De notre envoyé spécial à BruxellesLa vitesse à laquelle le régime de Viktor Orban se durcit, fort de sa majorité des deux tiers au parlement hongrois, est l'une de ses principales forces. Budapest donne l'impression d'avoir toujours un coup d'avance sur ses adversaires. L'adoption mercredi, au sein d'une commission au parlement européen,
d'un rapport critique sur la Hongrie, en apporte une nouvelle confirmation, puisque le document est déjà – en partie – périmé.
Calendrier oblige, ce rapport n'a pu faire référence à un amendement, promulgué fin mai à Budapest, qui autorise désormais le gouvernement à faire espionner les hauts fonctionnaires du pays. Si l'exécutif hongrois vient à trouver quelque chose qui lui déplaise dans ces écoutes, les hauts fonctionnaires en question seront renvoyés. Officiellement, il s'agit de lutter contre le crime organisé dans les plus hautes sphères de l'Etat.
Que dit précisément
le texte de loi ? Il revient au ministre de la justice d'enclencher ces procédures d'espionnage, menées par la police secrète, sur de simples soupçons de corruption. Tous les moyens peuvent être utilisés – écoutes téléphoniques, lecture des courriers électroniques, fouille du domicile privé. Les conjoints, enfants et proches, sont également concernés. Ces données sont archivées pendant vingt ans.
Avec, toutefois, un supposé garde-fou : ces écoutes ne sont possibles que durant
« deux fois trente jours par an ». Sauf que les personnes en question n'auront aucune idée des deux mois de l'année durant lesquels elles seront écoutées. Les seuls fonctionnaires visés sont ceux susceptibles de détenir des
« données confidentielles » sur la sécurité du pays. Soit, d'après la liste dressée par le texte de loi : ambassadeurs et consuls, chefs de la police, responsables de l'armée, patrons des entreprises publiques, présidents des agences nationales sur les médias, l'énergie ou la protection des données, etc.
Viktor Orban le 11 avril 2013 © Reuters.
« Le gouvernement hongrois se justifie en expliquant que (cette loi)
protège les secrets d'État et lutte contre la corruption. Mais elle ne limite pas la surveillance à la recherche de “fuites” ou de dessous-de-table », commente Kim Lane Scheppele, professeur à Princeton.
« Au contraire : tout ce qui est jugé compromettant semble pouvoir être retenu à charge. Si le gouvernement hongrois décide de licencier un fonctionnaire parce qu'il a une liaison extra-conjugale, ou s'il refuse d'embaucher un fonctionnaire jugé trop bienveillant envers l'opposition politique, cette loi de sécurité nationale lui fournira une base juridique », poursuit cette universitaire, dans une longue analyse du texte intitulée 1984, l'édition hongroise, en référence au classique de George Orwell.
Dans une note d'explication de cet amendement, rédigée à la demande du parlement européen et que Mediapart a pu consulter, les autorités hongroises expliquent pourquoi il n'est pas possible, à leurs yeux, que l'initiative de ces écoutes revienne à un juge
:
« Il est de la responsabilité des services de sécurité nationale, de protéger les intérêts de la sécurité nationale. (…)
Une évaluation par le pouvoir judiciaire reviendrait à céder partie de ces pouvoirs discrétionnaires, et donc à conférer la responsabilité de la sécurité nationale à une autre branche (du pouvoir
–
ndlr)
. »
« Abus de pouvoir »
Cet amendement apporté à la loi sur la sécurité nationale, qui date de 1995, a été adopté le 21 mai à l'assemblée, avec le soutien des élus de la Fidesz, mais aussi du Jobbik, le parti d'extrême droite hongrois. Il commence à peine à provoquer un débat ailleurs en Europe [i](voir par exemple cet article dans Libération
), tant les observateurs semblent dépassés par l'activisme législatif d'Orban. Depuis son élection avec plus de 52
% des voix au printemps 2010, plus de 500 lois ont été passées, dont certaines mettent à mal l'indépendance de la justice ou des médias. La seule constitution a été révisée à quatre reprises
(lire nos reportages sur « la Hongrie à la dérive »).
Mais cette réforme de la sécurité nationale pourrait provoquer de vives tensions au sein des cercles du pouvoir à Budapest. Y compris au sein de la Fidesz. Mediapart a pu lire une lettre écrite par le procureur adjoint de la république hongroise, adressée au président de la commission des affaires constitutionnelles, au sein de l'assemblée. Elle est datée du 27 mai, soit juste avant la promulgation du texte par le président, et son auteur exhorte les autorités à réécrire le texte.
« Cette proposition de loi nous semble contredire gravement le principe de séparation des pouvoirs et nous redoutons, si elle devait être promulguée, qu'elle prépare le terrain à un abus des pouvoirs politiques », écrit Andras Varga. Il s'inquiète en particulier de
« concepts vagues », qui risqueraient de légitimer
« des jugements subjectifs de la part de l'exécutif ». Mais le texte a bel et bien été promulgué.
Sollicitée par Mediapart, la commission européenne n'a pas encore réagi. Mais les mises en garde d'institutions européennes sur le durcissement du régime hongrois, s'accumulent depuis plusieurs mois. Après
l'avis du conseil de l'Europe, en avril, la « commission de Venise », un organe consultatif censé promouvoir le droit dans l'UE, s'inquiète,
dans un rapport publié en juin, de voir la constitution hongroise se transformer en
« instrument politique », jugeant que les dernières modifications apportées menacent le bon fonctionnement d'une démocratie.
Quant au rapport débattu au parlement européen, il pourrait être adopté en séance plénière en juillet ou septembre, sans doute actualisé avec l'amendement en question. Ce qui ne changera rien, de toute façon, à la stratégie préconisée. Une majorité d'eurodéputés exhorte en particulier la commission à déclencher un
« ordre du jour d'alarme », qui aurait pour effet de suspendre la coopération de l'exécutif européen avec Budapest, tant que ces questions de respect des valeurs démocratiques ne sont pas réglées.
Il s'agit d'une alternative au fameux article 7.2 des traités, surnommé par certains
« la bombe atomique », qui enclencherait une procédure aboutissant éventuellement au retrait du droit de vote des Hongrois au conseil. Le groupe des libéraux, emmenés par le belge Guy Verhofstadt, y est très favorable. Mais le rapport a choisi d'autres pistes.
Ludovic Lamant