Jeudi 13 novembre 2014
Réforme territoriale : Hollande éclate la France
Le 28 octobre, Manuel Valls était devant le Sénat, à l’invitation de Gérard Larcher, pour faire le point sur la réforme territoriale. La date ne pouvait mieux tomber : elle marquait le retour en 2
ème lecture du projet de loi sur le redécoupage territorial de la France. Elle coïncidait aussi avec le passage au Parlement du budget pour 2015 ainsi qu’avec l’avis rendu sur celui-ci par la Commission européenne avant même que les représentants du peuple en soient saisis. Les pièces pouvaient alors s’imbriquer.
Des gages à Bruxelles
La réforme territoriale étant selon Manuel Valls
« la mère de toutes les batailles », le Premier Ministre devait envoyer un signal tangible à la Commission européenne. Les élections départementales sont ainsi confirmées aux 22 et 29 mars prochains. Les régionales, annoncées en juin dernier pour décembre 2015, ne sont quant à elles pas encore fixées, Valls jouant du calendrier électoral comme d’autres de la gâchette pour mieux éliminer ses oppositions internes au sein du PS.
Mais il fallait donner plus. Le 2 juin 2014, le Conseil européen demandait en effet
« que la France s’attache, durant la période 2014-2015, […] à fixer un calendrier clair pour le processus en cours et à prendre des mesures préliminaires, d’ici à décembre 2014, en vue d’éliminer les doublons administratifs, de faciliter les fusions entre les collectivités locales et de préciser les responsabilités de chacun des échelons des collectivités locales ». Après le re-basculement à droite du Sénat le 28 septembre, Manuel Valls donnait des gages : la réforme territoriale se ferait et
« la clarification en est l’objectif », le passage du projet de loi sur le transfert de compétences devant le Parlement étant programmé dès la mi-décembre.
Manuel Valls rassurait aussi ses amis bruxellois sur la suppression des
« échelons ». Après avoir annoncé la disparition des départements lors du discours de politique générale le 8 avril 2014, il avait depuis échafaudé un scenario modulable selon que les départements soient au sein d’une métropole (disparition), en zone de montagne ou rurale (maintien) ou ailleurs (remplacement du Conseil départemental par une assemblée des représentants des nouvelles intercommunalités). Il avait aussi assené
« qu’après 2020, le paysage territorial aura évolué », autrement dit que le travail de
« dévitalisation » des départements par transferts de compétences aura alors fait son œuvre. La disparition sera alors, dans les faits, effective.
Des budgets sous tutelle
L’union européenne a également été entendue pour le budget, elle qui demandait
« à fixer un plafond pour l’augmentation annuelle des recettes fiscales des collectivités locales tout en réduisant comme prévu les subventions octroyées par l’État » (recommandations du Conseil, 2 juin 2014). Le Premier Ministre jonglait ce 28 octobre entre le Sénat et l’Assemblée Nationale, où était adopté, avec l’abstention des
« frondeurs », le projet de loi de financement de la sécurité sociale. D’une chambre à l’autre, Valls déclinait la baisse de 3,7 milliards d’euros pour 2015 de la dotation aux collectivités locales. Depuis Sarkozy en 2008, celle-ci est passée de 40,06 Mds€ à 36,6 Mds€ en 2015 soit un recul de près de 10 % ! Comme un fait exprès, 3,7 Mds€, c’est aussi la somme que le gouvernement a sorti de sa poche le 28 octobre pour
« réduire le déficit » et obtenir l’adoubement de Bruxelles sur le budget.
La République atomiste
Manuel Valls ne s’est pas contenté de s’adresser à Bruxelles du haut de la tribune du Sénat. Pendant que la caste médiatique agitait le hochet que lui tendait Valls avec la fusion des régions (14, 12, 15, 13…), il s’en prenait à la République. Sa nouvelle trouvaille ? Vouloir
« adapter la réforme territoriale ». Autrement dit faire du particulier dans le particulier, adapter une loi qui est elle-même atomiste. La Loi, et plus encore lorsqu’il s’agit d’un cadre institutionnel, doit nécessairement partir du général. Manuel Valls, lui, inverse l’ordre de ce qui fait sens commun pour partir des spécificités locales et en tirer une loi dérogatoire faite
«d’expérimentations ». Le problème n’est dès lors pas simplement constitutionnel. C’est d’abord une remise en cause de ce qui prévaut à l’unité et l’indivisibilité de la République. La loi à géométrie variable de Hollande se reflète dans la loi expérimentale de Valls.
C’est sur ce modèle dé-constituant que Manuel Valls a annoncé vouloir affaiblir l’État. Non content d’annoncer qu’il va
« renforcer les régions » et
« faire émerger le couple régions-métropoles », le Premier Ministre précise que
« les régions devront bénéficier de leviers puissants, de leviers stratégiques, pour préparer l’avenir de notre pays ». Voilà donc l’avenir du pays remis entre les mains des régions, comme si la France était déjà un état fédéral ! Mais Valls va plus loin et développe sa méthode. Il se dit ainsi
« favorable à de nouveaux transferts de compétences » de l’État vers les régions
« en matière de développement économique et d’accompagnement vers l’emploi », sous formes d’expérimentations pour ce dernier point. Où comment faire d’un échec sur le front de l’emploi une opportunité pour déliter la République ! La réforme de l’État qui va de pair avec la réforme territoriale sera bien celle de son dessaisissement.
Et le peuple là-dedans ? Point trop n’en faut. Le modèle démocratique de Valls, ce sont les intercommunalités :
« Avec l’élection des conseillers communautaires par fléchage, l’intercommunalité a enfin trouvé la légitimité démocratique qui lui manquait ». Avec une telle mise à distance du peuple, Valls sait pouvoir dérouler dans ces lieux la politique commune de la caste :
« Nous devrons toujours garder à l’esprit que la gouvernance intercommunale, pour être efficace, doit reposer sur l’accord de chacun ». De fait, pour Manuel Valls,
« l’intercommunalité c’est aussi ce lieu où bien souvent l’intérêt général prime, où les élus dépassent les clivages locaux ou partisans ». Les élus communaux apprécieront. Le peuple aussi, lui qui dans la vie rêvée de Valls n’est donc plus le dépositaire de cet intérêt général. Il est au contraire urgent qu’il le redevienne. Face à la réforme territoriale de Hollande et Valls, vite, la 6
ème République.
Rythmes scolaires
Le 28 octobre, Manuel Valls a annoncé devant le Sénat.la suppression de la suppression pour 2015 du fonds d’amorçage pour les rythmes scolaires. Cette mesure qui figurait dans le projet de loi de finance (art 55) prévoyait la suppression de la part fixe (pour tous les élèves et toutes les communes) du fonds de compensation distribué par l’État aux communes. Devant le tollé suscité, Valls a reculé. Mais au-delà de 2015, rien n’est garanti. Ce retrait ne peut être qu’un premier pas. C’est désormais le décret sur les rythmes qui doit être remisé. Car par cette annonce à l’occasion d’un discours sur la réforme territoriale, Manuel Valls a fait lui-même le lien entre l’un et l’autre et de lever le voile sur l’enjeu réel de la réforme des rythmes scolaires : la territorialisation de l’éducation.
François Cocq