Lundi 17 novembre 2014
Le lendemain et même ensuite
Je publie ce post juste après la marche du 15 novembre. Je dirai dans ma prochaine édition ce que je pense de cet évènement. Car la satisfaction du travail accompli, et surtout de l’arc de forces constitué, ne me masquent aucune des difficultés rencontrées dans la mobilisation et l’organisation matérielle de l’évènement. L’appel par un collectif mal connu, la convocation de marches régionales bientôt doublée d’appels à plus de trente rassemblements départementaux très inégaux, a ôté sa visibilité à notre grand nombre et diminué la motivation à agir dans les secteurs les plus résignés parmi le peuple. La vigueur militante, l’enthousiasme des groupes qui marchaient doivent être savourés. Pour autant il ne faut pas manquer d’analyser ce qui doit être impérativement modifié pour que notre dispositif soit à la hauteur de la tâche à accomplir. Car à mes yeux le rôle du « collectif 3A », véritable front du peuple réunissant des syndicats des associations et des partis et mouvement politique n’est pas fini. Loin de là. Selon moi, il va être même central.
Ici, mes lignes traitent d’un jeu vidéo qui m’a impliqué dans quelques savoureuses polémiques. Puis je reviens sur les questions de stratégie pour notre camp après un bref séjour à Grenoble.
Au niveau national, les déclarations de Pierre Laurent sur France 3 le dimanche 1
er novembre ont refermé la plaie ouverte aux municipales et retiré au PS son unique point marqué contre nous : désormais, plus question d’alliance avec le PS. Sauf au détail et uniquement pour ceux qui abjurent l’allégeance à Valls et sa politique d’austérité. Le contexte pour notre gauche change donc profondément.
Je rappelle quelques évènements récents qui me paraissent essentiels comme l’adhésion au Mouvement pour la sixième République des « socialistes affligés » et d’un groupe de membres dirigeants du MJS. Enfin j’annonce la signature au Mouvement pour la sixième République de deux des trois co-présidents de « Nouvelle Donne », la député Isabelle Attard et le conseiller régional Patrick Beauvillard. Dans le prochain post je rendrai compte du point où nous sommes rendus dans l’évolution du mouvement après la réunion du comité d’initiative qui va lui permettre de franchir un seuil d’organisation après qu’il ait déjà atteint 66000 signatures.
Peut-on parler des jeux vidéo ? Je l’ai fait.Et de nouveau de la grande Révolution de 1789. Ici le point de départ est le soutien que j’ai apporté à
une saine interpellation lancée par mon ami Alexis Corbière sur son blog à propos d’un jeu vidéo situé dans cette période-là. Cela m’a valu une masse considérable de commentaires sur les sites spécialisés comme sur d'autres supports. Je suis très heureux du défi intellectuel que cela a représenté pour moi. J’ajoute que souvent grâce à la violence des répliques qui me furent faites, je fus conduis à devoir non seulement clarifier mes idées, mais encore à faire un effort pour les exprimer aussi clairement que possible.
Je vais donc partir de ce que j’ai trouvé de plus frustre dans ce qui m’a été objecté. Je montre donc d’abord l’importance qu’a à mes yeux le cyberespace dans toutes ses composantes et je discute la distinction faite d’habitude entre le monde «
réel » et le monde «
virtuel ». Puis je montre pourquoi je prends le jeu en général au sérieux et ne partage pas non plus le point de vue qui distingue absolument le les activités «
sérieuses » et le jeu «
futile ». Ensuite, j’en viens à ce que je pense du jeu vidéo que je considère comme un art à part entière. Et de ce fait, le droit à la critique sur la forme comme sur le fond, loin d’être un mépris est, à l’inverse, une reconnaissance. Pour moi donc, ceux qui m’ont prié de ne pas m’en mêler, s’ils sont sincères, tirent une balle dans le pied de leur propre passion. Pourquoi la critique sur le fond et la forme d’une œuvre serait-elle réservée à certains arts et serait-elle futile pour d’autres ? Je persiste et signe. D’ailleurs je vais m’offrir une console de jeu.
