L'Humain d'abord - Pour une 6ème République
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 Dessine-moi sur une orange (Jean-Luc Mélenchon)

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MessageSujet: Dessine-moi sur une orange (Jean-Luc Mélenchon)   Dessine-moi sur une orange (Jean-Luc Mélenchon) EmptyMer 14 Aoû - 15:42

Derniers chemin de traverse avant la reprise sur ce blog. Mon feuilleton de l’été touche à sa fin. Sur un coup de tête de dernière minute, je me suis enfoui dans un moulin sur l’Aveyron que j’ai quitté ce lundi avec une nostalgie poisseuse qui me colle encore aux méninges. J’ai vécu quatre jours hors du grille pain mondial, là où ne passe ni le wifi ni les clefs « 3G » et qu’une prudence méritoire de mes hôtes a également privé du téléphone filaire. C’est presque une aventure de nos jours. Ma méditation sur le temps et l’espace a connu quelques rebondissements qui ont alourdi mes réflexions sur la nature du temps et de la distance. Car j’achève avec ce post mon feuilleton sur l’épisode La Condamine que j’ai cru possible de publier dans ce creux de l’été.

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Il faut reprendre le collier. Je le fais à petit pas, en trainant les pieds, sans parvenir à ranger ma goyavera. Je me suis risqué à jeter un œil sur un quotidien. Ce fut pour y apprendre que ce pauvre Jean-Marc Ayrault a ramené en Calédonie la tête d’Ataï, grand chef rebelle des Kanaks. Elle était conservée dans un bocal au Musée de l’Homme. Aussi incroyable que cela soit, en 1878 des scientifiques au Musée de l’Homme pensaient servir la science avec ce genre de prélèvement. Nier l’humanité des vaincus ne leur faisait pas problème. J’avais demandé cette restitution en 1986, au cours de la discussion sénatoriale sur le statut de la Nouvelle Calédonie. Ayrault, aigre sectaire, ne pouvait l’ignorer. Si vous cherchez une photo de cette tête, elle se trouve dans mon compte rendu de mandat numéro un, à la Bibliothèque nationale de France. A l’époque on m’avait fait savoir que le bocal concerné était perdu. Et, d’un autre côté, on m’avait demandé d’en rester là, compte tenu des difficultés que soulèverait le point de savoir à quelle tribu on rendrait ce terrible reste. Apparemment la question est réglée. Cette tête a été retrouvée et on sait à qui la remettre, je suppose. J’en déduis qu’on pourrait rendre aussi les autres restes qui se trouvent encore au Musée de l’Homme. Ils proviennent du même massacre. Il s’agit d’un certain nombre de mains coupées et conservées, elles-aussi, dans du formol. Je suis certain que cet aigle d’Ayrault y a songé. Il compte certainement rendre ces restes, et quelques autres dont personne n’a dû lui parler, en fonction des besoins de sa communication. Qui n’est vraiment pas au top. Exemple cette séquence de l’accueil des enfants sans vacances conviés à piqueniquer en compagnie du premier ministre costume trois pièces chaussures vernies sur la pelouse. Un monument d’indécence. Assorti d’un couplet style la mère Denis : « j’adresse ce message : ceux qui n’ont pas de vacances ont aussi droit à des vacances » ! « Ben oui, rantanplan, on en parlera au gouvernement et on votera à gauche pour ça la prochaine fois ». D’ici là pique-nique à Matignon pour les pauvres. Zut, ça y est je vais vomir mon quatre heures ! Allez zou, encore un peu de promenade au large des sentiers battus.

