Mercredi 5 novembre 2014
Une commission européenne contre les peuples
Après seulement trois heures de débats en plénière, les 423 députés européens, libéraux de l’ALDE (Alliance des démocrates et libéraux pour l’Europe), pseudo-socialistes de Socialistes & Démocrates et de la droite du PPE (Parti populaire européen) ont voté en faveur du nouveau collège de commissaires. Une Commission « de la dernière chance » selon Junker, adoubée en fait pour le malheur du continent.
La farce pseudo démocratiqueLe président de la Commission européenne est désormais de la couleur politique du parti majoritaire aux élections européennes. Cette nouveauté introduite par le traité de Lisbonne (art.17 §7) est présentée comme une grande avancée démocratique. Pourtant le traité confie au Conseil européen la tâche de proposer le président de la Commission et lui donne la possibilité juridique d’avancer le nom d’un candidat indépendamment du résultat des élections. Le Parlement, composé de représentants des peuples, ne dispose lui que d’un droit de veto. C’est ainsi que le libéral Jean-Claude Juncker est devenu le candidat désigné pour être Président de la Commission européenne. Rappelons que celui-ci a été le premier ministre d’un paradis fiscal (le Luxembourg) et le Président de l’euro-groupe, instance, membre de la Troïka, qui a piloté la réponse austéritaire de la zone euro à la crise, en poussant les États à réduire les déficits publics et à raboter les droits des citoyens, salariés et retraités. Main dans la main, droite et sociaux-libéraux européens ont poursuivi leur alliance européenne au Parlement en unissant leurs voix pour élire, à bulletin secret, le candidat unique Jean-Claude Juncker. La Commission change de visage, pas de politique.
Coup de force contre le parlementAlors que le Parlement avait exprimé des doutes sur 6 des 28 candidats commissaires et demandé un rattrapage pour 4 d’entre eux, Juncker est passé en force pour imposer son collège après quelques ajustements pour la forme.
Ainsi la politique du médicament que Jean Claude Juncker avait subrepticement attribué au commissaire en charge de l’industrie, telle une marchandise, revient tout de même dans le giron du commissaire en charge de la santé. Tandis que la politique de l’espace, initialement incluse, selon une étrange logique, dans le portefeuille des transports dépendra finalement de celui du marché intérieur.
Mais le Hongrois Tibor Navracsics, proche de Viktor Orban, dont le gouvernement promeut ouvertement des politiques discriminatoires envers les Roms et laisse prospérer un antisémitisme de type nazi, reste au poste de commissaire à l’éducation et à la culture. Certes la citoyenneté qui faisait partie de son portefeuille, passe aux mains du commissaire à l’immigration. Cela est cependant peu au regard de la levée de boucliers légitimement provoquée par sa nomination.
Seule la solvène Alenka Bratušek est sacrifiée, en gage de « respect » à ce Parlement. Elle est remplacée, dans un jeu de chaises musicales par Violeta Bulc, une autre Slovène libérale.
Une Commission au service des multinationalesNotons que la régulation des services financiers est confiée au conservateur britannique Jonathan Hill. C’est lui qui devra mettre en œuvre l’Union bancaire, système unique des dépôts, alors même que son pays n’y participe pas. Le fait que M. Hill soit un lobbyiste professionnel aurait dû jouer en sa défaveur. Il affirme s’être récemment séparé des parts qu’il détenait au sein du cabinet de lobbying qu’il avait lui même fondé.
De même l’espagnol Miguel Arias Canete devient commissaire à l’énergie et à l’action climatique alors qu’il est surtout connu pour avoir réduit les subventions aux énergies renouvelables dans son pays et pour être un ancien dirigeant de compagnies pétrolières (aux Canaries), aujourd’hui dirigées par ses fils. Compagnies dont il est toujours actionnaire.
La Suédoise Cecilia Malmström décroche, elle, le Commerce et donc la négociation du Traité transatlantique. Elle défend bien sûr le principe des tribunaux d’arbitrage réclamés par les firmes transnationales pour s’affranchir de la loi des Etats. Après avoir fait mine de s’en éloigner, elle a réaffirmé ce soutien lors de son audition (voir A Gauche n°1409).
L’Italienne Federica Mogherini, est nommée chef de la diplomatie européenne et donc vice-présidente de la Commission. Sa candidature avait été contestée par plusieurs pays de l’Est, qui l’accusaient d’être prorusse. Elle a su leur démontrer le contraire en affirmant que « la Russie n’est plus un partenaire stratégique de l’Europe » ajoutant à cela que « les États-Unis sont le principal partenaire stratégique de l’Europe ». Faisant ainsi la preuve de sa totale allégeance atlantiste.
Moscovici, l’européen austéritaireTriste camouflet pour la France : si Pierre Moscovici décroche finalement les affaires économiques et financières il devra en référer à deux vice-présidents. Le Finlandais Jyrki Katainen, en charge de la croissance et de la compétitivité mais surtout chantre de l’austérité et de l’orthodoxie budgétaire pour laquelle il a été nommé en 2008 « meilleur ministre des Finances d’Europe » par le Financial Times. Et le Letton Valdis Dombrovskis, en charge de la gestion de l’euro et du dialogue social après avoir imposé à son pays une cure d’austérité pire que celle infligée à la Grèce entraînant une profonde récession. Tous deux laisseront peu de marge de manœuvre au commissaire français qui a pourtant tout fait pour convaincre ses collègues libéraux.
Lors de son audition, soucieux de convaincre le PPE et l’Allemagne, Moscovici a donné des gages de rigueur et d’européanisme. Il a ainsi cru bon de rappeler sa participation au groupe de travail attaché à la rédaction du Traité Constitutionnel Européen, rejeté par les Français en 2005, de même que son attachement à l’euro sans bien sûr n’émettre aucune critique de la politique monétaire menée jusqu’alors. Il a aussi cherché à assurer qu’il serait bien le commissaire de l’austérité en saluant le travail « nécessaire » effectué par la Troïka. Commissaire autoproclamé de l’austérité il a surenchéri : « Vous pouvez compter sur moi en tant que Commissaire pour s’assurer que tous les États membres respectent le Pacte budgétaire », revenant même sur ses promesses sur les euro-bonds dont le temps n’est finalement « pas venu ». Volte face également sur la taxe sur les transactions financières promise qui ne concernerait finalement que « certains » produits dérivés, et sans garantie quant à l’utilisation de ces fonds pour la lutte contre la pauvreté. Battu lors de deux élections successives, municipales et européennes, avec son parti le PS, Moscovici est emblématique de la Commission européenne : déconnecté de toute volonté populaire et au service de l’oligarchie financière.
Aigline de Causans