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 Le nouvel enjeu républicain (Christian Piquet)

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MessageSujet: Le nouvel enjeu républicain (Christian Piquet)   Le nouvel enjeu républicain (Christian Piquet) EmptyVen 31 Mai - 18:12

C’est un fait avéré : chaque grande crise que ce pays a traversé dans sa période contemporaine aura eu pour toile de fond l’affaissement ou la mise en cause des fondements et principes de la République, tels qu’une histoire tourmentée et des luttes de classes aiguës les auront façonnés au fil du temps. J’écris cette note alors que, de nouveau, tout ce que la France compte d’obédiences réactionnaires ou cléricales vient de jeter, sur le pavé parisien, des dizaines de milliers de manifestants en opposition au « mariage pour tous ». Et que, par un hasard symbolique, la date de cette énième démonstration de rue aura pratiquement coïncidé avec le soixante-dixième anniversaire du programme du Conseil national de la Résistance. Sans l’Humanité qui y aura consacré sa « une », le 27 mai, qui se serait remémoré un événement qui, la Libération accomplie, influa pourtant profondément la vie de notre peuple ?

Il n’est, évidemment, nullement certain que les initiateurs de « La manif pour tous », du « Printemps français » ou de l’institut intégriste Civitas, à l’origine des cortèges du 26 mai, aient eu conscience de ce télescopage des calendriers. Il n’en reste pas moins que, de leur sein ou à leur périphérie, on aura laissé libre cours aux pulsions homophobes les plus basses, aux cris de haine anti-maçons - on aura même manifesté, le 24 mai, devant les portes du Grand-Orient à Paris -, à l’expression d’un antisémitisme encore discret (avant, soyons-en sûrs, qu’il ne s’enhardisse dès que les conditions le permettront), à des slogans que l’on n’avait plus entendu sur ce sol depuis les années 1930 (« Ni laïque, ni maçonnique, la France est catholique », « On veut un Parlement qui ne dépend pas du Grand-Orient»…). Il y a décidément, au plus profond de ce mouvement contre l’égalité des droits, comme une volonté de revanche sur l’opprobre ayant frappé, après-guerre, la doctrine d’un Charles Maurras, grand inspirateur du régime de Vichy, qui stigmatisait à toute occasion une « anti-France » décrite sous les traits d’une coalition de « quatre États confédérés des protestants, Juifs, francs-maçons et métèques ».

On me dira que les saillies détestables évoquées précédemment, tout comme d’ailleurs les tentatives de tester à l’issue de chaque manifestation un scénario à la 6 février 1934, n’auront été le fait que de groupuscules marginaux. Sauf que… Depuis le lancement de ce mouvement, que d’aucuns auront rapidement imaginé en « Mai 68 à l’envers », les membres desdits groupuscules auront fait beaucoup d’émules, qu’une radicalisation politique continue des défilés sera venue conforter leur fonds de commerce idéologique, que l’osmose opérée dans la rue entre UMP et Front national aura imprimé à cette contestation du mariage gay une dynamique politique qu’il serait irresponsable de minimiser aujourd’hui. D’autant qu’à un assaut à peine dissimulé contre certaines des bases constitutives du modèle républicain français, fait écho l’abandon d’autres de ses principes essentiels de la part de ceux qui eussent dû s’en faire les défenseurs ardents…


RETOUR DE FLAMME DU CLÉRICALISME…

Lorsque Madame Boutin, en dépit de son insignifiance sur l’échiquier politique, mais forte de son statut d’ancienne ministre du précédent président de la République, se sera hasardée à expliquer (c’était le 19 mai dernier) qu’il y a « une loi morale supérieure à la loi de la République », elle ne sera pas simplement allée jusqu’au bout de ses croyances individuelles. Elle aura repris à son compte ce qui constitue le soubassement du nouveau discours de l’épiscopat hexagonal, lequel fut le moteur originel de la contestation de la loi Taubira, il ne faut jamais l’oublier. Un discours qui amena l’une de ses figures marquantes, Monsieur Marc Aillet, l’évêque de Bayonne, à fustiger un « projet totalitaire (qui) n’a d’autre objectif que d’imposer à l’ensemble de la société une politique hélas synonyme de ‘’culture de mort’’ (promotion de l’idéologie du genre, mesures visant à faciliter l’accès des femmes à l’IVG, remise en cause annoncée de notre politique familiale et du droit de la famille, légalisation programmée de la procréation médicalement assistée , autorisation des expérimentations sur l’embryon humain, du ‘’suicide assisté’’, des ‘’salles de shoot’’, etc.) ». Un parfum d’Inquisition, pour faire bref…

