Ayant bénéficié d’une « préretraite maison », deux anciens cadres de Valspar sont aujourd’hui dans l’impasse. Car les réformes du régime des retraites ont changé la donne.Martine Bannier et Serge Latrace. Photo D.V.
Au départ, se souviennent Martine Bannier et Serge Latrace, c’était un accord gagnant-gagnant. On pensait alors qu’il s’agissait d’un bon deal : nous partions en préretraite, ce qui permettait à nos jeunes collègues de rester dans la boîte ».
En 2008, Valspar, entreprise tournusienne de peintures et vernis, se restructure en supprimant son département bois et son laboratoire revêtements spéciaux. Le plan de réduction d’effectifs prévoit 63 postes en moins sur 220 salariés. La négociation de ce plan social permet à l’époque de limiter à dix les « licenciements secs ».
Pour cela, les salariés de plus de 55 ans se voient proposer un départ en préretraite, avec un revenu de substitution représentant 80 % de leur salaire : 50 % sous forme d’indemnités de licenciement et 30 % sous forme d’une rente mensuelle versée jusqu’à la retraite officielle, dont l’âge était à l’époque de 60 ans.
Réformes successivesUne trentaine de salariés signent cet accord. Pour une vingtaine d’entre eux, le passage de la préretraite à la retraite se fait sans encombre. Ce qui n’est pas le cas des moins âgés d’entre eux. Car entre-temps, les réformes sont passées par là, repoussant l’âge de la retraite.
Cinq personnes ont pu bénéficier de la loi Hollande prévoyant un départ à 60 ans pour les salariés ayant commencé à travailler très jeunes. Mais pour quatre autres anciens salariés, la situation se dégrade : trop jeunes pour partir à la retraite selon les nouveaux critères, ils n’ont eu pour seuls revenus, pendant neuf mois, que les 30 % de leur rente mensuelle.
« Moins que rien »Nés en 1953, les trois plus jeunes, dont Serge Latrace et Martine Bannier, connaissent un sort encore moins enviable. L’accord signé en 2008 prévoyait que le dispositif de préretraite prendrait fin au 31 décembre 2013. Or, selon les nouveaux critères, les deux ex-cadres ne pourront accéder à la retraite qu’en octobre 2014 pour le premier et en janvier 2015 pour la seconde. Ce qui équivaut à une période de neuf mois pour l’un et douze mois pour l’autre sans percevoir aucun revenu : pas encore d’indemnités retraite, plus de mutuelle, et aucun droit aux allocations chômage, qui nécessitent d’avoir travaillé dans l’année qui précède.
« Entre 2008 et 2013, nous étions dans une sorte de sas : ni salarié, ni chômeur, ni retraité. Pour faire simple, nous n’étions rien, résume avec amertume Martine Bannier. Et l’an prochain, on sera moins que rien ».
Pour tenter de trouver une solution à cette situation ubuesque, les deux ex-cadres se démènent depuis deux ans : courrier à Xavier Bertrand, alors ministre du travail, par l’intermédiaire d’Arnaud Montebourg, pas encore ministre, contacts avec le sénateur Emorine et la députée Cécile Untermaier, qui a posé une question écrite au gouvernement, recours au médiateur de Pôle Emploi. Rien n’y fait. L’impasse semble totale.
CMU et RSAPouvoirs publics et ex-employeur se renvoient la balle : les premiers estiment qu’il s’agit d’un contrat privé, le second rappelle qu’il tiendra ses engagements comme prévu dans l’accord signé par les parties.
Tandis que leur ex-collègue est à la CMU, les deux cadres se voient refuser l’allocation spécifique de solidarité, prévue pour les chômeurs en fin de droit, car il faut pour cela avoir été inscrit au chômage en 2010. « Les législateurs n’ont pas pris en compte les cas particuliers comme le nôtre », constate Martine Bannier, dont le moral est aujourd’hui atteint : « Nous sommes prêts à travailler, mais à notre âge, c’est quasi impossible de trouver quelque chose. Il va sans doute falloir demander le RSA. C’est tout de même un peu humiliant de se retrouver dans cette situation après avoir travaillé toute sa vie… »
Damien Valette