Du locro de papa et du rouge argentin

J’ai raconté comment les Jésuites furent mobilisés pour faire un culte chrétien avec des habitudes prises en cachette par les indiens de la province de Cotopaxi dans l’actuel Equateur. En effet, deux cent ans après la conquête espagnole, ceux-là célébraient encore la mémoire du dernier Inca, Atahualpa, au moyen d’une poupée sacrée qui le représentait déjà de son vivant. Coïncidence, pendant ce temps, à quelque kilomètres de là et presque à la même époque, La Condamine bouclait ses bagages du retour chez son ami le marquis de Maenz. C’était un de ces marquis romantiques, typiques de la période coloniale, qui faisait de la science par convictions politiques et philosophiques. Ces lignées de nobles créoles seront ensuite d’ardents partisans de Simon Bolivar et de la cause indépendantiste. A mon tour, je me suis rendu dans la maison du marquis. Au bout de l’allée d’eucalyptus qui conduit au perron de la demeure, une grande pierre gravée marque le souvenir du passage de notre compatriote. Son projet était de finir le séjour sur la moitié du monde par une mesure sérieuse et précise du Cotopaxi, mon volcan fétiche depuis mon expédition au Malki Machaï. Ma parole ! Je me demande ce que La Condamine n’a pas mesuré en Equateur ! Désormais le lieu fondé en 1580, est une hôtellerie : l’auberge la Cienga. Elle est très fréquentée en dépit d’un certain isolement dans la nature, au milieu d’un virage de la route qui mène vers Issinche. C’est un haut lieu de l’histoire équatorienne. Il s’y est ourdi toutes sortes de complots politiques. Mais les deux mètres d’épaisseur des murs en pierres volcaniques n’empêchent pas une certaine fraicheur humide.

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L’actuel propriétaire la combat avec le sourire et le souci d’efficacité. J’y ai déjeuné avec Tamara Estupinan, l’historienne et son époux Jaïme. On comprend donc que j’ai choisi de manger un « locro de papa », une soupe épaisse qui diffuse une chaleur bienvenue. Je l’ai préférée à ce plat « d’humitas » que je m’étais d’abord promis de déguster, fait avec de la farine de maïs, du jaune d’œuf enveloppé dans une feuille de bananier et cuite au bain-marie. J’ai également renoncé au jus de Guanabana ou à celui de «tomate de l’arbre» dont je suis raffolé, pour un verre de rouge argentin plus confortable et calorique. Ainsi lesté, la visite des lieux qui m’a été offerte ensuite n’en a été que plus apaisée. On n’a pas manqué de me rappeler le souvenir de la visite de l’illustre Alexander Von Humboldt. Ce scientifique allemand était venu étudier à son tour, et bien plus tard, le volcan alors en activité. Mais lui resta sur place plus que nécessaire à la science du fait de ses amours avec le maître des lieux, si j’en crois ce que m’en ont dit des langues bien informées. D’autres, avant ou après, et les deux à la fois aussi sans doute, avaient préféré les marquises dont l’une se faisait tirer le portrait bien dénudée. On peut en admirer le souvenir sur les murs de la grande chambre, grâce aux tirages qu’elles faisaient faire de ces clichés, loin et bien, c’est-à-dire à Paris où a été inventée la photo. Je m’égare. Le rouge argentin m’aura-t-il trop réchauffé ? Pas au point de me faire perdre de vue l’essentiel. Jamais la représentation de soi ou du monde n’est un acte neutre. Il donne à voir ce qu’il veut signifier davantage que ce qui est. Voici justement l’ami Christobald le géographe équatorien qui vient nous aider à y réfléchir.

