Mardi 2 septembre 2014
La première adjointe de Fabien Engelmann, maire FN d'Hayange et conseiller de Marine Le Pen, a payé pendant la campagne municipale des factures qu'elle n'aurait pas dû régler. Le maire risque un rejet de ses comptes de campagne et une peine d'inéligibilité. La direction du FN était informée depuis la mi-août. Mediapart publie les documents.«
Nous sommes prêts à gouverner », répète Marine Le Pen
depuis dimanche à l’occasion de sa rentrée politique. On peut encore en douter à voir la gestion de son conseiller « au dialogue social », le maire d’Hayange (Moselle) Fabien Engelmann. Depuis quelques jours, les règlements de comptes dans l’équipe municipale d’Hayange tournent au grand déballage, démontrant au passage l’amateurisme de certains élus frontistes.
D’après des documents réunis par Mediapart, l’adjointe au maire, Marie Da Silva, en conflit ouvert avec le maire depuis cet été, a bien payé certaines prestations destinées à la campagne électorale. En lieu et place du mandataire financier, ce qui est strictement interdit. Au vu des règles fixées par la Commission nationale des comptes de campagne et du financement politique (
CCNCFP), qui vérifie les comptes des candidats aux élections, Fabien Engelmann, un des onze maires Front national élu en mars, risque désormais de voir son élection invalidée.
Marine Le Pen et Fabien Engelmann, son conseiller politique « au dialogue social » et maire d'Hayange. © dr
Mi-août, Fabien Engelmann a dépossédé sa première adjointe de ses délégations (personnes âgées et affaires sociales). Lors de la campagne, le visage de cette ancienne déléguée syndicale CGT puis FO, une employée du
Républicain Lorrain de 52 ans, figurait sur toutes les affiches. Mais elle
accuse désormais le maire d'
« incompétence » et d'
« autoritarisme ». Le 3 septembre, lors d’un conseil municipal qui s’annonce houleux, elle redeviendra officiellement simple élue municipale.
Depuis mars, Hayange, 16 000 habitants, la ville des derniers hauts-fourneaux de Lorraine fermés par ArcelorMittal, est détenue par le Front national qui l'a ravie au PS. Mais quelques mois à peine après la victoire du FN, qui détient 23 des 33 sièges du conseil municipal, rien ne va plus. Arrivée le 1er juin, la nouvelle directrice des services, Elisabeth Calou, ex-candidate du Rassemblement Bleu Marine aux municipales à Saint-Cyr-sur-Mer (Var), a quitté la ville au bout de sa période d'essai de trois mois, sans donner d'explications.
L'affiche de campagne de F. Engelmann et M. Da Silva.
La crise couve depuis des mois.
« À la mairie, les gens sont tétanisés, témoigne Marie Da Silva.
Le maire ne cesse de régler des comptes personnels. Il fait pression sur les gens pour qu'ils partent, veut tout gérer. Il a déstabilisé le fonctionnement du centre communal d’action sociale, s’apprête à déloger les syndicats du local municipal qui leur était loué par la mairie. » L’adjointe n’a pas non plus apprécié les
« coloriages » du maire, qui a entrepris cet été
de repeindre une fontaine et un monument d’hommage aux mineurs lorrains.
Mais le conflit est surtout financier. L’adjointe affirme avoir payé de sa poche 3 000 euros de dépenses de campagne. En partie versée sur le compte personnel de Fabien Engelmann. Selon elle, la somme n'aurait été que partiellement remboursée, sans être déclarée dans les comptes officiels du candidat, déposés à la CNCCFP.
L'affaire a été révélée par une scène stupéfiante captée par un journaliste de
la Nouvelle Edition de Canal Plus, diffusée ce lundi 1
er septembre. On y voit l'époux de la première adjointe réclamer au maire, face caméra, 3 000 euros que le couple lui aurait versé dans le cadre de la campagne:
« Je veux mon fric. Tu as eu du fric en campagne que tu n'as pas déclaré. Je veux mon fric. » (voir la vidéo à partir de 14'50).
http://player.canalplus.fr/embed/?param=cplus&vid=1124603« Quand on a commencé la campagne, Fabien Engelmann n'avait pas un sou, raconte à Mediapart Marie Da Silva.
Il m'a demandé de lui avancer un peu d'argent. En novembre 2013, je lui fais un premier chèque de 1000 euros, à son nom. Ensuite, j'ai payé l'apéro "saucisson-pinard" lorsque Louis Aliot (vice-président du FN, ndlr) est venu à Hayange (le 29 novembre 2013, ndlr). Au total, j’ai déboursé 3000 euros. Ces paiements n'apparaissent pas dans ses comptes de campagne. » L’adjointe explique avoir déposé plainte ce mardi contre le maire pour « abus de confiance, abus de biens sociaux et harcèlement » au tribunal de grande instance de Thionville.
