L'Humain d'abord - Pour une 6ème République
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Forum d'information et de discussion politiques - Mar 7 Mai - 18:54
 
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 A Lima avant Quito (Jean-Luc Mélenchon)

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MessageSujet: A Lima avant Quito (Jean-Luc Mélenchon)   A Lima avant Quito (Jean-Luc Mélenchon) EmptyMer 17 Juil - 16:18

Cette deuxième carte postale du mois de juillet prend l’allure d’une interminable lettre. Elle vous arrive de Lima au Pérou. Depuis que je m'y trouve je n'y ai vu qu’un ciel gris. Le bleu et le soleil n’ont jamais percé. Un petit crachin glacé est venu parfois donner l'impression que l'humidité mortelle de l'air se purgeait d'elle-même. En fait, ici, je me trouve dans l’hémisphère sud et c’est donc l'hiver. Les témoignages de l'an passé prétendaient qu'il n'y avait pas vraiment d’hiver ici. Erreur complète. On devine donc combien j'ai hâte de revenir en été. Ce sera chose faite quand je serai en Équateur, au moment où ces lignes seront publiées. De plus je ne suis pas certain de parvenir à m'accoutumer à ces petits tremblements de terre qui sans cesse agitent le sol de la  capitale péruvienne. Encore moins depuis ce qu’on m’a dit. Les scientifiques prévoient, sans pouvoir dire si c'est pour demain ou pour dans cent ans, un événement qui atteindra le niveau huit sur l'échelle de Richter !

À présent, je raconte ma rencontre avec le président de ce pays, Ollanta Humala. Cela s'est passé samedi 13 juillet au palais présidentiel Plaza Mayor. Notre entretien a duré une heure et quart. Il m'a commenté les grands axes de la politique qu'il met en œuvre, analysé l'événement qu’a été l'interception de l'avion du président bolivien et la réponse qu’y ont apporté les pays de l'UNASUR dont il exerce la présidence. Du coup je n'avais plus envie de me faire démolir le moral en écoutant François Hollande le 14 juillet. Selon ce qu’on m’en a dit, je crois que j'ai bien fait. A la fin de cette très longue note je fais quand même un écart pour parler d’un beau livre et d’une histoire de Français dans ces parages. Une histoire bouleversante. Ma prochaine carte postale viendra de l'Équateur où je me trouverai déjà quand cette note sera publiée. Elle sera davantage historique car je suis aussi sur les traces des hommes et des femmes des lumières et de la grande révolution de 1789, ici dans le nouveau monde. Et par-dessus tout je dirai où nous en sommes de la construction du Forum Mondial de la révolution citoyenne qui se prépare en lien direct avec les équatoriens.

Dimanche matin 14 juillet, je me trouvais place de France à Lima pour la cérémonie des Français. Ici nous pratiquons sur une place publique et en grande solennité. Y viennent les enfants des écoles françaises, le corps de sapeurs-pompiers soutenus par la France, tous les responsables des diverses activités que les Français ont ici en matière de recherche et de développement ou de travail scientifique. Sans oublier les représentants des Français de l'étranger et leurs associations. Bien sûr les autorités péruviennes y sont fortement représentées. Au milieu de la place une statue de la Liberté, son flambeau à la main. On a chanté à pleins poumons la Marseillaise et l'allocution de l'ambassadeur de France a célébré l'universalisme français avec un mot de Montesquieu : « avant d’être français, je suis un être humain ». Bref, la France des lumières. Le soir venu, à la résidence de France, on a encore chanté la Marseillaise. La réception a été un énorme succès qui a réunis mille deux cent personnes. Parmi tous ceux qui se trouvaient là, toutes sortes de jeunes Français, étudiants, stagiaires, professionnels divers se trouvaient là dont un bon nombre de ceux qui sont venus au-devant de moi partagent notre engagement de valeurs politiques. On s'est retrouvé entre gens positifs, qui font des choses utiles et en sont fiers.
 
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L'honnête homme

Maudits embouteillages ! Lima qui m'était pourtant parue plus fluide que bien des capitales sud-américaines, ce soir-là s'était embouteillée. J'ai fini le trajet, que j'avais commencé en taxi, au petit pas de course, dans l'état de stress que l'on devine quand on abandonne son véhicule pour courir à un rendez-vous présidentiel avec un quart d'heure de retard déjà sur l'heure prévue. Le parcours à l'intérieur du palais entre les divers contrôles me permit de reprendre mon souffle et de faire bonne figure le moment venu. Au demeurant, le président Ollanta Humala sait mettre son monde à l'aise. Après un abrazo sans façon, et après m’avoir rappelé qu’on se tutoyait, on entra dans la conversation comme si on s'était quittés hier. La simplicité tranquille de cet homme est extraordinairement contagieuse. Il n'y a en lui ni pompe ni superbe. Et ce qu'il dit concentre toute son attention.