Christobald arrive ici à point nommé pour interroger la représentation du monde qui nous est si familière. Voyez un globe. Le nord est en haut, le sud est en bas. Pourtant le haut et le bas n’ont pas de signification dans le vide qui entoure les planètes. Tout dépend de la position de l’observateur. Cette représentation est donc un message où le nord est dominant. On connait la mappemonde de Mafalda, petite héroïne de bande dessinée d’origine latino-américaine: elle montre le contraire. Le sud est en haut, le nord en bas. L’humour ici nous aide gentiment à comprendre. Qui n’a jamais remarqué comment chaque pays se place au centre de la carte du monde quand il imprime des planisphères. Mais si nous devions chercher un repère stable et universel en trouverions nous un ? « Oui, » dit Christobald. Ce n’est pas celui auquel nous aurions pensé autour de cette table ce jour-là, car personne ne trouva la bonne réponse. Ce repère existe. Où que l’on soit dans le monde, le soleil se lève à l’est. L’est est le repère commun universel. Et c’est en se calant sur l’est que l’on peut observer toutes les régularités de la voute céleste et construire un calendrier où les solstices et les équinoxes se notent sans mal ! Le soleil se déplace sur le cadran du ciel d’un bord à l’autre et passe d’un extrême à l’autre en un an. La bonne représentation de la planète doit donc mettre l’est «en haut » et l’ouest « en bas ». Géopolitiquement c’est ultra correct ! En effet conformément à la réalité personne n’est toujours « en haut » ni toujours « en bas ». L’axe de la terre est alors l’Equateur, comme un point d’équilibre. Pour finir de nous fasciner, Christobald demande un fruit rond. Le serveur lui amène une orange. Il dessine la ligne d’équateur et d’une main incroyablement précise la grande masse de chaque continent. Cinq minutes, montre en main. Et il fait tourner dans ses mains l’orange inclinée à 23 degrés. Bon sang ! C’est parfaitement clair. C’est vérifiable n’importe où par n’importe qui. L’image est une réalité davantage parlante que la chose elle-même. En fait le signe est la chose socialisée. La grammaire a-t-elle jamais été autre chose ? 

Temps et organisation sociale

A La Cienga, La Condamine savait-il qu’il participait à la fin d’un monde ? Certes, le calcul des distances et de la mesure des choses qu’il amenait avec ses instruments était moins précis, sur bien des points, que celui des indiens du lieu du temps de leur splendeur. A preuve la précision exacte de leur positionnement de la ligne équatoriale vérifiée par l’actuel GPS et l’erreur de quelques mètres commise par le Français. Mais la mesure de l’espace qu’opérait La Condamine s’effectuait au prix d’un bouleversement des paradigmes de la cosmogonie d’ancien régime et de la « science baroque » des Jésuites du coin. Et elle marquait l’avènement d’un espace-temps social nouveau. Celui du commerce maritime roi, des tirs de canon mathématiquement ajustés, et ainsi de suite. La Condamine savait ce qui était en jeu aussi bien avec les mathématiques qu’avec la mondialisation de son époque. D’ailleurs lui et Voltaire se sont fait quelques juteux profits en spéculant sur une loterie… Et Voltaire de son côté, avec son ami Newton avait fait quelques très bonnes affaires dans le commerce international. Quoiqu’il en soit de ces messieurs, l’idée que l’on se fera de la distance et du temps ne seront plus les mêmes après le travail de la mission géodésique. Il faut prendre cette affirmation au pied de la lettre.

La mesure de l’espace est surtout un avatar de la mesure du temps. Pouvait-on le concevoir avant notre monde actuel ? La Condamine en avait eu l’intuition en proposant que l’unité de mesure universelle soit la distance parcourue pendant une seconde par un balancier posé à l’Equateur. Evidemment le problème c’était encore la fiabilité de cette opération du fait de l’instrument pour la réaliser. J’ajoute que la masse du lieu de l’observation suffit à déformer la mesure. Cela fut établi pour la première fois au cours même de cette expédition à l’occasion de la mesure du volcan Cotopaxi. Cela est mille fois confirmé par la science contemporaine et spécialement par la théorie de la relativité. Dans l’univers humain non plus, ni l’espace ni le temps n’ont de valeur absolue. La datation à partir de la place de la planète autour du soleil est une convention sans signification pour un trader contemporain qui joue entre la nuit et le jour selon la localisation des places boursières. Quant à la longueur d’une distance c’est là encore une convention. Selon que l’on fait le tour de chaque caillou qui la compose en tant que fourmi, où que l’on tire d’une pointe du rivage à l’autre avec des bottes de sept lieues, la longueur d’une côte par exemple varie du tout au tout.