Fabien Engelmann confirme l’existence d’un chèque de 1000 euros, mais assure que c’est parce que
« M. Da Silva a acheté (s)a vieille Scénic (sic) ». Ce que l’intéressée dément:
« Il a vendu sa Scénic il y a quinze jours! ». Concernant la soirée avec Louis Aliot, si Engelmann confirme les dépenses et ne dément pas qu’elles ont été prises en charge par Mme Da Silva, il explique qu’il ne s’agit pas de dépenses de campagne et qu’elles n’ont donc pas été intégrées aux comptes de campagnes qu’il dit avoir transmis fin mai,
« dans les délais », à la CNCCFP.
En revanche, le maire confirme bien que c’est bien son adjointe qui, en mars, a réglé 1575 euros destinés à l’impression de « deux tracts »: « un quatre-pages couleur avant le premier tour des municipales, et un tract recto-verso avant le deuxième tour », précise Engelmann.
L'un des tracts en question, avant le second tour des élections municipales. © Mediapart
Comme en attestent des documents que Mediapart s’est procurés, la dépense a été réglée directement en espèces, via deux mandats-comptes, le 10 puis le 25 mars, à “Terre de Fer”, une association locale spécialisée dans le graphisme.
« Son responsable est un de nos électeurs », assure Engelmann.
Les mandats-comptes des 10 et 25 mars 2014. © Mediapart
Cet intermédiaire a ensuite passé commande le 25 mars, à un imprimeur sur Internet. La dépense n’a donc pas été réglée par le mandataire financier, Patrice Philippot, seul habilité à engager des dépenses aux yeux de la loi.
« La livraison devait se faire sous 48 heures, se justifie Fabien Engelmann.
Mon mandataire travaille beaucoup, il n’est pas toujours joignable. Marie Da Silva a donc versé une caution. » Pour ne pas éveiller les soupçons, le remboursement de l'adjointe s'effectue par un drôle de circuit : le 9 mai, c'est sa belle-fille qui touche de l'association " Terre de fer " le chèque de 1 575 euros.
Steeve Briois alerté dès le 14 aoûtPour se mettre en règle avec la commission des comptes de campagne, Fabien Engelmann a ensuite produit à la CNCCFP une attestation en bonne et due forme attestant que c’est bien le mandataire financier qui a réglé la facture.
« Un faux », assure Marie Da Silva.
« Mon compte est clean, ce n’est pas Bygmalion ! », rétorque Engelmann.
Joint par Mediapart, le trésorier et avocat du FN, Wallerand de Saint-Just, avoue qu’il
« patauge » sur ce dossier et qu'il
« ne conna(ît) pas la cuisine d'Engelmann ». Il nous renvoie vers Jean-François Jalkh, le vice-président en charge des élections, qui explique qu’il reviendra à la commission nationale des comptes de campagne d’estimer ces éventuelles irrégularités, mais argumente:
« À toute règle, il y a des exceptions. La commission tolère qu’il y ait certaines dépenses après la désignation du mandataire financier. Il y aura peut-être une discussion sur les dates, on verra ».
Pourtant, les règles de la commission des comptes de campagne
sont claires : seul
« le mandataire règle les dépenses engagées en vue de l’élection, à l’exception de celles prises en charge par les formations politiques et des concours en nature ». Autrement dit, ni un de ses candidats, ni un de ses colistiers ne peut le faire,
« sauf à de très rares exceptions », explique-t-on à la commission des comptes de campagne.
La CNCCFP, qui «
n’a pas encore instruit le dossier », refuse de se prononcer sur le fond de l’affaire. Mais elle précise qu’une prestation d’imprimeur ne fait pas partie des exceptions tolérées.
« C’est une grosse dépense, donc c’est le mandataire qui doit payer, dit-on.
Les dépenses directes, du candidat ou de ses colistiers, sont une cause substantielle de rejet des comptes ». Quand elle l’examinera, la commission pourrait donc rejeter automatiquement le compte de campagne de Fabien Engelmann. En cas de rejet de ses comptes, le candidat n’est pas remboursé. Et son dossier est transmis au tribunal administratif, qui peut décider d’une peine d’inéligibilité de un à trois ans. Marie Da Silva affirme avoir apporté ses preuves à la Commission des comptes de campagne le 29 août. Une information que la commission se refuse à commenter.