Ce nombre à lui seul est une indication très précieuse. Elle confirme l'étendue du cyberespace à l'intérieur du monde dans lequel nous évoluons. Il prouve sa forte capacité de réaction et d'interactivité en son sein et dans le monde réel. Pour une partie de ceux qui me lisent à cet instant, tout cela est parfaitement clair. Pour d'autres, ce que je dis est à peu près incompréhensible. Ce que j'ai à expliquer à présent s'adresse pourtant aux deux catégories de personnes. Je ne suis pas sûr d’être aussi clair qu’il le faudrait et je prie mes lecteurs de m’en excuser. J'appelle cyberespace l'ensemble des « lieux » sur Internet ou s'opèrent les relations interactives entre ceux qui s’y connectent. Pour résumer, cela concerne à la fois, bien sûr Facebook et les réseaux sociaux, mais aussi tous les lieux de réalité virtuelle comme par exemple l'espace de jeu vidéo puisque c’est d’eux dont il s'agit à présent. Ce cyberespace est capable d'englober toute la réalité connue de chacun d’entre nous puisqu’il la pénètre de mille et une manières. L'arrivée des objets connectés va étendre ce cyberespace dans des proportions désormais inouïes. Cet exemple des objets connectés permet d’ailleurs de comprendre à quel point la frontière entre le « virtuel » et le « concret » n'a pas le sens l'on pourrait d'abord croire. Bien des choses seront désormais à la fois virtuelles et réelles.
J'ai déjà eu l'occasion de décrire ici même comment un réseau « virtuel » du type de Facebook est souvent plus réel, humainement parlant, qu’un réseau « concret » comme celui que constitue un immeuble pour l'ensemble des voisins qui y vivent. En effet votre voisin, pourtant bien concret, peut être parfaitement virtuel dans la mesure où vous ne le rencontrez jamais, vous ne lui adressez peut-être jamais la parole, parfois vous ne connaissez même pas son visage. A l’inverse, un ami de Facebook, que vous n'avez jamais rencontré, échange avec vous, parfois chaque jour, des images, des impressions, il partage avec vous des centres d'intérêts politiques ou culturels, vous connaissez sa date d’anniversaire et ainsi de suite. Vu sous cet angle, l’« ami Facebook » est ainsi devenu plus concret et votre voisin plus virtuel qu’il n’y paraissait d'abord.
Dès lors, en ce qui concerne les jeux vidéo, il ne faut pas du tout commencer par se dire qu’il s’agit d’un espace « irréel » dont l'expérience serait sans impact sur la personne réelle qui joue. Et je ne vise pas seulement le fait que ces jeux donnent à ceux qui les pratiquent mille occasions d’en parler avec les autres joueurs « virtuels » ou « concrètement » connus. La raison la plus importante à évoquer concerne la pratique du jeu lui-même. Le jeu a toujours été une affaire très sérieuse. Contrairement aux apparences superficielles le jeu n’est jamais gratuit au sens où il serait sans motivation, sans finalités et sans résultat. Pour les enfants le jeu est indispensable dans la construction de soi. Il est un mode d’apprentissage social essentiel. Pour l’adulte le jeu est toujours l’occasion d’une réalité augmentée en émotion et en empathie. Qu’il s’agisse de jouer ou de regarder jouer, il s’agit d’obtenir des sensations d’un registre particulier, mais toutes aussi réelles que les autres sensations de l’existence. En ce sens, le jeu est une fin en soi comme activité et c’est aussi vrai qu’il s’agisse de poker ou de jeu vidéo, de la marelle ou de la belote.
S’il fallait être provocateur pour surligner le trait, je dirai qu’on ne joue pas parce qu’on s’ennuie, mais qu’on s’ennuie parce qu’on ne joue pas, que la réalité du jeu n’est pas un pauvre à côté pour personnes inapte à la vie sociale réelle. A l’inverse, il est le fait de ceux qui cherchent une vie sociale augmentée par les émotions du jeu. La 3D et l’implication personnelle du joueur donne à l’expérience du jeu vidéo une force qui se distingue que fort peu de l’expérience réelle. Attention, ce surlignage ne doit pas conduire à une autre erreur d’évaluation. Le jeu n’est pas meilleur que la vie, mais il n’est pas moins bon que la vie réelle. Il en est une composante et, comme tel, discutable non parce que c’est le jeu et que « ce n’est pas sérieux » mais parce que n’importe quelle préférence d’activité faite à un instant se discute. D’ailleurs chacun d’entre nous le fait en soi avant de décider ce qu’il va faire. Il n’y a pas de hiérarchie entre les activités sinon relativement au moment et aux enjeux qu’elles comportent. Entre donner à manger aux gamins et jouer il y a une évidence : il faut donner à manger. Mais cela ne veut pas dire que jouer soit futile. La preuve : on peut le faire ensuite sans dommage mais utilement pour son plaisir.