Cette relativité des mesures continue dans l’univers social. Là, L’espace et le temps sont des faits sociaux. Et ils sont corrélés. La distance et le temps marchent ensemble. Dans notre vie quotidienne, est-ce que le temps de transport n’est pas le seul repère que nous utilisons pour mesurer la distance ? Et dans ce cas, le temps se montre alors bien comme un fait fondamentalement social. Ici le temps de transport ne dépend il pas du véhicule, de qui décide de son parcours et de ses étapes ? Hier comme aujourd’hui le temps de transport n’est-il pas d’abord, cent pour cent, un fait matériel technique où il est question de vitesse de croisière, de vent dans les voiles, et une fois à terre, de même avec ce que l’on voudra entre l’âne et la moto et même tout simplement une bonne paire de jambes qui ne prennent qu’une heure pour faire cinq kilomètres ? Et tout cela dépend bien sûr du degré de développement technique d’une époque. Voile ou moteur, voiture ou charrette, ce n’est pas du tout pareil.

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Derrière ces vitesses, il y a tout un monde social qui les rendent possible et en ont besoin. Je suis désolé d’insister sur cette dimension sociale du temps au prix d’une certaine lourdeur de l’exposé. Mais je sais d’expérience combien il est difficile de renoncer à l’idée d’un temps « objectif » qui aurait une réalité en dehors des interactions de la réalité. Et par suite, pour ce qui nous concerne, en dehors des relations sociales dont il est un des enjeux centraux et peut-être celui autour duquel tout se construit.

Car il existe bien un métronome social, c'est-à-dire l'ensemble des dates, rendez-vous, point de passage, durée de toute sorte, temps contraints de toute nature, par lesquels passe toute la société. Dans la réalité, ce « métronome » produit une grammaire c'est-à-dire un ensemble de règles qui définissent la façon dont s'articulent, se déclinent, se succèdent les différents temps sociaux. Cette architecture construite sur les réalités du temps social est cachée. Elle constitue la dimension invisible de notre monde. Mais elle forme un tout qui s’impose d’autant plus violemment à chacun que nous n’en n’avons pas conscience comme d’un fait qui n’a rien d’une évidence. J’y pensais, mon nouveau châle d’alpaca sur les épaules, en marchant sur le site d’Inga Pirca où je me trouvais au départ de Cuenca en Equateur. J’ai lu depuis que La Condamine est aussi passé par là et qu’il y a fait la mesure et la description de ces ruines. L’exercice a, parait-il, déclenché un intérêt nouveau parmi les créoles de l’époque pour le passé de leur pays qui tourna à un nouveau développement de la conscience nationale alors naissante. Du site créé par les indiens canaris et occupé ensuite par leurs envahisseurs incas, il ne reste pour l’essentiel que le tracé dans le sol des fondations. Face à face, le « temple » du soleil et celui de la lune forment un arc de cercle incomplet selon la tradition, et une pierre bien située permet de tracer l’axe des 23 degrés d’inclinaison de la terre. Le merveilleux est de voir dessiner sur le sol les lignes alignées sur des trajectoires de la voûte céleste. Une dimension que les bâtiments et les passages devaient rendre invisibles à ceux qui ne savaient pas les voir. Mon guide me montre un emplacement et, en désignant une vaste esplanade, il me dit : « on pense que c’était là leur jardin potager ». Puis il s’interroge à haute voix : « Je me demande pourquoi ils avaient ça ». Et moi, comme si j’étais chez moi je lui réponds : « Pour vérifier leurs calculs ». On a ri ensemble.