Selon nos informations, la direction du Front national a été alertée bien avant que la polémique n’éclate. Le 14 août, la première adjointe d’Hayange se rend à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais) avec des colistiers pour rencontrer le maire, Steeve Briois, qui est aussi le secrétaire général du parti. Après trois heures de discussion, ce proche de Marine Le Pen leur demande de lui transmettre des documents pour étayer leurs dires. Ce qui est fait le 22 août, dans un email dont Mediapart a eu copie.
Steeve Briois et Marine Le Pen, lors d'un meeting à Hénin-Beaumont, le 14 mars 2014.
Steeve Briois a visiblement fait état de cette rencontre à la direction du FN puisque le trésorier du parti nous confirme que
« des gens d’Hayange sont venus voir Steeve Briois ». Questionné par Mediapart, le maire d’Hénin-Beaumont balaie la question:
« Je ne vous répondrai pas parce que vous faites des articles pourris » (sic).
Fin août, deuxième alerte au Front national. Cette fois par Fabien Engelmann lui-même. Anticipant les révélations de son adjointe, l’élu téléphone à Jean-François Jalkh, le monsieur élections du FN.
« Il m’a fait état d’un litige avec sa colistière, et m’a dit qu’il comptait écrire à la commission des comptes de campagne. Je lui ai dit que c’était une excellente idée de matérialiser ce litige », explique M. Jalkh.
Le 1
er septembre, en amont du bureau politique du FN, au siège, à Nanterre, Marine Le Pen s’entretient de l’affaire avec Fabien Engelmann, pendant une demi-heure.
« On a vu Engelmann, on lui a dit “ c’est quoi ce truc ? " Marine Le Pen lui a dit de se démerder », rapporte Wallerand de Saint-Just. Le maire d’Hayange assure au contraire que la patronne du FN l’a assuré de son soutien.
Sollicitée, Marine Le Pen n'a pas donné suite. Questionné sur
France Info, mardi, elle a évoqué une
« affaire de Clochemerle » et tenté de minimiser l’affaire, préférant y voir
« un désaccord entre la première adjointe et le maire », et assurant qu'elle avait
« tendance à croire le maire ».
« Si la première adjointe a des éléments, qu'elle les montre, qu'elle les donne à la justice, c'est aussi simple que cela dans une République bien tenue », a-t-elle indiqué. Contacté, Florian Philippot, vice-président du parti en charge de la communication et bras droit de Marine Le Pen, nous répond qu’il
« ne parle pas à Mediapart ».
Mais dans le parti, certains prennent déjà leurs distances avec le maire d’Hayange.
« Les candidats du Front national, ce n’est pas le Front national. Ils sont indépendants, nous on ne peut pas tout faire ! Si le compte de campagne est rejeté, ce sera celui d’Engelmann », insiste Wallerand de Saint-Just.
« Sur la salade du compte, je me doutais qu’il y avait un problème », rapporte à Mediapart un cadre du FN, qui y voit les limites de son parti une fois au pouvoir:
« Dans cette affaire il y a beaucoup d’amateurisme et d’inexpérience. Il y a des gens qui débarquent en politique, puis qui sont élus… Nous sommes de très bons gestionnaires mais dans les municipalités Front national on se frotte aux réalités, on sort du laboratoire là…. ».
De son côté, Fabien Engelmann tente de décrédibiliser son adjointe qu’il avait pourtant choisie pour être sa numéro deux.
« Elle fréquente des groupes qui manifestent avec le GUD et a dit lors d’une réunion qu’elle était 100% raciste », lance le maire.
« On va trouver tous les défauts à la mariée, maintenant qu’elle lève le voile », ironise un cadre du Front national.
Mathieu Magnaudeix et
Marine TurchiMercredi 3 septembre 2014
Comptes de campagne à Hayange : un enregistrement met en cause le maire FN
Déchue de son mandat, la première adjointe d'Hayange (Moselle) accuse le maire de l'avoir poussée à payer des factures qu'elle n'avait pas à régler. Selon nos informations, un enregistrement audio met à mal la défense de l'édile.Le maire d'Hayange (Moselle), Fabien Engelmann, et sa première adjointe, Marie Da Silva, le 6 avril 2014. (JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP)
Les accusations
portées à l'encontre du maire FN de Hayange (Moselle), et plus particulièrement sur la facturation de ses dépenses de campagne, ne se résument-elles vraiment, comme le dit Marine Le Pen, qu'à une
" affaire de clochemerle " ? Rien n'est moins sûr. Plusieurs éléments – notamment un enregistrement audio – dont francetv info a pu prendre connaissance, mercredi 3 septembre, mettent directement en cause Fabien Engelmann, 34 ans, élu en mars dernier à la tête de cette petite ville de 15 000 habitants en Lorraine. En bref, ce dernier aurait poussé sa future première adjointe, Marie Da Silva, à régler des factures sur ses deniers personnels, une pratique rigoureusement interdite, qui pourrait coûter à Fabien Engelmann une peine d'inéligibilité.