Depuis le rétablissement de la République, à la fin du XIX° siècle, l’Église se sera en permanence livrée à une véritable guerre de guérilla en défense de ses intérêts. Hormis la période de la Collaboration, qui restaura de facto le catholicisme en tant que religion officielle, l’institution ecclésiale sut fréquemment marquer un rapport de force à son avantage en s’efforçant notamment de découpler la laïcité de l’État et celle de l’école (comme lorsque la loi Debré, en 1959, octroya aux établissements privés sous contrat le droit de recueillir des subventions publiques, ou lorsqu’elle enclencha l’immense mobilisation de droite qui devait avoir raison en 1984 de la perspective de « grand service public unifié de l’éducation » promise par François Mitterrand dans ses 110 propositions). Mais elle dut également s’incliner sur des sujets essentiels, comme lorsque la neutralité absolue de l’État en matière religieuse fut incluse dans le préambule de la Constitution de 1946, lorsque le droit des femmes à l’interruption volontaire de grossesse fut enfin reconnu au milieu des années 1970, lorsque le délit d’homosexualité fut aboli après 1981, ou lorsque le Pacs fut instauré pour les couples de même sexe.

Le renouveau de l’offensive cléricale dans notre vie publique se sera, sur fond d’appels au « choc des civilisations » et au retour en force de « l’Occident » sur le théâtre planétaire, manifesté avec la « nouvelle évangélisation » proclamée sous les pontificats de Jean-Paul II et Benoît XVI. Ce dont l’historien Denis Pelletier rend bien compte dans une interview au Monde des 26 et 27 mai : « La mobilisation a pris une dimension nouvelle avec le combat contre le mariage pour tous. Il adopte trois formes principales. Premièrement, un engagement beaucoup plus ferme des évêques dans le politique lorsque depuis les années 1960 ils avaient pris l’habitude d’être relativement discrets. Ensuite, il y a eu une mobilisation des fidèles et des paroisses. On revoit, à l’église, des prêtres parler politique dans leurs homélies, ce qu’ils ne faisaient plus. Enfin, on a vu de plus en plus des manifestations dans l’espace public, via Internet ou les manifestations de rue. (…) Pour l ‘épiscopat français, un mouvement de rupture court depuis 1968 dans la société entre les fondations juridiques de la société et ce que l’Église appelle ‘’le droit naturel’’. »

RECHRISTIANISATION ET NÉOCONSERVATISME À LA FRANçAISE

Voilà qui devrait remettre un peu les idées en place à ceux qui, se présentant en défenseurs intransigeants de la laïcité, ne disent cette dernière menacée que par les tenants de l’intégrisme islamiste, voire tout simplement par l’islam dénoncé dans sa globalité pour sa nature prétendument inintégrable par la société française. La plus grande menace pour la loi de séparation des Églises et de l’État sera, ces dernières années et dans le prolongement d’un projet assumé de rechristianisation, venue d’une droite se revendiquant des « racines chrétiennes » de la France et l’Europe. Lorsque, par exemple, on conféra en 2006 au Haut-Conseil à l’Intégration la charge de réfléchir à la laïcité, comme si elle ne devait plus concerner qu’une fraction des Français, ceux qui sont précisément issus des mouvements migratoires. Ou lorsque, quatre ans auparavant, on décida d’instaurer « un dialogue institutionnel régulier » avec l’Église catholique, avant d’aller (en 2011) jusqu’à créer des « Commissions départementales de la liberté religieuse », qui auront discrètement réofficialisé la première religion de l’Hexagone et fait tout aussi insidieusement évolué la conception de la puissance publique dans le sens d’une sorte de néogallicanisme, où il lui reviendrait de contrôler et soutenir les formes religieuses qui lui conviennent. Ou, enfin, lorsque la loi Carle (2009) décréta l’obligation pour les communes de financer les frais de scolarité d’élèves y résidant même s’ils fréquentent des établissements privés sous contrat établis dans d’autres villes.

