Alors que que les hormones des Français sont au beau fixe, frétillant sur un bord de plage ou se reposant sur une chaise longue à l’ombre d’un parasol, les neurones des scientifiques européens sont en ébullition. Ces derniers se grattent la tête à propos d’une alerte qui concerne tout un chacun – enfants, femmes enceintes, mais aussi les hommes en âge de procréer, sans oublier les adolescents – il s’agit de celle aux «
perturbateurs endocriniens »
Leur petit nom, c’est « les PE », moins de syllabes crochues pour aller droit au but : ces molécules chimiques modifient l’équilibre animal et humain et sont présentes…
Partout. Naturelles ou de synthèse, on les boit quotidiennement, on les mange, on les porte sur la peau, elles coulent dans nos rivières et modifient les comportements de la faune aquatique, et puis ceux des humains. Conséquences connues des PE ? Déséquilibres de l’humeur, dépressions, baisse de fertilité chez les hommes, cancers du sein, de l’utérus, des testicules, problèmes de croissance chez les enfants provoquant le nanisme, diabète, obésité…
Alors l’Europe a décidé d’agir.
Conséquences quotidiennes sur les humainsMais revenons d’abord au noeud du problème. Qu’est-ce qu’un perturbateur endocrinien, ce fléau des temps modernes que pourtant très peu de citoyens savent définir ? « Il s’agit de substances naturelles (contenu dans le tofu, lait de soja, traitements naturels de la ménopause rejetés dans l’urine et dans l’eau, etc.) ou de synthèse (issus de l’industrie par exemple), qui interfèrent avec le fonctionnement des hormones en les imitant, en les bloquant ou en se fixant sur le récepteur, perturbant le
métabolisme de l’Homme » – c’est à dire son équilibre général – explique le professeur Vergès, chef de service et spécialiste de l’endocrinologie au Centre hospitalier universitaire de Dijon.
En effet, l’action sur une hormone comme l’oestrogène aura par exemple de potentielles conséquences sur l’ensemble du comportement : problèmes de fertilité, de règles, problèmes de poids, de répartition de la masse graisseuse. Si l’action se concentre sur la thyroïde, c’est alors plutôt des déséquilibres de l’humeur, des dépressions, asthénies, fatigues chroniques… Chez les hommes, on observe dans la population générale une baisse de la fertilité, de quoi commencer à alerter les scientifiques. « Aujourd’hui, les études menées ne sont pas extrêmement larges et elles ne s’étendent pas sur plusieurs générations humaines, les rapports sont donc prudents. En revanche, les données animales sont très probantes. On est dans l’attente de plus de résultats, les agences européennes et françaises ont créé une liste d’une cinquantaine de produits en état de surveillance sanitaire », résume le professeur dijonnais.
La science n’a pas assez de recul pour l’instant, sauf en ce qui concerne quelques molécules classées rouges. « Parmi les produits à risques, on retrouve le distilbène, désormais interdit mais présent dans certains médicaments des années 1960, qui ont provoqué des séries de cancers du vagin, du sein et même de l’utérus chez les filles de ces femmes qui avaient suivi le traitement.
On retrouve également les dérivés des hydrocarbures (gaz d’échappements, briquets…), (ceux là peuvent être présents dans les nappes phréatiques, ndlr.) mais aussi le
benzopyrène, les dioxines, et tous les produits présents dans les plastiques de type PVC, les cosmétiques, les produits de l’agriculture que sont les
phtalates, le
Bisphénol A ou encore les composés au
brome. »
Pour une surveillance plus étroiteDu XVème siècle, un héritage scientifique nous a été légué, c’est celui du médecin suisse Paracelse disant : « Rien n’est poison, tout est poison : seule la dose fait le poison ». De là découle une partie de la toxicologie, qui se fiait à des dosages maximaux de substances afin de définir les seuils humainement acceptables. Mais la nouveauté avec les PE, c’est qu’il ne s’agit plus de dosage. « Pris à doses faibles, certains PE n’ont pas d’effets délétères sur la
santé. Mais aujourd’hui, on ne sait pas si l’addition de plusieurs substances est susceptible de créer un cocktail toxique », avertit le Pr. Vergès. De la même manière, la question du contact régulier avec une faible dose de ces produits reste en suspens. « Les études épidémiologiques sont en cours, elles pourraient prendre encore 10 ans avant que nous n’ayons des réponses probantes », estime-t-il.
Ces perturbateurs présents dans la toilette du matin,
dans les habits, dans les aliments de la journée jusqu’au biberon du soir sont-ils dangereux ? « Je crois qu’il serait irresponsable de nier cette affirmation en bloc ou d’arrêter toute consommation des produits actuels – dans la mesure où les produits de remplacements pourraient même être pires – mais il est important de rester vigilants face aux pollutions des nappes phréatiques, par exemple, qui elles, sont des choses bien réelles. Il leur faut une surveillance de plus en plus étroite », répond le spécialiste endocrinologue.
Selon lui, le principe de précaution n’est pas en cause. Les toxiques comme le Bisphénol A ont été pris en charge par les législations et les scientifiques n’ont pas décelé dans nos populations « de grandes nouvelles pathologies même s’ils restent extrêmement vigilants » – en témoigne leur
lettre à la conseillère scientifique en chef du président de la Commission européenne exprimant leur souci de contrôler (n’en déplaise au lobby industriel) les termes de la réglementation des PE.
Pas d’épidémies ? Mais alors que faire de
l’augmentation des cancers, des dépressions ou de l’obésité dans les pays riches ? « Du côté des dépressions, où la France détient un record européen, on ne peut pas l’attribuer aux PE – puisque le reste de l’Europe est exposé de la même manière. En ce qui concerne les cancers ou l’obésité, je crois qu’il ne faut pas se tromper de cible. Le tabac est un vrai toxique qui multiplie par cinq le risque d’infarctus et par quarante le nombre de cancers. On sait qu’il est un fort perturbateur endocrinien et qu’il agit directement sur l’hypofertilité. Et pourtant il est en vente légale. Ce serait une vraie cible rapide sur laquelle agir. En ce qui concerne le diabète et l’obésité : les PE pourraient jouer, mais il est très faible comparé à la malbouffe et la sédentarité. Les fast-foods sont beaucoup plus responsables de ces épidémies à travers les aliments qu’ils proposent qu’à travers les déchets qu’ils rejettent. »
En attendant,
l’autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) tente d’avancer pas à pas sur ce qui pourrait devenir une révolution toxicologique remettant en cause le principe de Paracelse, et de définir ce qu’est un perturbateur endocrinien. La communauté scientifique tente d’imposer un message d’alerte face à un lobby politico-économique plus puissant qui n’a pas intérêt à ce que l’on restreigne les activités de la chimie industrielle en Europe. En témoigne la
dernière reculade sur les OGM.
Marion Chevassus