Mercredi 16 février 2014
Travailleurs détachés: la fin du «dumping social» n'est pas pour demain
Une majorité d'eurodéputés a approuvé mercredi le compromis final sur les travailleurs détachés, avec le soutien des socialistes français. La portée limitée du texte ne mettra pas un terme aux multiples abus des dernières années. À Strasbourg, le vote a donné lieu à une passe d'armes entre Jean-Luc Mélenchon et la socialiste Pervenche Berès.Après des années de débats électriques, une large majorité d'eurodéputés a fini par donner son feu vert, mardi à Strasbourg, à un tout petit accord sur les travailleurs détachés. Le compromis final, adopté à 474 voix contre 158 (39 abstentions), avec le soutien des socialistes français, ne fait qu'aménager à la marge la directive fondatrice de 1996. La commission avait, dès le départ, refusé de proposer une nouvelle directive qui puisse répondre à l'ensemble des abus constatés sur le terrain. Pas de quoi mettre fin, pour de bon, à la rivalité entre travailleurs européens.
Comme attendu, le groupe des socialistes au parlement s'est fortement divisé sur la question : si le PS a voté pour, des élus socialistes d'Italie, d'Espagne ou de Belgique ont eux rejeté le compromis. La majorité s'est constituée autour d'une alliance de circonstance entre le PPE (droite, majoritaire), les libéraux, les Verts et donc une partie des socialistes. La gauche unitaire européenne (GUE) a voté contre ce texte, qui n'a pratiquement pas bougé par rapport au compromis scellé par les ministres des 28 en décembre, et qui
s'efforce de préciser, par exemple, la définition juridique du
« détaché » pour éviter certains abus.
Sur le front institutionnel, le dossier est désormais classé. Mais il pourrait resurgir à tout moment, durant la campagne des européennes jusqu'à fin mai, alors que le Front national de Marine Le Pen a fait de ce texte l'un des symboles d'une Europe qui organiserait le
« dumping social », sourde aux intérêts des travailleurs nationaux – c'est un texte
« criminel »,
a-t-elle jugé mardi.
Sur le terrain, les dégâts provoqués par
la directive de 1996 sont profonds. Environ 1,2 million de travailleurs étaient considérés comme « détachés » en 2011 sur le continent – c'est-à-dire envoyés dans un autre État membre par leur entreprise, au nom de la
« libre prestation des services » prévue par les traités. À l'origine, le texte, entré en vigueur en 1999, encadrait surtout l'arrivée de travailleurs grecs ou portugais dans les pays d'Europe du Nord. Mais l'élargissement à l'Est à partir de 2004 a changé la donne, et accéléré le phénomène, tout comme
l'évolution de la jurisprudence européenne (lire notre article :
Pourquoi l'Union peine à lutter contre le dumping social).
Après des années de débats électriques, une large majorité d'eurodéputés a fini par donner son feu vert, mardi à Strasbourg, à un tout petit accord sur les travailleurs détachés. Le compromis final, adopté à 474 voix contre 158 (39 abstentions), avec le soutien des socialistes français, ne fait qu'aménager à la marge la directive fondatrice de 1996. La commission avait, dès le départ, refusé de proposer une nouvelle directive qui puisse répondre à l'ensemble des abus constatés sur le terrain. Pas de quoi mettre fin, pour de bon, à la rivalité entre travailleurs européens.
Comme attendu, le groupe des socialistes au parlement s'est fortement divisé sur la question : si le PS a voté pour, des élus socialistes d'Italie, d'Espagne ou de Belgique ont eux rejeté le compromis. La majorité s'est constituée autour d'une alliance de circonstance entre le PPE (droite, majoritaire), les libéraux, les Verts et donc une partie des socialistes. La gauche unitaire européenne (GUE) a voté contre ce texte, qui n'a pratiquement pas bougé par rapport au compromis scellé par les ministres des 28 en décembre, et qui
s'efforce de préciser, par exemple, la définition juridique du
« détaché » pour éviter certains abus.