Les aventures du temps

Pour arriver jusqu’à l’enjeu politique de ce que je suis en train de décrire, je voudrais arriver à montrer à ceux qui n’ont pas eu l’occasion d’y réfléchir que le temps n’est jamais autre chose que la mesure que nous en faisons. Il existe autant de « temps » que de mesures. L’affaire se complique quand on sait que chaque chose a une temporalité propre. Pour s’en faire une idée il suffit de regarder ces films ou l’on voit « en accéléré » l’éclosion d’une fleur ou la pousse d’un arbre. Nous avons un ressenti intuitif du « temps » de chaque chose. Une expression populaire particulièrement juste dit « chacun va à son rythme ». Car toutes les mesures du temps ne font qu’indiquer un rythme. Par exemple, les années sont juste le rythme d’un tour de soleil par la planète. Et s’il y avait un temps absolu, qu’est-ce que cela pourrait bien être sinon la fréquence la plus courte qui se puisse imaginer ? Ou bien la plus longue. Ce serait encore un choix, donc une convention. Par là nous accédons à l’idée que le temps est un résultat, une production de l’univers matériel. Pour moi, il faut aller au bout de cette idée et comprendre, en matérialiste, que le temps est l’acte par lequel l’univers matériel est produit et reproduit sans cesse par tous les éléments qui le composent. En ce sens il n’est juste qu’une propriété de l’univers matériel résultant de son auto production. Peut-on se représenter la chose ?

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De passage au musée de l’Alabado à Quito, j’ai observé un objet comme je n’en avais jamais vu et qui me fascina. Une petite statuette que je considère comme un évènement dans ma vie d’observateur. Il s’agit, selon la notice qui le décrit, d’une représentation du temps. Je ne sais pas d’où cette identification est venue. Mais la notice n’émet pas de doute à ce sujet. L’objet est une sculpture. C’est une sorte de barre rectangulaire. La tranche est une face sculptée. Elle montre une figure de « l’ancêtre », partagée de haut en bas par les trois repères universels du monde indien : le bas dans le passé et la nuit, source de savoir, le milieu dans le présent stable et le haut dans le futur qui doit être deviné et maitrisé grâce à notre tête. Mais cette face apparente n’est rien. Le magistral est à l’arrière. L’ancêtre y est reproduit en tranches successives comme l’est le temps que produit et reproduit sans cesse le personnage par son existence. Du coup, considéré à l’angle du parallélépipède, se dessine une ligne sinusoïdale, un flux, une onde. Tel est ce réel incroyablement moderne décrit par cet objet. Comme l’onde fossile du big-bang initial qui, parait-il, court encore l’univers. La vie elle-même. Le temps en cours de production. Je restai devant cette vitrine du musée bouche bée. Il faut bien s’en décrocher. Stop ! Assez plané. Revenons sur le plancher des vaches. Si tout cela parait bien abstrait s’agissant de l’univers en général, cela devient plus simple dans l’univers social en particulier.

Ici je reviens dans mon parcours à l’Equateur, chez les indiens qui s’y trouvaient du temps des incas. Jusqu’à l’arrivée des espagnols, les indiens décalquaient sur le sol, dans leurs « temples-observatoires » le mouvement du soleil et des planètes dont les régularités correspondaient à des moments agricoles vitaux. Le temps de l’agriculture dominait la société. C’était à la fois le temps objectif observé par le mouvement du soleil, le temps économique par les travaux agricoles qui en résultaient et le temps social par tous les rites et coutumes qu’il impliquait. Sans oublier le temps politique. Celui de l’impôt, du départ possible à la guerre, bien-sûr, et ainsi de suite. La politique était d’abord l‘affaire des maîtres du temps. C’était un fait universel dans les sociétés agricoles. Ainsi, bien loin de là, une fois par an, Pharaon allait faire se lever l’étoile de Sirius dans un temple bien précis et de là venait la crue du fleuve, ce que chacun pouvait alors constater concrètement. On comprend facilement comment l’ordre astronomique, l’ordre social et ordre économique devait nécessairement coïncider étroitement dans ces sociétés. C’est une affaire de survie du groupe humain qui doit se nourrir de ses travaux champêtres et pour cela, entre autres, semer et récolter à bon escient. L’agriculture des indiens étaient prudente. Il s’agissait de ne pas dépendre d’une seule récolte. Elle était donc basée sur une large variété de pommes de terre et de céréales à planter et à ramasser à des dates successives. Autant de calculs dont la connaissance dépendait des maîtres du temps, fondait des rites et des fêtes. Les espagnols et l’église catholique comprirent vite l’enjeu.

