Un ordinateur qui rame et qui ne supporte pas plus de 3 onglets ouverts sur un navigateur web. Un téléphone portable vieux de deux ans et qui ne tient plus la route aujourd’hui. Une machine à laver « HS » après une dizaine d’années. Ces situations, on les a toutes vécues. Et pourtant, si elles nous paraissent familières, elles trahissent un manque de fiabilité de nos biens personnels. Ce phénomène, c’est l’
obsolescence programmée : le cycle de vie d’un objet est déjà déterminé avant même son achat.
L’Association pour la connaissance de l’électricité et de la lumière (Acel) organisait samedi 22 juin 2013, un débat au
musée de l’électricité de Dijon sur l’évolution des lampes. L’occasion de revenir sur les premiers pas de l’obsolescence programmée.
Tout débute avec un produit de consommation courant et banal : la lampe à incandescence. Dans les années 1920, la durée de vie d’une ampoule se situait aux alentours des 2.500 heures. La longévité était un argument de vente que les sociétés ne manquaient pas de mettre en avant, comme sur
cette affiche publicitaire datant de 1909 pour les lampes Tantale.
Produire moins bien, consommer plusCertains des industriels les plus importants d’Occident ont alors réalisé qu’ils n’avaient plus d’intérêt à produire des lampes à la durée de vie très élevée si ce n’était pour en vendre que toutes les 2.000 heures. Ils se sont réunis sous le nom de code du
cartel Phoebus. Composé – entre autres – par Philips, General Electrics, Osram ou bien la Compagnie des lampes, son objectif était de progressivement réduire la durée de vie de leurs ampoules, pour qu’elle n’atteigne plus que 1.000 heures. En seulement quelques années, les sociétés appartenant au cartel ne produisent plus que des lampes à la longévité divisée par plus de deux. La lampe qui ne vit que 1.000 heures est devenue un standard.
La communication envers le grand public change. La longévité n’est plus l’argument de vente, mais la « qualité du filament » à l’intérieur de l’ampoule. Ironique quand on sait que ce filament de fer a été étudié pour être plus fragile que sur les précédentes lampes. Pour se rappeler qu’avant la course au profit les produits étaient faits pour durer, une ampoule éclaire sans interruption la caserne de pompier de Livermore, en Californie, depuis maintenant 112 ans. Et comme un symbole de durabilité, la lampe, qui est
filmée continuellement en direct sur Internet, a « survécu » à deux webcams.
Si le cartel Phoebus peut paraître comme étant un exemple très lointain, alors que penser de l’abandon de cette lampe incandescente, au profit des fluocompactes, des halogènes et des LED ? Pour Pierre Chaillot, membre de l’Acel, le doute n’est pas permis, « c’est surtout pour satisfaire certains intérêts ». Les forces et les faiblesses de ces trois lampes dites à basse consommation diffèrent selon leur utilité. Le rendu des couleurs n’est pas le même que celles des lampes incandescentes, même si il s’affine avec le temps, les LED peuvent abîmer la rétine si le regard est prolongé dessus, les ampoules fluocompactes contiennent de la vapeur de mercure qui pourrait être dangereux pour la santé…
Leur prix est également plus élevé, notamment pour la LED, où le marché est encore un peu étroit, mais néanmoins prometteur. Surtout, aucune de ces trois types de lampes ne peut remplacer intégralement celle à incandescence. Pourquoi ? « Parce qu’elles ne peuvent pas remplir toutes ses fonctions et caractéristiques. N’espérez pas remplacer la lampe de votre four avec une LED ou une fluocompacte », s’amuse à comparer Pierre Chaillot.
L'obsolescence programmée, ciment de notre société de consommation Plus largement, l’obsolescence s’est étendue sur de nombreux autres produits de consommation courante. Historiquement, après les lampes à incandescence, ce sont les bas en nylon qui furent « victimes » de leur fragilité désirée dans les années 40. Plus récemment, l’iPhone 5 a rendu obsolète tous les câbles le reliant à différents périphériques en modifiant sa prise « dock », obligeant tous ses possesseurs à s’équiper en fonction de leur modèle, donc à consommer davantage.
C’est toujours ce même iPhone 5 qui a rendu désuet l’iPhone 4, moins grand et « moins beau » : c’est l’obsolescence programmée par l’esthétique et le design. En jouant sur la tendance et en modifiant quelques détails d’apparence, c’est toute une gamme de produits qui devient désormais passée de mode. Ce type d’obsolescence visuelle a été initiée par General Motors au début du 20ème siècle, qui voulait à tout prix prendre des parts de marché à Ford, qui surfait sur le succès de sa Ford T. Une stratégie qui est désormais le centre névralgique du
capitalisme.
Si l’on se sépare d’un objet parce qu’il est démodé, parce qu’il n’est plus compatible ou parce qu’il n’est plus adapté à de nouvelles exigences, on oublie assez souvent qu’il fonctionne toujours. La production effrénée se fait aux dépends de l’optimisation. Comme en témoigne Warner Philips, petit-fils des fondateurs de la multinationale, dans le documentaire
Prêt à jeter, « le développement durable n’était pas un centre de préoccupation à l’époque du cartel Phoebus ».
Or, notre planète a des ressources limitées et en continuant sur ce modèle frénétique, nos déchets vont augmenter progressivement et ce qui n’est pas recyclable terminera à la décharge, non sans un impact écologique fort. Un
rapport du Centre national d’information indépendante sur les déchets (Cniid) datant de 2010 met en alerte quant à l’extraction des matières premières et leur consommation qui a « augmenté de 50% en 30 ans ».
Dans notre société, il est devenu plus naturel de jeter plutôt que de réparer. Jusqu’à quand ?
Valentin Euvrard