L'affaire éclate le samedi 23 août. Ce jour-là, une équipe de
Canal+ tourne un reportage à Hayange, lorsqu'en pleine interview avec le maire de la ville, un homme – le mari de la première adjointe – intervient pour demander à l'élu de lui
" rendre les sous prêtés pendant la campagne ".
" Je ne sais pas de quoi tu me parles ", répond alors Fabien Engelmann, manifestement gêné, avant de proposer au journaliste de Canal+ de poursuivre l'interview à l'intérieur de la mairie. La scène n'est diffusée que dix jours plus tard. Mais entre temps, le mardi 26 août, Marie Da Silva apprend que
sa délégation de maire-adjointe lui est retirée. Une coïncidence, jure aujourd'hui Fabien Engelmann, qui assure à francetv info avoir pris cette décision pour sanctionner Marie Da Silva, après des propos racistes qu'elle aurait tenus lors d'une réunion à la mairie. Une accusation grave, que l'intéressée nie en bloc.
Des factures indûment payées par la colistièreA l'origine de ce règlement de comptes, un litige autour de règlements de factures durant la campagne électorale. Au total, l'adjointe affirme avoir dépensé en cash 3 600 euros en tant que colistière, pour des frais qui auraient dû légalement être réglés par le mandataire financier. Marie Da Silva explique notamment avoir pris à sa charge, en mars, la réalisation de deux tracts, commandés à une association locale pour un total de 1 575 euros, payés en mandats postaux
" sur ordre de Fabien Engelmann ".
Pourquoi avoir sollicité Marie Da Silva pour régler ces factures ?
" Il ne s'agissait que d'une avance en caution, assure le maire d'Hayange à francetv info.
L'imprimerie ne voulait pas lancer l'impression des tracts si elle n'avait pas l'argent immédiatement. Or mon mandataire financier travaillait toute la journée très tard. Le temps d'envoyer le chèque, ça prenait trop de temps. " Une explication qui diffère quelque peu de celle avancée dans une conversation téléphonique, enregistrée courant août, et que francetv info a pu consulter, mardi 2 septembre. Au cours de cette discussion, Fabien Engelmann explique que le mandataire financier n'avait en réalité
" pas assez d'argent sur son compte ".
Toujours est-il qu'afin de ne pas éveiller les soupçons concernant ces possibles irrégularités, la somme a ensuite été remboursée début mai, par un chèque de l'association à l'ordre de... la belle-fille de Marie Da Silva ! Un étrange montage qui remet en cause la notion même de caution, mais que Fabien Engelmann reconnaît dans cette conversation téléphonique enregistrée, et consultée par francetv info.
Un don de 1 000 euros non déclaré ?En outre, Marie Da Silva affirme qu'au mois de novembre, alors qu'il se lançait dans la campagne et n'avait pas encore obtenu son prêt, Fabien Engelmann lui a demandé 1 000 euros en liquide. Le don a finalement été fait par chèque, là encore sans être déclaré dans les comptes de campagne. Interrogé sur ce point par
Mediapart (article payant), Fabien Engelmann assure pour sa part que cette somme correspond... à la vente de sa voiture, rachetée par Marie Da Silva. Ce que cette dernière dément, Fabien Engelmann ayant vendu sa voiture, selon elle, pas plus tard qu'il y a quinze jours...
Quant aux apéritifs militants que Marie Da Silva affirme également avoir payé de sa poche pour plusieurs centaines d'euros – sans avoir été remboursée cette fois –, Fabien Engelmann estime qu'il ne s'agit pas de dépenses électorales, et qu'à ce titre, elles n'avaient pas à être prises en charge sur son compte de campagne.
Jusqu'où ira cette affaire que Marine Le Pen qualifie simplement de
" clochemerle " ? Mardi, Marie Da Silva a porté plainte au tribunal de Thionville (Moselle) pour "abus de confiance, abus de biens sociaux et harcèlement". Il y a quelques jours, elle a également déposé un dossier
" contenant toutes les preuves " à la commission nationale des comptes de campagne. Si celle-ci, après instruction, rejetait le compte de Fabien Engelmann, ce dernier pourrait alors voir son élection annulée par le tribunal administratif, et être frappé d'une peine d'inéligibilité. Le maire de Hayange, de son côté, affirme avoir saisi ses avocats, et se réserve le droit de porter plainte en diffamation. D'ici là, le conseil municipal de rentrée, mercredi soir, devrait être explosif.
Bastien Hugues, envoyé spécial de FrancetvInfo à Hayange