J’en viens maintenant à la place du jeu vidéo comme art. Le mot fera peut-être bondir. En ce qui me concerne, le refus de hiérarchiser les genres d’expression et de création est ancien et il s’applique « tous azimuts ». J’ai expliqué dans
une note sur ce blog il y a déjà quelque temps le rôle qu’a joué dans mon auto-éducation ce que certains appellent avec mépris «
la littérature de gare ». C’est de cette façon que j’ai découvert toute la science-fiction et la plupart des auteurs américains qui ont structuré ma manière d’écrire et de représenter les choses vues ou senties. J’attends à présent celui qui viendra m’expliquer que Philip K. Dick n’est pas un génie de la littérature. Et, après avoir vu «
Blade Runner », je demande au même si la puissance philosophique du roman de Dick dont il est tiré, «
les androïdes rêvent-ils de moutons électriques », lui parait aussi dérisoire que le titre pouvait le lui faire penser. J’ai même avoué la futilité de mes motivations d’achat et j’ai expliqué pourquoi, réflexion faites, elles me semblent tout à fait respectables : oui j’ai acheté des livres et découvert des auteurs à cause du dessin de la couverture ! Et c’est comme ça que j’ai acheté mon premier Erskine Caldwell qui a provoqué sur mon sens esthétique de littéraire le même choc que Marx sur ma vision du monde social ! J’ai eu une autre occasion de vivre moi-même la séquence mépris avant adulation dans un autre genre. Je lisais Mickey et Tintin. J’étais pressé de savoir lire couramment pour suivre les aventures des héros quand j’ai commencé à voir les vignettes dont j’essayais de deviner les liaisons. Puis quand advint «
Pilote » et même «
Harakiri hebdo » (les moins de quarante ans ne peuvent pas connaître), je me souviens de l’insondable océan de mépris que ces « lectures » suggéraient à maintes belles personnes. Aujourd’hui, elles considèrent Corto Maltes comme un sommet du minimalisme graphique et Enki Bilal comme un Rembrandt de la vignette. Elles donnent des sommes folles pour avoir des originaux ou des premières parutions. Pour eux le marché a tranché. Je l’ai vérifié : on m’a cambriolé sans prendre mes romans reliés cuir mais en emportant mes BD de Tintin pourtant en loques. Je ne finis pas ce tour d’horizon des « genres mineurs » sans dire que pour moi, le zapping est une « écriture » à plusieurs niveaux d’entrée et le tumblr bien davantage qu’une pure rigolade même si on s’amuse bien avec.
Tous ces genres, toutes ces écritures, ne se hiérarchisent pas. Les critiquer c’est les apprécier les unes par rapport aux autres au hasard de nos appétits changeants et entre elles a l’intérieur d’un même domaine. On ne peut pas comprendre la splendeur de «
Out of Africa » si l’on n’est pas capable de comprendre que «
Les bidasses en folie » jettent un maximum de pâté. Mais demain les étudiants vont peut-être se jeter sur «
Les bidasses en folie » comme sur un monument de l’humour troupier, lui-même issu de la longue tradition du comique troupier, genres aujourd’hui incompréhensibles depuis que la conscription a été abandonnée… Il n’est donc pas certain que le pâté d’aujourd’hui ne soit pas demain le morceau de bravoure qu’il faudra avoir vu pour être honnêtement informé des avatar de l’humour dans nos familles. Dans ce domaine, la liste est longue des réhabilitations tardives. Les « arts premiers » d’aujourd’hui sont les gribouillis de sauvages d’hier. Je reviens de l’exposition «
Hokusai » au Grand Palais. Je n’y ai pas seulement rencontré l’un des ancêtres au dix-huitième siècle de la bande dessinée, auteur d’innombrables mangas aujourd’hui encore bien méprisées. J’y ai trouvé la production dont l’arrivée en Europe provoqua un choc esthétique dont l’un des enfants est sans doute l’impressionnisme. Je dis donc à ceux qui me soupçonnent de regarder de haut le jeu vidéo qu’ils ignorent combien l’honnête homme de la fin du vingtième siècle que je suis a appris à se départir de tout académisme. Et je forme le vœu que tous les «
gamers » aient pour la contemplation des colonnes de Buren et sur les colonnes elles-mêmes le respect et la curiosité émotionnelle qu’ils demandent pour leur jeu.
