Jeudi 25 septembre 2014
Toute l’actualité est envahie par le choc du meurtre de notre compatriote Hervé Gourdel. Je mâche des cendres. J’imagine la famille sur laquelle tombe un tel évènement. La grande difficulté dans un malheur de la vie, pour pouvoir l’absorber, commence quand il faut trouver le mot qui le désigne. Le mot exact. Ce n’est pas simple, même quand ca semble l’être. Si tel est très malade, je n’ai rien dit si je ne dis que cela ! Car la question qui me torture est « pourquoi lui » ? Je sais que c’est absurde. Mais les êtres humains sont faits comme ça. Il faut une explication à tout, sinon le cerveau n’en finit plus de suinter de l’angoisse. La mort nous fait sortir chaque fois des lambeaux d’enfance qui restent en nous. Elle déchire l’illusion toujours recommencée de notre toute-puissance sur les choses et même sur le sens de l’existence. Encore n’ai-je évoqué qu’une circonstance connue et si malheureusement commune. Mais comment nommer le fait de se faire prendre quelqu’un de simple, aimant et tranquille, par des barbares de cette sorte qui lui coupent la tête ? Je ne sais pas.
Je ne sais pas nommer le fait qu’on me prenne un des miens pour le décapiter à titre de symbole. Ce qui soulève le cœur c’est la barbarie du procédé. Mais quel procédé de meurtre ne l’aurait pas été ? Ce qui me donne la nausée, c’est l’insondable lâcheté des meurtriers qui occultent, par la violence spectaculaire de leur acte, le caractère misérable de ce qu’ils sont. Ces gens-là ont juste capturé un homme sans défense et l’ont massacré. Quel exploit militaire ! Leur cause est résumée par leur méthode. Aucun d’eux n’est capable de combattre à visage découvert un adversaire armé. C’est pourquoi l’armée algérienne n’en fera qu’une bouchée le moment venu. Dans ce malheur, quel réconfort que toutes ces paroles de solidarité entre nous entendues ! Quel bonheur, ce refus de se laisser diviser et trier selon la religion ou non de chacun. J’aime cette France-là qui ne se laisse pas faire, qui parle avec les mots justes d’un peuple éduqué à la tolérance religieuse. J’ai été ému aussi par la douleur des musulmans humiliés une fois de plus par des gens qui usurpent leur religion pour des meurtres qui la nient. Il me semble évident qu’il ne faut pas non plus passer son temps à leur demander de se défendre de quelque chose qui ne les engage pas davantage que le christianisme n’était engagé par le tueur qui assassina quatre-vingt-dix jeunes norvégiens il y a quelques années.
En tous cas, sur le plan politique du moins, les voyous qui tuent des gens sans défense ne seront arrivés à rien. Il faut tenir cette tranchée vaille que vaille. Sinon le venin se répandra par la moindre faille et pourrira tout. Quant au reste, le but des assassins est de mettre en scène le prétendu « choc des civilisations » au nom duquel chacun se trouve enrégimenté selon des lignes de partage qui font exploser toutes les solidarités laïques de classe, de nationalité et d’appartenance a une même communauté légale républicaine. Là encore il faut tenir bon et ne rien laisser passer.
Je diffère la publication prévue de mon post hebdomadaire, de sorte que mon commentaire sur l’actuel président et mon opposition a la stratégie suivie en Irak ne puissent être lus de quelque manière que ce soit comme une mise à distance de ma solidarité avec tous ceux qui, à cet instant, comprennent comme moi combien l’urgence est de faire barrage à la manœuvre des assassins.