Pour que le nouvel ordre soit crédible et légitime il fallait qu’il réponde aux questions que l’ancien traitait avec succès. Le syncrétisme très actif de l’église n’a pas d’autre impératif. Partout où il y avait un lieu de culte ou de rassemblement indien, elle y substituait un lieu de culte chrétien comportant une allusion plus ou moins explicite aux affections religieuses des indigènes. Et celles-ci perdurèrent d’autant plus vigoureusement que l’origine des lieux de « culte » avaient un rapport très étroit avec les moments de l’agriculture et les spécialisations des diverses communautés. Pedro Paez, ami très cher, me fait observer que les églises de Quito sont toutes construites sur des lieux de « culte » indiens. Les tribus qui y viennent le font par choix ici plutôt que là et devant tel endroit de la construction plutôt que tel autre en relation. A chacun de ces lieux correspondaient des oracles qui étaient rendus concernant le moment de faire telle ou telle semailles ou récolte. Je pense en avoir assez dit pour montrer qu’une cosmogonie n’est jamais une composition arbitraire. Temps, espace et ordre social sont tout d’une pièce. A toutes les époques il y a un temps dominant et par suite des temps dominés. L’un comme l’autre sont des faits sociaux et pas seulement des mesures «objectives». Nous n’en sommes pas autre part, à présent comme hier.

Le temps, tout comme la distance, dans notre société est une convention sociale et un rapport de force entre dominants et dominés. Donc une construction politique. Il est aussi hiérarchisé que tout le reste de la réalité sociale. Il faut aussi apprendre à reconnaitre dans notre époque le temps dominant et les temps dominés. On voit aussitôt comment le temps dominant de l’ère moderne, c’est celui de la production. C’est « lui qui commande ». Il se soumet tous les autres temps sociaux. Le temps dominant commande aussi la distance. Exemple. Si la production est à flux tendu comme l’imposent les normes managériales exigées par la finance, on vient travailler seulement quand la commande est là, et celle-ci étant aussitôt satisfaite, les camions repartent aussi vite que possible. Cet afflux de véhicules modifie évidemment la distance si on l’évalue par le temps qu’il faut pour la franchir. Alors quand on dit que la distance de Massy en Essonne à Paris est de vingt kilomètres, cela n’a aucun sens concret. La vérité est que cette distance par l’autoroute A6, gorgée de camions, si elle est évaluée en temps de transport automobile est variable entre une heure et demi et vingt cinq minutes. Par contre elle est stable à 35 minutes en RER sauf, en hiver, si les feuilles mortes qui ne sont plus ramassées ou si l’usure du matériel qui provoque des incidents ou si les conflits du travail que provoque la direction ne bloquent pas les convois.

Cette prise de conscience doit nous pousser plus avant dans l’exploration. Il faut approfondir la réflexion. Ceux qui dominent l’usage du temps, c’est-à-dire ceux qui en ont la maitrise et en tirent profit dominent la société. En fait, le temps de la production à notre époque est lui aussi un temps dominé. La finance commande la production. Le temps de circulation de l’argent commande donc tous les autres temps. Ils lui sont tous soumis radicalement, jusqu’aux plus improbables. Ainsi celui de l’agriculture qui est resté pendant tant de millénaires cloué au rythme des saisons et dont je viens de rappeler de quelle force il commanda dans les anciennes sociétés. A présent une récolte est achetée avant même d’être semée puis revendue plusieurs dizaines de fois avant d’être, peut-être, un jour consommée. Au bout du compte, le temps dominant de notre époque est celui de l’espace-temps zéro, là où l’espace et le temps sont littéralement abrogés et disparaissent en même temps : dans la salle des opérations de bourse, au secret de la pièce blindée où les ordinateurs passent des ordre d’achat et de vente, en direction de tous les lieux de la planète, à toute heure, au même instant, à la nanoseconde et désormais sans l’intervention d’aucun être humain. Telle le mode d’allocation efficiente des ressources dans la cosmogonie du marché tout puissant. Mais le temps et l’espace zéro sont aussi dans notre vie très quotidienne. A leur façon ils construisent une hiérarchie entre les êtres selon leur accès ou non à cet espace magique sans distance et sans horaire. Pour moi, cet été, ce temps et cet espace zéro, ce fut ma communication par sms avec une camarade de mon comité du Parti de gauche qui se trouvait au Népal, puis avec mes amis de l’Equateur, pour régler un problème entre nous. Je ne me rappelle pas qui de nous trois était dans la matinée, l’après-midi ou la nuit: pas plus que la distance, rien de tout cela ne comptait, tout simplement. Puis je demeurai dans un moulin aux confins de trois départements, hors du grille-pain mondial, sans réseau. La moindre nouvelle pour m’atteindre devait passer par le village et la bonne volonté qui voudrait bien venir jusqu’à moi au bout du chemin de terre où je me trouvais. Le temps et l’espace instantané du wifi devaient se reconvertir en espace-temps de transport d’avant l’âge des routes. Un peu comme si l’espace matériel était redevenu l’ancien instrument de concordance des temps sociaux qu’il était du temps de La Condamine. Les informations qu’il était parti chercher en Equateur mirent quatre ans pour parvenir à l’académie des sciences qui les avait demandées.