Sur le front institutionnel, le dossier est désormais classé. Mais il pourrait resurgir à tout moment, durant la campagne des européennes jusqu'à fin mai, alors que le Front national de Marine Le Pen a fait de ce texte l'un des symboles d'une Europe qui organiserait le
« dumping social », sourde aux intérêts des travailleurs nationaux – c'est un texte
« criminel »,
a-t-elle jugé mardi.
Sur le terrain, les dégâts provoqués par
la directive de 1996 sont profonds. Environ 1,2 million de travailleurs étaient considérés comme « détachés » en 2011 sur le continent – c'est-à-dire envoyés dans un autre État membre par leur entreprise, au nom de la
« libre prestation des services » prévue par les traités. À l'origine, le texte, entré en vigueur en 1999, encadrait surtout l'arrivée de travailleurs grecs ou portugais dans les pays d'Europe du Nord. Mais l'élargissement à l'Est à partir de 2004 a changé la donne, et accéléré le phénomène, tout comme
l'évolution de la jurisprudence européenne (lire notre article :
Pourquoi l'Union peine à lutter contre le dumping social).
Dans les principaux pays d'accueil (l'Allemagne, la France et les Pays-Bas), des entreprises ont recours à ces travailleurs « low cost », sans toujours respecter la durée maximale du temps de travail, ou encore les règles salariales en vigueur. Une forme de concurrence déloyale pour les travailleurs « locaux » des États membres en question, alors que les taux de chômage enregistrent des pics, sous l'effet de la crise. La situation est particulièrement sensible dans le secteur du BTP, qui emploie au moins le quart des « détachés » (
lire notre reportage sur un chantier en Auvergne). C'est pour répondre à ces abus que la commission a proposé de « toiletter » sa directive de 1996.
Le secteur du BTP est l'un de ceux qui emploient le plus de salariés détachés. Ici, un chantier à Madrid en janvier 2014. © Reuters
En décembre, les ministres de l'emploi des 28 étaient parvenus à s'entendre sur un
« deal » provisoire. C'était
loin d'être une mince affaire, tant l'Europe, sur cette question emblématique, est écartelée. D'un côté, des exécutifs soucieux d'imposer davantage de garanties sociales et de contrôles pour les entreprises. De l'autre, des gouvernements, surtout à l'Est (Pologne en tête), pour qui ce principe de libre circulation des travailleurs est un pilier de l'Union, qu'il n'est pas question d'affaiblir, en renforçant le recours aux contrôles par des inspecteurs du travail, par exemple.
À la sortie du conseil de décembre, Michel Sapin avait paradé, vantant un
« accord satisfaisant et ambitieux, conforme à la position défendue avec constance par la France ». Dans la foulée se sont ouvertes des négociations à trois, ces « trilogues » bruxellois à huis clos (avec des représentants du parlement, du conseil et de la commission), dont rien ne filtre jamais, et dont il n'est pas sorti – pour cette fois – grand-chose. Les marges de manœuvre, côté parlement, semblaient particulièrement faibles pour améliorer la copie, tant l'accord de décembre s'est fait à l'arraché.
Facteur supplémentaire de l'équation : c'est Pervenche Berès, une socialiste française, qui supervisait les négociations au nom du parlement – et qui semble avoir tout fait pour protéger le compromis dégagé en décembre par son collègue Michel Sapin, qui était alors ministre de l'emploi.
Ce qui fait dire aujourd'hui à Jean-Luc Mélenchon, dans un communiqué particulièrement vif :
« Pervenche Berès, la présidente PS de la commission de l'emploi et des affaires sociales, a trahi sa commission en donnant l'accord du parlement aux chefs d'État sur ce contenu au rabais, alors que sa commission était bien plus exigeante ». Le co-président du Front de gauche fait référence
au texte voté en juin 2013 par la commission Emploi, qui était effectivement plus ambitieux que le compromis voté ce mercredi.
