On a beau chercher dans l’action gouvernementale, rien ne trouve grâce aux yeux de François Delapierre, secrétaire national du Parti de gauche. Ce proche de Jean-Luc Mélenchon est à peine moins sévère que l’ancien candidat à la dernière élection présidentielle…LA GAZETTE : Les chiffres du chômage pour le mois de septembre sont très mauvais, mais François Hollande assure que la courbe s’inversera d’ici à la fin de l’année. Partagez-vous, même partiellement, son optimisme ?FRANÇOIS DELAPIERRE : François Hollande est en dehors de la réalité. Il est persuadé que nous vivons une simple crise de confiance. Il suffirait d’y croire très fort pour que la croissance revienne. C’est le rituel auquel il se livre à chaque mauvais chiffre du chômage. Or la cause de la crise n’est pas psychologique. C’est la répartition des richesses toujours plus favorable au capital financier. C’est cela qu’il faut changer. Mais Hollande ne veut surtout pas y toucher. Il va donc dans le mur.
À gauche, le président de la République est parfois présenté comme le président du Medef, ce qu’on disait déjà de Nicolas Sarkozy…C’est certain que François Hollande multiplie les cadeaux aux entreprises sans aucune contrepartie. Peu importe ce qu’on produit et dans quelles conditions on produit, puisque l’essentiel est de vendre ! C’est cela la compétitivité. Peu lui importent les conséquences sociales et environnementales. En plus c’est politiquement imbécile. Le Medef continuera à dire que François Hollande n’en fait pas assez. Ces gens-là sont insatiables. Ils ne respectent que ceux qui leur résistent.
La question de la baisse des charges revient en force en période de crise…Le gouvernement a accordé 20 milliards d’euros de baisse des cotisations aux patrons. Et cela, c’est le peuple qui va le payer, via la hausse de la TVA, et les coupes sombres dans les services publics ! Pierre Moscovici s’est même vanté devant le président du Medef Pierre Gattaz de ne pas contrôler l’usage de ce crédit d’impôt. Pourquoi se gêner ? C’est de l’argent distribué par les fenêtres.
Quelles sont les propositions du Front de gauche pour améliorer la situation de l’emploi ?Il faut augmenter les salaires. Le gouvernement peut agir en augmentant le Smic. Mais il faut aller au-delà et instaurer un écart de un à vingt dans la grille de salaires de chaque entreprise. Ainsi, quand ceux qui sont en haut de la pyramide décident de s’augmenter, ils doivent augmenter les autres dans les mêmes proportions. Il faut ensuite se doter d’une vraie banque publique pour financer les activités utiles sans passer par les fourches caudines de la finance. Il faut des investissements, notamment dans la transition énergétique, pas dans les gaz de schiste. Enfin, nous devons protéger notre industrie via un protectionnisme solidaire aux frontières. C’est-à-dire faire l’inverse du grand marché transatlantique que négocient actuellement l’Union européenne et les États-Unis. La Commission européenne elle-même annonce qu’il conduirait à de nouvelles pertes d’emplois dans l’industrie.
Le Front de gauche a largement critiqué la réforme des retraites…(Il coupe) C’est un tournant : c’est la première fois qu’un gouvernement, dit de gauche, allonge la durée de cotisation ! C’est d’ailleurs ce qu’avait fait Gerhard Schröder en Allemagne, et cela s’est terminé par une grande coalition avec Angela Merkel… Quel est le problème des retraites ? Là encore, c’est le partage des richesses. Le blocage des salaires et les exonérations de charges déséquilibrent la protection sociale. Contrairement à ce qui est dit, le problème n’est pas démographique. On ne cesse de nous répéter qu’on doit cotiser plus longtemps, puisqu’on vit plus longtemps. Mais on vit plus longtemps parce qu’on travaille moins longtemps ! Déjà, avec toutes ces réformes, l’espérance de vie en bonne santé recule. Le projet du gouvernement va produire beaucoup de malheur, encore plus de chômeurs âgés et de retraités pauvres !
Parmi les membres du gouvernement, Manuel Valls, le ministre de l’Intérieur, est clairement dans votre viseur, puisque vous avez demandé sa démission. C’est pourtant le ministre le plus populaire…Manuel Valls est dans la continuité de la politique sécuritaire menée par Nicolas Sarkozy, et qui s’est révélée être un échec complet. Il est uniquement préoccupé par sa cote de popularité dans les sondages. Or moi, ce qui m’intéresse, c’est de voir reculer la délinquance. Nicolas Sarkozy avait érigé le maquillage des chiffres en escroquerie industrielle. Mais la réalité sur le terrain nous rattrapera.
C’est-à-dire ?La police est sortie de cette décennie Sarkozy dans un état terrible. Les rapports entre les policiers et la population n’ont cessé de se dégrader. Les sécuritaires installent un détestable climat de peur et de surenchère permanente. Regardez comment Valls, chaque semaine, y va de sa provocation. Quand il déclare que les Roms ne peuvent pas s’intégrer, quand il les déplace de ville en ville, encourageant la mendicité et la délinquance, ou quand il s’attaque aux musulmans, est-ce qu’il combat efficacement la délinquance ? Non, il est dans la course à l’Élysée. Qu’on me cite une mesure concrète prise par Valls depuis qu’il est ministre ? Il n’a même pas remis en cause la politique du chiffre alors que les syndicats de police y sont favorables. C’est pourtant une politique particulièrement imbécile.
Pourquoi ?Si la police arrête dix personnes en possession de cannabis, sans acte de revente, cela compte à dix affaires élucidées. Mais si un trafic d’héroïne impliquant dix individus est démantelé, cela ne correspond qu’à une élucidation, alors que l’enquête s’est révélée considérablement plus longue. De même, on fait monter les chiffres en organisant la chasse aux étrangers en situation irrégulière. Pendant ce temps, le taux d’élucidation des cambriolages est de 10 % et celui des vols à la tire de 5 %…
Jean-Luc Mélenchon rêvait d’une majorité alternative. C’est plutôt mal parti, non ?Au contraire. Eva Joly s’est prononcée pour cette majorité alternative avec le Front de gauche et les socialistes hétérodoxes. Noël Mamère a quitté Europe Écologie-Les Verts en avançant des arguments proches des nôtres. Beaucoup de socialistes sont en désaccord avec la politique menée par le gouvernement. Jean-Marc Ayrault est un Premier ministre sans odeur ni saveur, qui a disparu des écrans radar, si tant est qu’il y soit déjà apparu… Et il y a le feu rue de Solférino. Nous avions raison de dire que cette majorité ne pourrait pas durer. La logique politique serait de changer de Premier ministre au plus vite. Pour moi l’alternative est simple : c’est Valls ou Mélenchon. Mais ce n’est pas du tout la même chose.
Jean-Luc Mélenchon rêvait aussi de mettre le Front national au plus bas. Là, c’est le bide complet…On ne fera pas reculer le Front national sans changer de politique. Entre Pierre Moscovici qui gâte le patronat, François Hollande qui se couche devant Merkel et les États-Unis et Manuel Valls qui cible les Roms et les musulmans, c’est le tiercé gagnant à tous les coups pour le Front national ! Et c’est pourquoi les Français qui refusent ce que représente le FN doivent cesser de se regrouper derrière les « solfériniens ». Face au FN, il est temps de passer aux choses sérieuses. Avec le Front de gauche .