Le passé : le modèle indien

C’est l’été. Compte tenu de la faible place qu’occupera l’action politique jusqu’à mon retour imminent, je prends mes aises dans cet espace.

Dessine-moi sur une orange (Jean-Luc Mélenchon) Post-45-equateur0014-320x271Dessine-moi sur une orange (Jean-Luc Mélenchon) Post-45-equateur0015-320x252Dessine-moi sur une orange (Jean-Luc Mélenchon) Post-45-equateur0016-320x246

J’élargis mon propos. Je viens sur les états du temps. J’ai eu une surprise en me faisant expliquer la perception qu’en avaient les indiens d’avant la conquête. Pour eux, c’est le futur l’adversaire à dompter. Le passé étant connu rassure. On me rappelle que nous avons bien tous le sentiment de l’existence bien précise de trois état du temps : le passé le présent et le futur. Je dois donc réaliser que l’idée que nous nous faisons de ces trois états et de leur relation n’a pas toujours été la même. Ce fait à son tour souligne combien la perception du temps est un sujet social historiquement situé. Chacune de ces formes de perception nous renseigne en profondeur sur la construction des sociétés qui s’y réfèrent. Le monde des indiens justifiait l’ordre social du présent par celui du passé. Ce passé c’était d’abord un récit destiné à expliquer le présent. On racontait un mythe. Celui de la naissance du monde, de la dynastie et de ses liens avec la divinité. L’idée était que la continuité permettait la domination du futur. Dans ce cas, le futur c’est du passé recommencé. Ca ne doit surtout être rien d’autre. On en connait donc le début et la fin. Pas d’imprévu, pas de mise en danger. Je suppose qu’on devait dire comme je l’ai entendu cent fois en milieu rural il y a déjà bien longtemps : « on a toujours fait comme ça, pourquoi changer ? ». Le conservatisme et le maintien de l’ordre social existant avait, dans ce cas, une justification d’évidence : l’ordre de la nature, l’ordre économique, donc l’ordre social et politique coïncidaient sous les yeux de tous. Le cycle des saisons est immuable, il recommence toujours de même, produisant en un lieu donné toujours les mêmes effets que l’on finit par corréler à un nombre croissant d’autres circonstances simultanées ou antérieures que chacun peut observer. De cette corrélation nait le sentiment d’un monde compact, ou « tout se tient ». Un ordre qu’il ne faut pas déranger sous peine de catastrophes collectives peut-être irréparables. Chez les indiens par exemple l’apparition de tel coquillage intervient peu après le passage d’un courant chaud en mer qui passe sous le « niño », le courant littoral qui, de son côté, amène peu après cela des pluies bienfaisantes. La production de ces coquillages et la pluie qui va favoriser la récolte sont unis dans une même perception. On le sait, ça se répète. Cela donne donc lieu à des rites en amont du processus. Ils fonctionnent en quelque sorte comme une alerte et une mobilisation pour une nouvelle phase des travaux des champs. On se prépare en exécutant les rites, et tout se passe comme prévu. Ce moment des rites est convoqué par les autorités politiques qui l’apprennent des « prêtres » lesquels le savent en observant la position du soleil et des étoiles. Tout se tient. Le présent le passé et le futur sont étroitement unis dans une même et unique réalité stable et perpétuellement reproductible. Cet espace-temps toujours identique, uni sous notre regard et dans les pratiques quotidiennes, voilà ce qu’est la « Pacha Mama » des indiens, la matrice universelle d’où proviennent toujours les mêmes circonstances, les mêmes évènements, les mêmes fruits, où les événements les plus éloignés sont étroitement corrélés les uns aux autres comme l’observation permet de le constater. Rien à voir avec la « déesse terre » ou « la terre mère » au sens vulgaire du terme, qui est à la « pacha mama » cosmique ce que le film de Walt Disney sur « Notre dame de Paris » est au roman de Victor Hugo. Cet ordre global réalise une harmonie. Il va de soi qu’il n’a pas réussi mieux qu’un autre à évacuer l’imprévu. Celui-ci est une propriété de la nature elle-même. Mais il l’a limité autant que possible, et quand il intervient malgré tout pour perturber l’ordre des choses, les rites et la stricte observation des règles ramènent l’ordre. En tout cas il y prétend. Et vaille que vaille il y parvient, compte tenu de son référent. A cet instant il faut revenir pourtant dans la réalité humaine concrète.