On n’a, y compris à gauche, guère pris la mesure de cette altération sournoise d’un des piliers centraux de la République, celui de laïcité. Comme l’écrivait Jean Baubérot, dès 2012, « on hypertrophie la neutralité en l’interprétant d’une manière parfois contraire à la loi de 1905. En revanche, on atrophie les autres principes : la séparation, la liberté de conscience et la non-discrimination ». L’adoption du « mariage pour tous » n’aura, à cet égard, fait que catalyser une série de phénomènes, aussi liés qu’en gestation depuis quelque temps déjà : la réaffirmation de l’épiscopat comme un acteur politique à part entière, la droitisation d’un camp conservateur tenaillé depuis l’émergence en son sein de la figure de Nicolas Sarkozy par la tentation du néoconservatisme, les convergences dans ce cadre entre la droite traditionnelle et une extrême droite qui lui sert désormais de boîte à idées.

Au-delà des innombrables éclairages que les défilés auront apporté sur ces nouvelles connivences, faut-il ainsi considérer comme anecdotique que, en pleine confrontation sur le texte de Christine Taubira, six députés de l’UMP aient osé cosigner avec Marion Maréchal-Le Pen une proposition de loi visant à la « reconnaissance du génocide vendéen de 1793-1794 » ? Du classique tropisme clérical, on sera ici retourné, presque sans coup férir, aux sources de la pensée contre-révolutionnaire, celle d’un Joseph de Maistre ou d’un Hyppolite Taine…

DU DÉTRICOTAGE DISCRET DE L’HÉRITAGE DE LA RÉSISTANCE…

J’ai entamé cette note sur la référence aux « Jours heureux » dessinés, en plein milieu de la nuit tombée sur la France entre 1940 et 1944, par le Conseil national de la Résistance. À l’époque, la réalité des mouvements de résistance, conjuguée aux aspirations montant d’un pays sous la botte de l’occupant et de ses affidés, avait conduit non seulement à codifier des droits aussi fondamentaux que la Sécurité sociale ou la retraite par répartition, mais encore à fixer l’objectif « d’une véritable démocratie économique et sociale impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie ». Ce qui passait, au nom de l’intérêt général devant se substituer « à la dictature professionnelle instaurée à l’image des États fascistes », par une organisation de la production « selon les lignes d’un plan arrêté par l’État », autant que par la concentration entre les mains de la puissance publique « des grands moyens de production monopolisés, fruits du travail commun, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d’assurance et des grandes banques ».

On sait comment ces promesses de changement profond se virent rapidement bridées, sitôt que les tenants du statu quo social prirent conscience de la menace révolutionnaire qui pointait à travers l’insurrection nationale. Le programme du CNR n’en imprégna pas moins sa marque à la vie politique et sociale de l’Hexagone plus de trois décennies durant. Jamais réellement accepté par les classes possédantes, l’héritage leur devint franchement insupportable lorsque la globalisation financière s’imposa à la planète à partir de la fin des années 1970, que les politiques publiques durent obéir au nouveau dogme de la libre circulation des biens, des services et des capitaux, que les traités européens consacrèrent l’obligation de déréglementer et privatiser à tout-va, que les droits conquis parfois au prix du sang furent décrété incompatibles avec la règle de l’équilibre budgétaire à marche forcée.

Un Denis Kessler, longtemps numéro deux du Medef, résuma parfaitement cette haine envers les acquis de la Résistance lorsqu’il lança, peu après l’élection de Monsieur Sarkozy : « Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945 et de défaire méthodiquement le programme du CNR. » Le résultat en est connu : l ‘assurance-maladie démantelée au gré de mesures mettant en question son universalité, la retraite par répartition taillée en pièces par les contre-réformes de 2003 et 2010, un secteur public étranglé au rythme de la trop fameuse Révision générale des politiques publiques, ce qui demeure de la règle d’égalité dépecée à partir du moment où l’on décida que les cotisations sociales des employeurs étaient devenues des charges indues…

Électrices et électeurs de François Hollande étaient naturellement en droit d’attendre, l’an passé, que l’on mît un terme à cette entreprise de destruction méthodique. Las ! la nouvelle majorité gouvernementale en sera vite venue, sous prétexte de priorité à donner à la compétitivité des firmes et à l’assainissement des comptes publics, à s’inscrire dans la continuité de ses prédécesseurs. Donc, à légitimer le discours de ces derniers… à l’encontre des principes républicains les plus élémentaires. Ce qui constitue une nouvelle démonstration, s’il l’eût fallu, que la domination du marché et de ses lois d’airain ne peut coexister avec le primat accordé à la volonté politique sur les logiques égoïstes de profitabilité et de concurrence déchaînées.