Pour moi, je ne dis pas seulement qu’il faut accepter toute licence en art mais que tout art ne peut être que licence devant ce que nous croyons d’abord être le réel. Car plus cette liberté est grande et plus la complexité et la splendeur du réel nous est révélée. La « vérité » du bombardement de Guernica est davantage dans le tableau de Picasso que dans n’importe quelle photo ou film faits le jour même et même que dans le vécu de quelqu’un qui se trouvait, ici ou là, ce jour-là, sous les bombes. Ce qui est dit du monde par un air de Claude François et ce qui nous en est dit par Mozart ne diffère que par son but. Non par son instrument. On n’écrit pas à son patron pour une augmentation de salaire comme à la personne qu’on aime pour lui dire ses sentiments. La confusion serait audacieuse mais sans doute très contre performante. Les deux réalités se distinguent par leur mode d’accès. Entre autres choses bien sûr, mais aussi par eux ! Le jeu vidéo a d’ores et déjà ses chefs d’œuvre. Le graphisme et l’histoire, et sans doute la musique et les bruitages sont autant de composantes qui ont chacune leurs critères d’évaluation exactement comme au cinéma. Un jeu s’apprécie donc dans diverses directions, non ? Pourquoi celle du sens, de la signification politique serait la seule à devoir rester par définition hors débat ? Peut-on discuter le tableau «
La Liberté guidant le Peuple » sans tenir compte ni du contexte dans lequel il fut fait, ni de ses finalités, ni de sa signification ? On parlerait de quoi alors ? Du tour de main du pinceau ? Des seins de la Liberté ? De l’impression reçue sans la décortiquer, comme si nous étions des animaux ? Qui connait les entreprises qui réalisent un jeu de cette nature sait qu’elles mettent un soin fantastique à leur préparation historique et contextuelle. La reconstitution du Paris de la Révolution dans le jeu qui nous occupe est considérée par mes amis historiens comme un pur tour de force.
Dans ces conditions, comment espère-t-on me faire croire à la neutralité purement ludique du jeu ? Il y a un parti pris idéologique. Le nieriez-vous si vous veniez à apprendre que tel ou tel personnage clef de cette entreprise ou de la réalisation a des liens personnels avec l’extrême droite ? Non, vous seriez troublés, n’est-ce pas ? Mais pourquoi le seriez- vous ? Parce que le rapport entre ces personnes bien réelles et la trame ludique virtuelle exposée vous sauterait aux yeux. Je vous propose de vous dispenser de cette preuve. Contentez-vous de voir ce qui est dit, raconté et mis en scène. S’agit-il de découvrir qui complote contre la vie de Robespierre ? Où est l’armoire de fer secrète où Louis XVI et Marie Antoinette cachent leurs correspondances avec le roi d’Autriche pour lui suggérer d’envahir la France ? S’agit-il de découvrir des preuves des complicités dans le parti révolutionnaire dont a bénéficié le Chevalier de Maison Rouge qui tenta de faire s’enfuir la reine ? Cherche-t-on les preuves de l’argent qui a circulé pour convaincre de voter la guerre alors que Robespierre défendait le contraire de peur que le régime républicain ne s’effondre, soit sous les coups de l’envahisseur, soit sous la botte d’un général ? Qui a tué Lepelletier de Saint-Fargeau, ancêtre de monsieur Jean d’Ormesson, notre actuel académicien, ami de Robespierre et rapporteur sur l’éducation ? Qui a payé Vadier, président du comité de sureté générale, élu de l’Ariège, qui se vantait de «
faire tomber les têtes comme des tuiles », pour monter le complot contre Robespierre et faire croire qu’il agissait sur les suggestions d’une diseuse de bonne aventure, Catherine Théot, dite «
la mère de dieu » ?