Les indigènes ont souffert d’un mépris de commande, que les dominants ont entretenu pour justifier les odieuses spoliations et violences infligées à ceux qu’il s’agissait de dépouiller. Leurs révoltes en tant qu’indigènes ont mêlé, par nécessité et comme une évidence, les droits de leurs propriétés communautaires traditionnelles avec les mœurs, coutumes et croyances qui s’y attachaient. En effet c’est une seule et même chose dans cet espace-temps, comme je viens de le dire. Mais comme il existe une mode assez ingénue qui idéalise l’indigénisme et la vertu de ses relations avec la nature, je ne veux pas cultiver l’ambiguïté au sujet de mes convictions à ce propos. Je laisse de côté à cet instant ce que j’aurais à dire, si besoin, à propos des rapports de domination spécialement violents qui s’observe dans ce type de situation entre hommes et femmes, et entre les divers rangs sociaux magiques ou non. Je laisse de côté aussi la critique de l’impossibilité qui est faite dans ces communautés de contester. Cela n’est pas possible en général. Cette harmonie-là ne me fait pas rêver. Elle n’est pas un idéal pour moi. En effet dans ce système, l’individu est un simple rouage du collectif. Sa personne se construit en fusionnant avec sa communauté et celle-ci se maintient par une stricte observation des règles qui organisent ses rapports avec son environnement. Lequel est garanti et protégé par un ordre politique immuable. C’est là un monde clos, des relations sociales closes et perpétuellement reproduites, des individus entièrement confondus avec leur rôle social. Celui-ci strictement défini par leur place dans leur communauté et leur respect pour cela des règles de comportement assignées à chaque sexe, chaque âge, chaque famille. Non seulement il n’y a aucune place pour l’émancipation individuelle dans cet ordre des choses, mais elle est même l’essence de ce qu’il faut rejeter et combattre. A mes yeux tous les communautarismes ont fondamentalement pour projet la répétition d’un passé mythifié. Sans revenir sur tout ce que j’ai déjà pu en dire, notamment pour ce qui concerne la vocation fondamentalement misogyne et machiste de ce type de regroupement humain, j’en reste ici à ce qui m’intéresse à cet instant : le rapport aux temps. Le communautarisme est la fin du goût pour le futur. Selon moi, pour relever les défis sans précédent dans l’histoire humaine qui sont à l’ordre du jour, nos sociétés ont autant besoin d’avoir le goût du futur que les sociétés « primitives » avaient besoin du passé pour justifier l'ordre protecteur qu’elle se donnaient au présent.
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