À ceux qui en douteraient encore, un économiste libéral du nom de Léonidas Kalogeropoulos se sera chargé, le 15 mai, dans les colonnes du Figaro, de déciller les yeux : « Alors que les concepts de liberté, d’égalité et de fraternité sont trop souvent brandis pour des causes subalternes, pourquoi ne pas leur adjoindre le concept ‘’d’esprit d’entreprise’’ ? ‘’Liberté, égalité, fraternité et esprit d’entreprise’’, ainsi enrichie, notre devis nationale apporterait un souffle nouveau au contrat social qui fonde notre République. (…) En complétant ainsi notre pacte républicain, tous les gouvernants d’aujourd’hui et de demain seraient invités à se demander, avant d’intervenir dans l’économie, si les régulations qu’ils proposent (…) sont proportionnelles au but poursuivi, ou si elles sont de nature à dissuader la prise de risque d’entreprendre dans notre pays, le condamnant nécessairement au repli et au déclin. » Et voilà comment, en la personne de l’un de ses représentants, président d’un cabinet-conseil, l’oligarchie financière n’hésite plus à sommer le premier dirigeant du pays de mettre à mort une devise républicaine censée signifier que la « liberté » ne devait pas être, au profit de quelques-uns, celle de se nourrir de l’existence de millions d’individus, pour paraphraser une célèbre maxime de Maximilien Robespierre.

J’ai déjà eu matière à m’exprimer ici sur le Pacte de compétitivité, l’Accord national interprofessionnel, ou l’abandon de cette révolution fiscale que le futur président de la République annonçait dans son discours du Bourget. On voit bien, à présent, à quel point la cohérence de ces dispositions va dans le sens du détricotage sournois de ce qu’on a souvent appelé le « Pacte social de la Libération ». Il y a plus encore grave… C’est un saut qualitatif qui aura, en la matière, été franchi avec l’Acte III de la décentralisation et le projet d’inscrire dans la Constitution la primauté du contrat social sur la loi. Sous l’égide d’un titre ronflant : la « réforme de l’État »

ILS APPELLENT CELA… RÉFORME DE L’ÉTAT

Nul ne sait encore ce que seront les équilibres finaux des trois projets législatifs traitant d’une nouvelle étape de la « décentralisation ». En quelques mois à peine, le gouvernement en aura, en effet, livré plusieurs versions. Les intentions exprimées n’en apparaissent pas moins redoutables. Qu’il s’agisse du regroupement imposé des collectivités ou du processus suggéré de formation de puissantes « métropoles », il se profile un creusement sans précédent des inégalités territoriales, avec un système à plusieurs vitesses qui mettra profondément en cause la démocratie communale, fondements s’il en est de l’idée républicaine depuis la Grande Révolution. L’État étant, de surcroît, appelé à se désengager en matière de développement économique, en particulier dans le domaine si crucial de l’emploi, et de nouveaux transferts de compétences devant s’opérer en direction des Régions et des départements, mais ce mouvement s’orchestrant simultanément dans un contexte d’austérité qui verra les dotations étatiques aux collectivités amputées de 4,5 milliards sur les trois prochaines années, on peut aisément en imaginer les lourdes conséquences sur les services publics ou les capacités d’investissement des institutions concernées en faveur de l’emploi et d’un développement équilibré des territoires.

Il est permis, à bon droit, de discuter ce qu’ont pu recouvrir, au fil du temps, l’unité et l’indivisibilité proclamées de la République. Reste que ces concepts auront au moins permis de contenir les inégalités entre Régions, départements et communes, grâce à des mécanismes de péréquation dont l’État peut seul assumer la gestion. Et c’est précisément ce que visait, avant le changement de majorité en France, le « Livre blanc » de la Commission européenne consacré à la « gouvernance » de l’Union. Régis Debray était dans le vrai lorsque, voilà presque quinze années, il écrivait : « Quand l’État s’affaiblit au centre, les roitelets reviennent en périphérie. Seule la puissance publique peut surmonter les mille et un intérêts privés qui tirent à hue et à dia. Et faire que les magistrats appliquent les mêmes lois sur tout le territoire, et dans le même esprit, aux célèbres et aux anonymes, aux riches et aux pauvres. »

Toute aussi perverse s’avère l’annonce, par le ministre du Travail, à l’occasion du débat parlementaire sur la ratification de l’accord poussant les feux de la flexibilité du travail selon le vœu de Madame Parisot, qu’il serait dans la foulée proposé de modifier la Constitution, afin que fût dorénavant privilégiée la négociation de contrats entre partenaires sociaux en lieu et place de la loi. François Hollande en avait d’ailleurs avancé l’idée dans une tribune donnée au Monde en juin 2011.