Réponse de l'intéressée :
« Oui, l'accord a ses limites. C'est pour cette raison que notre programme pour les élections européennes appelle à une révision du texte de 1996. Une simple directive d'application ne peut pas tout régler. » Et de poursuivre :
« L'art de la critique est facile pour ceux qui voient en permanence le verre à moitié vide. Le remplir à moitié plein est déjà bien plus difficile… »« Communiquer » plutôt que « notifier »...Au chapitre des avancées, les négociations en trilogue du début d'année ont permis de clarifier un point de vocabulaire – décisif aux yeux de certains. Les États membres qui souhaitent muscler les contrôles des inspecteurs du travail, ou de l'Urssaf, pourront le faire, à condition qu'ils
« communiquent » les nouveaux critères en vigueur, en amont, à la commission. Jusqu'à présent, le texte parlait de
« notifier » ces critères à l'exécutif bruxellois, laissant entendre que la commission pouvait juger de la pertinence, ou non, de certains critères. Désormais, cette inquiétude est évacuée, et les capitales feront ce qu'elles veulent en la matière. Le changement de terme peut paraître anecdotique, mais la confédération européenne des syndicats (CES), par exemple,
en avait fait l'un de ses chevaux de bataille.
C'est tout ? Oui, ou presque. Le renoncement le plus spectaculaire, côté parlement, porte sur le champ d'application de la
« responsabilité conjointe et solidaire ». En décembre, c'était l'un des volets les plus ambitieux du compromis: si un sous-traitant met la clé sous la porte, du jour au lendemain, le travailleur détaché qui en était l'employé peut se retourner, juridiquement, à l'échelon du dessus. Pour le dire vite : Bouygues devient responsable, en dernier ressort, de tous les salariés détachés d'un chantier Bouygues. Mais cette avancée n'est obligatoire que dans un seul secteur, celui du BTP. Pour les autres, c'est facultatif...
Or en juin 2013, une majorité d'eurodéputés de la commission emploi
avait plaidé pour que l'obligation porte sur l'ensemble des secteurs de l'économie – y compris dans l'agroalimentaire, ou les transports, où les fraudes, là aussi, sont nombreuses. La position était plutôt audacieuse, quand on connaît les équilibres européens sur le sujet. Il y avait donc un enjeu, pour le parlement, à jouer sa carte dans les « trilogues ». Mais l'affaire n'a rien donné, les négociateurs ayant, semble-t-il, capitulé d'entrée de jeu sur ce dossier très sensible.
De ce point de vue, la manœuvre rappelle les négociations sur le budget pluriannuel de l'Union, en 2013. Le parlement, qui avait fixé une position beaucoup plus ambitieuse à l'origine,
avait fini par se coucher, et accepter les grandes lignes de l'accord conclu quelques mois plus tôt lors d'un conseil européen de chefs d'État et de gouvernement, incapable de dégager des marges de négociations sur un dossier très délicat. À chaque sujet très sensible pour les capitales, les élus peinent toujours autant à exister.
« Tout n'est pas résolu », reconnaît l'eurodéputée EELV Karima Delli, qui s'est impliquée tôt dans ce dossier, et a voté pour le compromis. Mais
« toutes les formations politiques, dont le Front national, qui demandent "l'annulation" de la directive, se trompent. Détruire ce texte, arraché au forceps, condamnerait l'Union européenne à l'immobilisme, c'est-à-dire à la "loi de la jungle" et à la concurrence déloyale entre travailleurs européens, qui font le lit des populismes d'extrême droite et des eurosceptiques ». Karima Delli mise en particulier sur le texte sur les détachés en cours d'adoption en France, pour combler certaines des lacunes de la législation européenne (lire
ici et
là pour les discussions côté français).
Comme souvent à Bruxelles, l'alternative se répète, quand il s'agit de dossiers de cette complexité. Soit accepter quelques avancées, même modestes, qui vont dans le bon sens, mais qui peuvent aussi paraître bien dérisoires par rapport à l'ampleur du problème. Soit refuser en bloc, pour ne pas cautionner ces compromis forcément frustrants, et ne rien renier de ses ambitions de départ.
Ludovic Lamant