Dans ces conditions, comment espère-t-on me faire croire à la neutralité purement ludique du jeu ? Il y a un parti pris idéologique. Le nieriez-vous si vous veniez à apprendre que tel ou tel personnage clef de cette entreprise ou de la réalisation a des liens personnels avec l’extrême droite ? Non, vous seriez troublés, n’est-ce pas ? Mais pourquoi le seriez- vous ? Parce que le rapport entre ces personnes bien réelles et la trame ludique virtuelle exposée vous sauterait aux yeux. Je vous propose de vous dispenser de cette preuve. Contentez-vous de voir ce qui est dit, raconté et mis en scène. S’agit-il de découvrir qui complote contre la vie de Robespierre ? Où est l’armoire de fer secrète où Louis XVI et Marie Antoinette cachent leurs correspondances avec le roi d’Autriche pour lui suggérer d’envahir la France ? S’agit-il de découvrir des preuves des complicités dans le parti révolutionnaire dont a bénéficié le Chevalier de Maison Rouge qui tenta de faire s’enfuir la reine ? Cherche-t-on les preuves de l’argent qui a circulé pour convaincre de voter la guerre alors que Robespierre défendait le contraire de peur que le régime républicain ne s’effondre, soit sous les coups de l’envahisseur, soit sous la botte d’un général ? Qui a tué Lepelletier de Saint-Fargeau, ancêtre de monsieur Jean d’Ormesson, notre actuel académicien, ami de Robespierre et rapporteur sur l’éducation ? Qui a payé Vadier, président du comité de sureté générale, élu de l’Ariège, qui se vantait de «
faire tomber les têtes comme des tuiles », pour monter le complot contre Robespierre et faire croire qu’il agissait sur les suggestions d’une diseuse de bonne aventure, Catherine Théot, dite «
la mère de dieu » ?
Je pourrai en écrire des pages où l’on verrait que l’époque permet des milliers d’enquêtes où les grands hommes (et femmes) de la Révolution sont pris en tenaille entre des « exagérés » violents et le parti monarchiste des traitres à la patrie. On ne cherche pas à savoir combien Barras, «
le prince des corrompus », Carrier, l’homme qui noyait les prêtres à Nantes, ou Fouchet, celui qui décida de raser Lyon, ont payé pour former une majorité qui décrète l’arrestation de Robespierre le jour où il avait prévu leur élimination ? Ce n’est pas cette trame-là qui est proposée. Et ce n’est pas sans raison. Les gentils, ici, ce sont la reine, cette infâme traitresse et corruptrice, le roi, ce mollasson vendu, les aristocrates agents des autrichiens, des anglais et de n’importe qui qui soit contre le peuple, voilà les héros, subliminaux ou bien déclaré. Il suffit de voir le «
trailer », écrit par un débile américain, pour comprendre le mal que fait ce genre de scénario à l’image de la France populaire et historique ! Que la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, et donc de l’égalité en droit de tout être humain, soit présentée comme l’œuvre de brutes sanguinaires et absurdes ne peut-être un hasard ludique. Aux « gamers » je leur dis : cette version de l’Histoire vous manipule. Que ça ne vous empêche pas de jouer ! Au contraire, ça rajoute au jeu. Essayez de repérer les manipulations en cours de route… Un bon début est de visionner
ce bref résumé des bobards de la légende noire de Robespierre.
Et voici un autre jeu. A vos heures libres, essayez de savoir « qui est qui », politiquement, parmi les décideurs de ce jeu. Ce n’est pas trop dur à éclaircir, croyez moi. Et ça vous explique la violence de certaines réactions contre moi parce que j’ai dit mon accord avec
la critique qu’Alexis Corbière, le premier, a fait de ce jeu. Là non plus, il n’y a pas de débiles qui jouent sans cervelle. Ce sont des militants politiques qui font exprès de confondre la mise en cause d’un scénario avec la mise en cause du jeu vidéo, parce qu’ils considèrent les autres « gamers » comme des gens incapables de faire la différence ! Quant aux historiens qui minaudent, demandez aussi lesquels travaillent pour les sociétés de jeu et pour combien. Et je m’empresse de dire que je souhaite beaucoup la participation des historiens à ces scénarios car leur implication permet qu’à la fin quelque chose de vrais passe du virtuel au réel par l’intermédiaire des temps de cerveau disponible. Quant à moi je n’en fait pas mystère : l’occasion est bonne pour faire naître, dans une bataille culturelle, des consciences politiques.
