Dijon : la peur d’être expulsés (Le Bien-Public)

En mai, un arrêté a signifié à la famille Aziri son obligation de retourner au Kosovo. Un recours a été déposé devant le tribunal administratif.

Lorsqu’on demande à Bukurosh, 10 ans, ce qu’il pense de tout cela, l’émotion est trop forte. Sa gorge reste nouée et rien ne sort. Seuls ses yeux rougis parlent. De grosses larmes roulent le long de ses joues d’enfant. « L’albanais ? , parvient-il à articuler, j’ai tout oublié. Je ne parle que le français ! ».


Mercredi 19 juin, peu avant 8 heures, Endrit (10 ans, en Clis(1) à l’école Darcy), avec ses frères et sœurs, la petite Edonita (en CP à Plombières-lès-Dijon), Fazli (16 ans) et Edona (14 ans), tous deux en 5e au collège Rameau, quittent silencieusement l’hébergement d’urgence du 1, rue des Creuzots à Dijon. Toute la famille a l’air accablée, comme si une chape de plomb l’empêchait de respirer. La maman ? Elle est enceinte de sept mois et souffre des jambes… Mais tout le monde doit partir, quitter les lieux, et ne pas revenir avant 19 heures.

Exclue

Le 6 mai, la famille albanaise Aziri, à Dijon depuis décembre 2010, a été exclue du centre d’accueil de demandeurs d’asile à Plombières-lès-Dijon. Depuis cette date, c’est la vie au jour le jour (lire notre encadré).

Plus que tout au monde, Bukurosh souhaite être un enfant comme les autres. Il est scolarisé en CM2 à l’école du Parc de Plombières. Mais lui n’a pas de chambre, pas de console vidéo, et surtout aucune idée de ce que sera fait son lendemain. S’il a école, il sait où aller. Sinon, n’ayant la possibilité de retourner à son hébergement que le soir, il doit attendre quelque part avec ses parents, ses frères et sœurs, dans un parc de la ville, Darcy ou la Colombière. Et encore faut-il téléphoner, chaque jour au 112, pour être sûr qu’il y a une place… Quand il pleut : « On va dans le bus ou le tramway », explique sa maman Emirje.

Aux côtés de son mari Neifal qui tire un cabas, le bagage de la famille pour la journée, Emirje se met à pleurer. « C’est difficile pour tout », témoigne-t-elle. « Le pire pour nous serait de retourner au Kosovo. Mon mari est askhali(2). Les enfants ne pouvaient pas aller à l’école ». « Elle a les chevilles toutes gonflées ; elle fait de la rétention d’eau », montre Colette Perret, bénévole de l’association AGIRabcd, aux côtés de Paul Garrigues, membre de la Ligue des droits de l’homme, et d’un collectif regroupant une trentaine d’associations pour la défense du droit d’asile. « Le médecin lui a recommandé de ne pas trop marcher, mais que peut-elle faire d’autre ? »

Edonita, 6 ans, a aussi beaucoup cheminé. Ses tongs en plastique lui ont entamé un pied. Elle ne se plaint pas. Il faudrait lui trouver des sandales. L’air grave, Fazli, 16 ans, sait qu’il n’a pas l’adolescence gâtée de la plupart des autres jeunes de son âge. Juste cette lourde incertitude sur son devenir et celle de sa famille. Et la peur de l’expulsion, comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Pour la conjurer, il a voulu montrer qu’il pouvait tout donner pour sa terre d’accueil. Il l’a fait au sein du club de lutte de Chenôve. En cadets, 50 kg, il est devenu cette année champion de Bourgogne de lutte, et a disputé les championnats de France, où il s’est classé 7e.

Une pétition

« On est en train de faire une pétition au club pour que la famille puisse rester en France », déclarait mercredi Bernard Pinard, président du club sportif, évoquant la performance d’un battant, qui veut se surpasser, montrer jusqu’où il peut aller mais qui, s’il n’obtient pas la nationalité française, ne pourrait pas représenter la France en seniors.

Au collège Rameau, à l’école Darcy, une pétition circule aussi pour que la famille Aziri reste à Dijon. Pour que les autorités entendent son appel au secours. Pour que le mot fin s’inscrive, enfin, sur l’épreuve d’inhumanité qu’elle traverse aujourd’hui.

(1) Classe d’inclusion scolaire en raison de son handicap.

(2) Minorité discriminée au Kosovo.