître tout à fait légitime. Et puis, il y a les fraudeurs avérés.

En vingt ans, il y a peu de choses que je n’aie pas vues, je crois. Le système est très organisé. Il y a évidemment les cabinets d’avocats, mais aussi les fiduciaires, les comptables, les astuces dans le domaine de l’art, les arcanes du port franc à Genève. Tout. C’est une industrie et elle est phénoménale. Cela va même jusqu’aux conférences sur la fiscalité organisées à Paris, à Genève ou à Londres, qui commencent par une annonce de l’animateur : “Messieurs, on a vérifié la liste des participants, il n’y a personne de l’administration dans la salle, donc on peut parler librement.”

Je le découvre pour les Français, mais aussi pour d’autres nationalités. Et je me rends compte que ceux qui tiennent les clés de la maison de toutes ces grandes fortunes ne sont qu’une poignée, une dizaine d’avocats parisiens. Quelle que soit la personne que je rencontre à un certain niveau de fortune, je croise toujours les mêmes avocats.

L’un est devenu le spécialiste du trust. Un monde qui le fascine parce qu’il est à la frontière entre le monde anglo-saxon et le droit napoléonien. Pour mémoire, le trust est un objet financier aussi usuel et légitime pour un Anglo-Saxon que la SARL pour nous. C’est le dévoiement de sa raison d’être, notamment par les Français, qui a donné au trust le côté sulfureux qu’il a aujourd’hui.

Un autre de ces avocats est un ancien de l’administration fiscale qui, un jour, a décidé de passer de l’autre côté. Il a été recruté par un grand cabinet, qui est devenu un haut lieu du offshore non déclaré parce qu’il a eu en face de lui une administration très peureuse, qui comprend mal de quoi on parle, parce que c’est très technique. Elle comprend mal et elle a peur de se prendre une jurisprudence défavorable.

LA SOCIÉTÉ GÉNÉRALE AU PAYS DU OFFSHORE

En 1998, je quitte les Latsis pour la famille Hambro (qui m’approche via un cabinet de chasseurs de têtes). C’est une vieille famille de banquiers aristocratiques qui ont un family office à Londres, très onshore (déclaré) et qui me demande de faire ce que j’ai fait chez Latsis. Le profil est excellent. Vieux nom de l’aristocratie, ce sont les banquiers de la reine d’Angleterre. C’est parfait pour les fortunes plus récentes qui sont rassurées par cette image. Eux, veulent faire du vrai beau family office.

Mais à cause de conflits au sein de la famille, que j’ignorais en arrivant, ils vendent le groupe à la banque Société générale. Je rencontre les équipes de Société générale Angleterre, puisqu’ils sont déjà présents comme banque commerciale, banque d’affaires. Très rapidement, je me rends au 109, boulevard Haussmann [siège parisien de la banque, ndlr], pour rencontrer les responsables en charge de la clientèle privée. Ils se disent intéressés par les structures de trust et nous demandent de former les équipes en charge de la partie banque privée de Société générale.

Ils ne sont pas très au fait de toutes ces pratiques et on a plusieurs sessions de formation. Ils reviennent à la charge et nous disent qu’ils ont beaucoup de CPI (conseillers patrimoine individuel) qui sont là pour parler des produits d’épargne défiscalisés, les livrets machin et truc. Ils se disent que beaucoup de ces CPI locaux et régionaux sont en contact avec des entrepreneurs, des professions libérales, et il y a des moments où, seuls, ils ne peuvent pas les aider dans leur environnement pour faire du offshore.

Pierre Condamin-Gerbier: dans le secret des banques suisses (Médiapart) SG
Le siège de la Société générale, en France. © Reuters

En parfaite connaissance de ses équipes dirigeantes, la Société générale nous demande donc de rentrer dans une approche industrielle de la fraude organisée. Il n’y a pas d’autres termes pour l’expliquer. Et on nous demande de faire “la tournée des popotes” en région, à Marseille, à Bordeaux, etc. On nous demande de voyager, puis de rédiger des brochures sur « Qu’est-ce qu’un trust ? », « Comment fonctionne un trust ? ». Et je peux vous dire que ce n’est pas sur l’utilisation légitime de la structuration trustale anglo-saxonne.

Il est même organisé des espèces de joutes oratoires durant lesquelles les vingt-deux responsables régionaux CPI sont rassemblés, à Genève, pour plancher sur des cas d’école de clients qui voulaient faire du offshore. Les Suisses présentaient leurs solutions, les Anglo-Saxons les leurs et, à la fin, il y avait une synthèse qui expliquait que pour telle typologie de clients, il fallait plutôt s’adresser aux collègues suisses, pour telle autre aux collègues londoniens.

Entre-temps, on nous demande de plus en plus d’aller jouer les VRP à l’intérieur du groupe Société générale. On reçoit à Londres des patrons d’agence. Parfois quand ils montent des dossiers à Guernesey ou aux Bahamas, il faut accompagner ces messieurs. À l’occasion, il faut leur organiser une journée de pêche au gros. Et il y a le conseiller Société générale qui est là et se paie des vacances aux Bermudes au frais de la princesse. C’était du grand n’importe quoi.

LE BLANCHIMENT PAR LE PRÊT BANCAIRE

À cette époque, je suis sollicité par un avocat très impliqué avec la Fédération française de tennis. Il conseille beaucoup de joueurs de tennis, mais aussi un membre éminent du monde des affaires parisien, impliqué dans la construction de parkings, dont l’activité a la particularité de générer beaucoup de cash.

Il se trouve que cette personne a des actifs non déclarés à la Société générale en Suisse. Évidemment, il ne peut pas officiellement utiliser un argent qu’il n’a pas pour financer la construction de ses parkings. Grande technique classique des banques françaises : il bloque le montant du financement nécessaire sur son compte à Genève. Imaginons qu’il a 100 millions d’actifs, mais qu’il ait besoin de 50 pour ses travaux, il bloque 50. Ces 50 bloqués permettent à Société générale de Genève de donner une garantie à Société générale France. Société générale Paris finance l’opération en prenant officiellement une hypothèque sur le bien, voire quelques garanties personnelles, mais il y en a peu car les montants concernés sont très largement supérieurs au train de vie de ce monsieur.

En apparence, s’il y a un problème de remboursement, on se saisira du parking ou du bien immobilier. Mais on sait qu’on ne le fera jamais parce que si jamais il y avait un problème, on se servira sur les actifs non déclarés de ce monsieur à Genève.

Il y a une structure ici qui en a fait une industrie et qui s’appelle l’UCB, filiale de BNP Parisbas, qui existe toujours, rue de la Rôtisserie à Genève. Elle ne fait que ça, c’est-à-dire du rapatriement de capitaux non déclarés en France pour des investissements immobiliers, ce au travers de ces techniques dites de « back to back » ou de « prêts Lombard ».

Il s’agit au départ d’une technique de finances très classique de prêt sécurisé par un actif. Mais dans le domaine de la banque privée, cela devient parfois une garantie d’argent non déclaré pour une opération de financement dans un environnement où on est complètement déclaré. Une sorte de blanchiment, en somme. »

Fabrice Arfi
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