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Je ne suis pas venu à sa rencontre pour vérifier des accusations et encore moins entendre une défense. Je m’intéressais à l’homme et à sa perception des problèmes et des solutions. La sympathie personnelle qu’il m’inspire au plan humain depuis que je le connais ne se dément pas. Et si je sais bien que cela n’a pas de valeur politique, il me semble néanmoins que cela a du sens. Je place l'élection de ce président dans la vague démocratique qui a couvert toute l'Amérique du Sud compte tenu des conditions dans lesquelles il a dû faire campagne et de l'adversité médiatique bestiale qui s'est opposée à lui. Je pense que notre privilège d’observateur engagé est de pouvoir écouter et observer des façons d'agir et de penser différentes qui nous apprennent beaucoup de toutes les manières possibles. Nous savons depuis le début que chaque pays connaît des processus de transformation différents. C'est pourquoi, dans le passé j’ai toujours refusé le prétendu clivage entre le « bon » Brésil et le « méchant » Venezuela. Il faut en faire de même dans le cas du Pérou et de son président par rapport aux autres pays de l'Alba ! D’une façon plus générale il faut que je répète ce qu’est à mon avis la bonne manière d’appréhender notre relation aux gouvernements de la vague démocratique d’Amérique du sud. L’enjeu n’est pas de les soutenir ou pas. Répétons-le : il n’y a pas de modèle pour nous. Seulement des sources d’inspiration. A partir de là nous ne devons « soutenir » aucun gouvernement, aucune personnalité ce qui reviendrait à nous identifier à eux et donc à en faire des modèles. Nous soutenons des politiques en particulier et nous participons à des campagnes de défense commune contre l’oligarchie, le parti médiatique et l’Empire.

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Notre esprit critique ne doit jamais désarmer, et pas davantage le devoir d’apprendre avec modestie de ceux qui sont en mode action ! Tant qu’on se parle, nous formons une même mouvance, ce qui n’interdit ni les débats, ni les critiques. En me recevant, moi qui ne suis rien, sinon le symbole d'une certaine gauche européenne, le président péruvien donne un signe de connivence et de volonté de dialogue avec nos forces politiques. Je ne l'oubliais pas au moment où nous nous fîmes un abrazo final et qu’il me fit l'amitié de me raccompagner en me tenant par l'épaule. Au moins puis-je dire une chose : c'est que sur le plan personnel cet homme est moins pusillanime dans ses relations que bien d'autres qui me tournèrent le dos sitôt que François Hollande fut élu ! Que ceux-là soient revenus depuis à de meilleures sentiments après avoir découvert le personnage peu fiable du président français ne me fait cependant rien oublier.

Pour situer l’état d’esprit dans lequel se trouve Ollanta Humala, je vais citer la comparaison un peu provocante qu’il m’a faite. « Tu comprends, me dit-il, c'est un peu comme ceux qui se passionnent pour le foot. Ils sont dans l'euphorie et l'enthousiasme du match à ce moment-là et ne se posent pas d'autres questions. Mais ensuite il faut rentrer à la maison et savoir si demain tu vas travailler ou pas, si les enfants vont aller au collège et s'il y a quelque chose à manger. Moi je me sens responsable de savoir si dans mon pays il y a du travail et s'il y a à manger». Je présente là les choses comme il me les a dites avec assez d'insistance pour que je me rende bien compte que c’est là une conviction très forte pour lui. À un autre moment, peut-être parce qu'il s'est souvenu de la personne à laquelle il s'adressait, il m'a dit : « l'idéologie c'est très important, bien sûr, mais ça ne doit pas remplacer le réel ». Je pense qu’il m’a dit tout cela parce que j’étais accompagné par un camarade de la gauche de son parti et qu’il a croisé dans la pièce attenante avant de me rencontrer dans ce salon particulier qui avait été prévu pour cela. Mais moi je n’étais pas venu faire des reproches. Juste me donner la chance de pouvoir parler de l’exercice du pouvoir avec un homme que j’estime et qui est dans la deuxième année de son accession au pouvoir sur nos bases politiques communes. Ça ne m’a pas empêché ensuite d’entendre aussi ce que m’ont dit les camarades du nouveau « Frente Amplio de Izquierda ». Ils se définirent : « c’est comme le Front de Gauche en France ». Eux attribuent la responsabilité de leur rupture avec la majorité présidentielle à Ollanta Humala. D’autres aussi sont venus me voir : ils participent aux élections en cours dans le parti du président en se définissant comme la gauche de ce parti. J’ai remis mon commentaire à plus tard, quand j’aurai le temps d’approfondir ce que j’ai entendu. D’une façon générale je ne me mêle pas des discussions qui opposent les nôtres là où je vais. Je vois tous ceux qui veulent bien me parler. J’enregistre ce qu’on me dit et ensuite je réfléchis en me demandant comment je m’y prendrais moi-même si j’avais à décider sur le sujet. C’est ma forme de réalisme gouvernemental : je me demande toujours comment nous devrions faire nous-même chez nous. L’étude des autres est donc un carburant précieux.