Le changement n’est pas anodin, et il ne relève en rien d’un progrès de la démocratie sociale. Le contrat est, par définition, l’expression du rapport de force social. Parfois, ce dernier aura permis à la loi d’enregistrer de grandes avancées du droit à l’avantage des salariés, comme lorsque les accords de Matignon donnèrent naissance aux congés payés en 1936, ou encore lorsque ceux de Grenelle firent progresser les libertés syndicales à l’entreprise en 1968. Il fallut toutefois, pour aboutir à ce résultat, la puissance de grèves générales comme la France n’en avait jamais connue. Le plus souvent, par conséquent, le contrat consacre l’inégalité profonde de la relation du capital au travail, la difficulté du mouvement syndical à faire entendre sa voix dans une société que dominent les intérêts les plus puissants, l’état de subordination qui caractérise le salarié face à son employeur.

De fait, comme le fait à juste titre valoir Gérard Filoche, « quand le patronat ne veut rien céder aux exigences de la majorité des salariés, ceux-ci peuvent se faire entendre et approuver par une majorité politique de leur choix. S’il n’y avait pas eu de telles majorités politiques, les salariés n’auraient jamais eu les 40 heures, les 39 heures, les 35 heures, le Smic, les congés payés, la retraite à 60 ans, la Sécurité sociale… Toutes les grandes avancées de ce type ont été faites par la loi. Si une majorité de gauche (…) en vient à s’interdire cette hypothèse, et affirme subordonner la loi au contrat, le patronat a toutes les cartes en main pour imposer sa volonté. » D’ailleurs, faut-il rappeler à ceux qui n’auront dû leur élection qu’aux suffrages des travailleurs, que leur proposition épouse totalement le projet de société défendu depuis des lustres par le Medef. Répondant le 29 août 2006 aux questions des Échos, Laurence Parisot exposait en ces termes sa vision : « Nous préconisons une réforme de la Constitution afin de reconnaître le droit à la négociation et de permettre aux représentants des employeurs et des salariés de fixer les modalités d’application des principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et de la Sécurité sociale. »

Au demeurant, si cette intention finissait par voir le jour, que demeurerait-il du suffrage universel qui confère aux élus du peuple la faculté d’agir pour la recherche du bien commun et de s’affranchir du même coup des visions mercantiles et cupides reproduites par la domination de classe ? Là encore, l’ami Filoche est parfaitement fondé à désigner le risque d’un « passage d’une République démocratique à une République corporatiste ». Et il a tout autant raison de décrire un mécanisme de nature à vider la démocratie de tout contenu réel : « Le corps médical accusera les parlementaires de ne pas connaître la médecine, les chercheurs accuseront les députés de ne rien connaître à la recherche, les enseignants reprocheront aux élus de tout ignorer de la pédagogie, les économistes diront la règle économique, les juges feront la loi pénale… Et le Parlement sera tenu en lisière par le patronat et par chacun de ces groupes, il ne pourra plus faire la loi sur aucun de ces sujets (…) C’en sera fini du suffrage universel en matière de droit du travail, de droit social et de protection sociale. »

Me voilà parvenu au moment de conclure. Je le ferai sur une idée : la dangerosité de la situation actuelle réside dans le fait que, tandis que le camp adverse monte sans complexes à l’assaut d’un modèle de tout temps honni par lui, celui du travail est désarmé par une entreprise s’employant à saper de l’intérieur ce qui a toujours servi de points d’appui à ses résistances. C’est ainsi que l’on se réveille un beau jour aux prises avec une « étrange défaite », du type de celle dont parlait l’historien Marc Bloch étudiant la décomposition du Front populaire. Pour le dire avec d’autres mots, la dynamique dont la droite pourrait bien profiter lors des prochaines échéances électorales trouve là son principal carburant, tandis qu’à l’inverse le peuple de gauche en subit les effets démoralisateurs et paralysants.

La défense intransigeante des conquêtes républicaines du passé, à commencer par la laïcité et le programme du CNR, doit à son tour, dans la prochaine période, trouver sa propre dynamique politique. C’est le sens du projet de nouvelle République, démocratique et sociale. Ce n’est décidément pas par souci de gesticulation, comme le suggèrent quelques bons esprits confortablement installés dans le système, que le Front de gauche aura donc initié la marche du 5 mai, et qu’il aura ensuite été à l’origine des « Assises de la refondation » dont la première étape interviendra le 16 juin à Paris.
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