La semaine passée j’étais à GrenobleLe dimanche, je suis allé enfin jusqu’à la Bastille qui surplombe la ville. Je voulais voir ce paysage que j’ai manqué à cinq reprises depuis que les remue-méninges du Parti de Gauche se tiennent dans cette ville. Cinq années de suite, il y a eu une fausse bonne raison de n’avoir plus de temps disponible pour cette promenade édifiante. Car on devine combien la hauteur permet de voir dans un grand souffle l’organisation de la plaine, des montagnes et des deux rivières. Comme toujours dans ce cas, la splendeur de la vue percole dans tout le corps et l’esprit. C’est comme une « limpia », l’exercice à vocation purificatrice des chamans des Andes. En tout cas, après ce regard porté sur ce tableau, on ne sait pourquoi, on se sent mieux qu’avant. Grenoble est bien posée de longue date comme un entre-deux mondes. Natif de Tanger entre Méditerranée et Atlantique, comme l’est aussi mon caractère, je repère ces sortes de lieux à des signes invisibles comme un oiseau migrateur connaît son chemin dans l’air. Les deux cours d’eau ont fait la loi ici au fil du temps long. Et si on a dompté leur croisement tout le paysage, reste un compromis avec l’eau. Elle affleure presque du sol partout où, pendant dix mille ans elle couvrait encore tout. La voie romaine savait cela et se tenait écartée de la zone restée inondable après le retrait du lac, au temps des marais. Je commence toujours par regarder ce qu’on fait les romains. Où est le « Cardo maximus » dans Grenoble, l’axe central fixé par l’arpenteur de l’Empire ? C’est la grande rue. Le plan n’a pas bougé pendant mille ans et la ville est restée sagement dans la muraille du troisième siècle. Je me demande comment s’est manifestée en ce temps-là cette constante tension politique qui semble couler du paysage. Je la sens comme une sorte de résurgence de l’énergie dissipée par le surgissement des Alpes, l’explosion du sous-sol calcaire en plateaux tout fripés et les fluides tumultueux des deux rivières se choquant l’une à l’autre pendant des millénaires. On me racontera ça, je suppose, un jour où l’autre.
La ville a d’abord été gauloise, bien sûr, car le lieu est habité depuis le temps le temps profond le plus abyssal, celui des silex taillés et des grottes en surplomb. Je suis stupéfait d’apprendre l’existence de cette église mérovingienne où l’on voit représentés des palmiers et des animaux du Moyen-Orient. A ce compte, la ville sent plus fort l’aventure que son air placide ne le laisse croire. D’ailleurs, la Grande Révolution a formellement commencé ici, un an avant l’heure parisienne et nationale. J’humais donc l’air, cherchant les fumets des remuements. Ils marquent la piste qui conduit jusqu’à Dubedout, gérant l’avant-garde de la gauche post soixante-huit et ensuite jusqu’à Eric Piolle, Elisa Martin et mon équipe d’amis. Ceux-là, depuis mars dernier, annoncent selon moi le futur de la gauche qui viendra après la nuit de la bureaucratie solférinienne.