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Je sais que Humala a dû souffrir quelques empoignades avec ses amis sans que ceux-ci aient su lui proposer un autre cadre d’action global si je comprends bien. J’ai connu cette situation en France en 1983. Nous réclamions alors à cors et à cris « l’autre politique » pour nous opposer au « tournant de la rigueur ». Mais aucun de nos chefs n’avaient la moindre proposition concrète dans ce sens. Je n’ai pas oublié la leçon. Si la radicalité n’est pas concrète ce n’est qu’un songe creux. Cela ne veut certainement pas dire qu’il faut en rabattre de nos ambitions mais qu’il faut les formuler avec un mode opératoire. C’est ce que nous avons voulu faire avec notre premier forum du parti de gauche intitulé : « gouverner face aux banques ». Le programme d’action qui s’en est déduit, le livre que Jacques Généreux a donné sur le thème (« nous on peut »), tout cela est notre réponse méthodologique au danger de l’abstraction futile. Je m’en tiens toujours fermement à cette ligne d’action. Je pense que notre tour viendra et qu’il faudra être prêt. D’ici là il faut agir, sans oublier d’apprendre, et d’écouter ceux qui peuvent nous aider à comprendre, a tous les niveaux.

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L’action du nationalisme de gauche au Pérou

Voici donc ma synthèse de ce que j’ai compris de mon échange avec le président péruvien. Ici, il n’est question ni de rupture avec le capitalisme ni d’éco-socialisme. La politique du président Humala est celle d’un nationaliste de gauche. Il ne s’agit de rien d’autres que de donner a la communauté péruvienne, conçue comme un tout, son indépendance collective et personnelle. Cette position lui vaut la solide haine du parti médiatique qui l’accable ici comme le sont tous nos amis partout. Cela lui vaut aussi l’incompréhension de plusieurs secteurs de gauche et de sa majorité. Mais ce qu’il fait mérite attention et nous apprend aussi beaucoup de choses. A son sujet comme au sujet de beaucoup d’autres dirigeants et de beaucoup d’autres gouvernants de la vague démocratique il faut absolument renoncer aux vieilles habitudes mentales du passé qui voudraient voir partout ou bien des modèles ou bien des traitres. Ollanta Humala dans ses pires manques est dix mille fois plus à gauche que n’importe quel jour de la vie de François Hollande ou de l’un quelconque des membres de son gouvernement. Par de nombreux aspects de sa politique, il est aussi une source d’inspiration pour notre action.

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Toute la politique mise en œuvre au Pérou repose sur la bonne santé de l'économie minière. Ce que l'on appelle « l'extractivisme » a donc encore ici de beaux jours devant soi. La croissance est de six points par an. La croissance reste un horizon indépassable pour nos gouvernements dans cette région. L'intensité de la misère à laquelle il leur faut arracher la société explique cette fixation. Je crois pourtant qu'il faut y ajouter quelque chose qui ne fait pas plaisir à entendre. Je veux parler du retard qui a été pris partout à gauche pour penser un modèle alternatif concret de production et d'échange. Ce genre de travail ne se commence pas quand on accède au pouvoir. Il faut l'avoir fait avant. Sinon tout ce qu'on peut dire ensuite reste des phrases creuses et abstraites que les urgences du quotidien renvoient toujours à demain. En regardant faire ce que fait le gouvernement Ayrault, on comprend plus facilement en quoi consiste le retard de prise de conscience de la vieille gauche. Dans l'Amérique du Sud, nos amis ont pris la direction de leur pays après une période terrible d'ajustement structurel imposé par le FMI. Une immense extension de la pauvreté et surtout de l'extrême pauvreté a été le résultat de cette période. La vague démocratique a d'abord été une rupture avec les politiques de coupes budgétaires et de privations dont le néolibéralisme est le prescripteur.  Mais on ne doit pas perdre de vue que si cette urgence et la protestation contre elle ont permis de fédérer des mouvements sociaux et des électeurs de toutes sortes, pour autant, il n'a pas permis de formuler à soi seul un projet d'organisation économique réellement, c’est-à-dire complètement, alternatif. C'est pourquoi dans tous ces pays j'ai pu observer que la sortie de la misère, la formation d'une classe moyenne, l'extension de droits humains concrets, n'ont cependant fait remettre nulle part en cause les fondamentaux des modèles de consommation dominant. C’est un fait extrêmement important qui doit nous servir de leçon. Il ne suffira pas d'en finir avec les options politiques d'austérité et d'ajustement structurel qui dévastent l'Europe. Il faudra rompre aussi  avec le modèle de consommation et d'échange. Il ne suffit pas d'en avoir conscience. Il faut se préparer effectivement avec des propositions concrètes et des modes opératoires. Sinon nous ne réglerons aucun des problèmes que rencontre aujourd'hui l'écosystème humain ni aucune des impasses existentielles que construit la société de frustration consumériste. Mais surtout si nous perpétuions les modes et les usages de la société de consommation néolibérale, nous reproduirons en même temps l'ensemble des valeurs et des comportements qui y sont attachés. Dés lors, la révolution citoyenne ne met pas seulement à l'ordre du jour la question du partage de la richesse et des formes de l'exercice du pouvoir. La définition et le contenu de cette richesse, l'objet du pouvoir à exercer et les domaines auxquels ils s'appliquent sont les dimensions qualitatives sans lesquelles le reste ne prend pas de sens de façon durable.

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En tout cas, je dois préciser qu’Ollanta Humala ne fait pas de l'activité minière l'horizon indépassable de l'économie péruvienne. Il s'est réjoui de pouvoir me dire que, pour la première fois, le commerce compte davantage que la mine dans la contribution fiscale. Je comprends bien le circuit économique qu'il me décrit et j'admets que tous les plans du gouvernement dépendent de l'alimentation fiscale dont la source est dans les mines. Pour autant je ne sais pas quel est le rapport de force social et donc quelle est la proportion de ce qui est prélevé dans les mines qui revient dans les caisses de l'État. J'ai bien compris que Humala ne veut pas tuer la poule aux oeufs d'or.  Il me l’a assez dit. J'ai trouvé qu'il avait tendance à reprendre à son compte des antiennes connues : il y a d'une part l'idéal et d'autre part le réel. Mais dans sa bouche cela ne m’a jamais semblé aussi plein de cette hypocrisie que l’on note sur ce thème en Europe où ce refrain sert de prétexte pour justifier que l’on ne fasse rien d’autres que de continuer «  la seule politique possible ». J’ai lu que Manuel Valls avait réitéré son numéro sur ce thème en faisant l’apologie du « réformisme assumé » de François Hollande, pour faire semblant de recommencer le débat entre réforme et révolution qui a fait les grandes heures de ce type de droitier complexé. Aucun journaliste n’a eu l’insolence de lui demander de quelle réforme progressiste accomplie par François Hollande il parlait. Il est vrai que beaucoup de ses auditeurs ne comprennent même pas de quoi il est question, tout simplement.