Sous l’ancien régime, l’évêché trônait à l’est et le palais delphinal à l’ouest. Les consuls s’installèrent à mi-chemin, sur le centre-ville actuel. Le peuple ici, tel qu’il s’est défini au fil des âges, ne s’est jamais tenu sous les sujétions prévues pour lui. S’il y a consenti, c’est toujours comme si c’était négocié davantage que subit. La journée des tuiles se passe en 1788. Le parlement local se tourne en rébellion contre le roi qui envoie ses troupes pour rétablir l’obéissance. Le peuple harcèle les troupes royales en leur jetant depuis les toits les tuiles qui s’y trouvent sous la main. Le Cazeneuve de l’époque fit tirer. Sans parvenir à terroriser. C’est là une grande sagesse politique du grand nombre. Car partout en France ces Parlements étaient des antres réactionnaires défendant les refus devant l’impôt des puissants du moment. Reste qu’il fallait s’opposer et ruiner le pouvoir du monarque sachant qu’en cas de victoire sur celui-ci, la tourmente emporterait les autres privilèges ! Et c’est bien ce qui se passa. Une fois entré en rébellion, le Parlement se réunit dans une salle mise à sa disposition par un puissant notable bourgeois, dont un lointain descendant sera le président de la troisième république Casimir Perier. On vérifie ici que le temps long a toujours eu sa part entre le hasard et la nécessité. Une fois réuni, le Parlement proclama la confusion des ordres, une majorité du bas clergé et une grosse proportion de la noblesse locale se fondant avec les représentants du Tiers Etats. Un an avant la même scène à Paris, libérant l’énergie de la Révolution qui a ouvert l’ère moderne. C’est la même force préfiguratrice qui crée le maquis du Vercors, véritable et seule armée de plus de 4000 personnes en résistance constituée en pleine occupation. Les allemands eurent les plus grandes peine à la détruire en dépit de l’énorme différence de moyens mis en œuvre. Bref, Grenoble est davantage qu’une ville. C’est un cratère essentiel du volcan populaire français. Les activités souterraines et informelles de la tension politique d’une époque se libèrent ici combien davantage qu’ailleurs !
Conformément aux lois du temps long et des hasards bien ordonnés, l’élection municipale de l’an passé a ouvert la brèche par où va se constituer la nouvelle période de notre camp. Le deuxième tour avait montré comment se passent les choses quand elles le doivent. Quand ils furent convaincus que les nôtres incarnaient le vote utile du second tour, ce fut une marée qui déferla depuis les quartiers ou régnaient l’absentéisme. Tout fut emporté : la droite autant que la coalition du PS et de ses commensaux. L’onde de choc de la déroute de nos adversaires de cette séquence n’a pas fini de travailler le terrain. L’émergence des nôtres a reconstruit de fond en comble le paysage. Je me réjouis de savoir que la direction locale du PCF est en pleine restructuration. Il le fallait après la déplorable aventure qui l’a entrainé à nous combattre de bout en bout et même à se maintenir au deuxième tour contre notre liste pourtant arrivée en tête. Sur la base des nouvelles orientations du PCF affichées en Convention, la grande convergence sans ambiguïté à laquelle nous travaillons depuis des mois est désormais possible localement, me semble-t-il. La logique d’élargissement du Front de Gauche sur la ligne de l’opposition sans ambiguïté au gouvernement est à portée de main. Je crois que Grenoble peut en être le point de départ une nouvelle fois. Je dis à nos amis de la majorité municipale qu’ils ont une responsabilité particulière. Elle leur fait devoir. Je sais très bien que c’est plus facile à dire qu’à faire. Car j’ai bien vu sur place mes amis dévorés à plein temps par l’action municipale, affrontant par-dessus le marché les traquenards que tendent les revanchards socialistes et leurs divers suppôts locaux, confits de haine et de rancœurs après avoir perdus leurs prébendes. Ici comme ailleurs les équipes municipales sont aussi confrontées au coup de rabot sur les finances publiques imposé par Berlin et Bruxelles via Hollande et Valls.
J’ai vu sur place l’effort réalisé pour constituer des assemblées citoyennes sur les thèmes municipaux. Je veux dire qu’on m’en a largement parlé. L’expérience ne manque donc pas, ni la légitimité à en parler. J’ai produit ici même ce que le Parti de Gauche pense sur cette forme d’organisation pour construire l’action dans l’avenir. Dès lors, nous serions à la disposition des Grenoblois pour relayer ce qu’ils nous demanderaient de faire. Car le temps est venu de passer aux actes. Leur autorité morale est grande à cet instant de désarroi généralisé. Nous devons impérativement entrer dans la fondation d’un nouveau cycle.
Le temps du PS est passéIl finit de s’effondrer moralement dans les connivences du libéralisme. Sa nécrose clientéliste et bureaucratique le prive même des ressorts du sursaut comme le prouvent l’évanescence des frondeurs et leur pusillanimité. L’actuel premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, avait annoncé la fin du PS issu d’Epinay. Il se plaint à présent publiquement que certain veuillent la mort du PS. La belle affaire ! Il n’y a pas de PS possible en France autrement que sur les bases de rupture avec le capitalisme qui furent celles endossées par le PS d’Epinay. Par conséquent, la situation présente ne demande pas de grandes enquêtes pour savoir qui veut la fin du PS. Ceux qui en ont réuni les conditions sont à l’intérieur des murs. De l’extérieur, nous ne faisons rien d’autre que de prendre sur la tête les éboulis de l’effondrement ! C’est bien pourquoi dorénavant plus personne ne veut s’allier avec le PS, de sorte que la principale fracture que les dirigeants PS avaient ouvert dans les rangs du Front de Gauche est refermée pour aborder les étapes suivantes. Cette étape sera celle à la fois de l’implication citoyenne mise au poste de commande et de la coalition des oppositions de gauche.
Nous ne partons pas de rien. Le Front de Gauche fournira sa part des fondations de la nouvelle alliance. Mais il doit tirer la leçon de ses propres limites. Ni avant, ni pendant, ni après la conquête d’une majorité, on ne peut agir sans s'appuyer sur un ressort populaire plus large que celui de nos partis. Les assemblées citoyennes, les vraies, sont notre avenir. C’est la condition de base. La conjonction des partis de l’opposition de gauche est évidemment nécessaire. Mais on voit que ce n’est pas un exercice facile. Les pesanteurs du passé moelleux, la peur panique du déclassement qui anime les nantis du système politique, la force des chantages de toutes sortes, tout cela compte beaucoup. Parmi ces âmes molles, la tentation de donner au moins disant le pouvoir de décision est si forte ! La pente est si bien huilée ! On a vu comment les « frondeurs » sont passés du vote contre à l’abstention « pour être plus nombreux » et de là au silence à l’heure de Rémi Fraisse.
Les aguichages concurrents des universités d’été socialistes sont finis. Le PCF vient d’en tirer la leçon à sa Convention Nationale. Pierre Laurent a été parfaitement clair dans son émission de dimanche à France 3. Il n’est plus question d’alliance avec le PS. L’arc de force visé est celui que nous défendons aussi depuis des mois : le Front de Gauche, les oppositions de gauche d’Europe Écologie-Les Verts, Nouvelle Donne, les socialistes affligés et ceux des groupes rompant avec la politique de Valls. Pour autant, tous les efforts accomplis par Pierre Laurent n’auront pas été vains. Ils ont permis de bien voir quelles étaient les limites des divers groupements concurrents de « la gauche » du PS de Hamon-Emmanuelli à Martine Aubry en passant par Emmanuel Maurel. Je n’en suis pas surpris. Ils ont donné le change. Rien de plus. Bien sûr il faut maintenir la porte ouverte. Bienvenue à qui veut combattre. Mais encore faut-il qu’ils veuillent combattre. Pour l’instant et pour de longs mois, tout ce petit monde va rester dans les méandres et les reptations des investitures cantonales et régionales et du congrès du PS.
Le congrès du PS sera intéressant. On peut présager sans mal que la « gauche » sera diluée et ce qui en restera sera écrasé. Au total, qui compterait dessus se lierait pour des mois à un poids mort. Je pense qu’en avançant, en agissant, se créé une dynamique plus efficace qu’en restant assujettis au règne des colloques et parlotes et de la diplomatie inter-groupusculaire. J’en veux pour preuve le mouvement opéré par Liêm Hoang Ngoc et les « socialistes affligés » accompagnés par un nombre significatif de dirigeants du mouvement des jeunes socialistes
en adhérant au Mouvement pour la sixième République. En même temps qu’eux, ce sont des dirigeants de premiers plans, deux des trois co-présidents du mouvement « Nouvelle Donne » qui ont également décidé de s’impliquer dans le déploiement du Mouvement pour la sixième République. Il s’agit de la députée Isabelle Attard et du conseiller régional Patrick Beauvillard. Dans ces conditions, la question du passage à la sixième République est en train de s’inscrire comme une idée centrale dans le programme de l’opposition de gauche en construction. Et c’est bien le but si l’on veut qu’elle devienne demain l’idée capable de fédérer le peuple tout entier.