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J’en reviens à Ollanta Humala. Il ne se résigne sur aucun thème. Je l’ai trouvé très pointu sur bien des questions concrètes concernant les moyens d'agir. Son souci sincère est de parvenir à ce point ou l’activité minière ne sera plus l’alpha et l’oméga de la politique de ce pays. Du coup, il souligne avec beaucoup d'insistance ce fait que l'économie péruvienne ne dispose ni de cadres intermédiaires techniques ni d'ouvriers hautement qualifiés. Il voit bien quelle dépendance en résulte à l'égard du capital étranger qui s'investit au Pérou et amène avec lui des techniques que personne d'autre ne sait mettre en oeuvre. Je crois que les capitalistes concernés savent faire sentir par ce biais là que leur présence est indispensable. J’avais pu m'en rendre compte à l'occasion d'un voyage en Bolivie en rencontrant  des professionnels du gaz et du pétrole. Ceux-là plaisantaient sur le fait qu’en toute hypothèse, nationalisation ou pas, les Boliviens ne sauraient pas faire les trous comme eux savent les faire pour sortir les matières premières. Du coup j’ai senti Ollanta Humala bien plus avancé dans la compréhension de l'importance de l'enseignement technique qu'aucun autre des dirigeants latino-américains que j'ai rencontré. Ni même que la plupart des dirigeants européens que je connais. À ce qu'on m'a dit c'est là un thème récurrent de ses interventions en matière d'éducation. Pour ma part je l'ai entendu faire plusieurs développements sur le sujet. Il m'a fait la démonstration classique pour prouver qu'une carrière technique assure un métier et qu'elle est souvent mieux rétribuée qu'une autre, plus généraliste. Il m'a dit qu'il voulait combler le fossé de ce manque « à marche forcée ». « Nous ne dépendrons plus de l'économie minière le jour où nous serons capables de faire autre chose », m'a-t-il dit. Il faut mesurer ce que ce propos a d'extraordinaire. L'enseignement technique et professionnel est la partie du système éducatif la plus méprisée et la moins connue des dirigeants de tous les pays du monde et davantage dans le monde latin que nulle part ailleurs. J’affirme que nous avons exactement le même problème de mépris de caste dans notre pays. Entendre le président du Pérou en parler comme d'une urgence absolue est pour moi un fait sans précédent. Ce n'est pas tout, sur le sujet.

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À propos de la jeunesse, le plus grand problème pour lui, me dit-il, c'est cette énorme quantité de jeunes qu’il nomme les « ni-ni ». Ni étudiant, ni travailleurs. Il s'agit des jeunes qui n'étudient pas et qui ne travaillent pas. « Alors que peuvent-ils faire, me dit le président ? Rien, ou de la violence, ou de la délinquance ! Ou alors faire les fourmis pour le trafic de drogue. On leur met un sac sur le dos avec quelques kilos de drogue, ils mettent une capuche par-dessus et ils passent des jours et des nuits dans la montagne à essayer de traverser avec leur cargaison. Nous en capturons beaucoup. Vraiment beaucoup. Nous en avons déjà trois à quatre mille en prison. Et bien sûr ils ne sont pas condamnés à vie. Que veux-tu qu'ils fassent ensuite en sortant de la ? Ils retournent à la vie quotidienne et ils recommencent la seule chose qu'ils savent faire, de la violence et des trafics, jusqu'à ce que mort s'ensuive. Nous préparons un programme de formation technique pour ceux qui seront volontaires. Ceux-là passeront leur temps de peine à étudier. Sinon quel avenir peuvent-ils espérer ? En Amérique du Sud, le phénomène des bandes de «ni-ni » qui se répartissent des territoires de délinquance est maintenant généralisé. C'est un fléau dont personne ne sait comment sortir une fois qu'il a commencé. Comment convaincre un jeune d'aller chercher du travail quand il peut gagner grâce au trafic de drogue davantage en une journée que son père en un mois de travail honnête ? Il faut régler le problème avant d'en arriver à la cartelisation des zones de délinquance. Il faut que les jeunes aillent directement au travail après leurs études. Pour ça il faut qu'ils finissent leurs études et qu’ils trouvent du travail. Ça c'est notre responsabilité ». Je partage complètement, cela va de soi. J'ai été heureux de l'entendre formuler ce diagnostic. Je sais que nous n’échapperons pas en Europe à ce qu’il décrit. D’une certaine façon je crois que cela est commencé en France et que la récession va précipiter le mouvement. Je n'ai pas relancé cette discussion. Je sais comme lui que le Pérou est devenu le premier pays producteur de cocaïne. Je sais ce qu'il m'en aurait dit et je sais aussi qu'il est sincère.

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Je me suis renseigné. Les gens avec qui j'ai pu échanger attestent du fait que les autorités péruviennes au sommet de l'État et du gouvernement sont totalement déterminées et ne font aucun compromis avec le narcotrafic. Ce n'est pas si courant !  Au cours du premier semestre de l'année 2013, presque 300 laboratoires de production de pâte base de cocaïne ont été détruits ainsi que 529 puits de macération et trois pistes d'atterrissage clandestines. Plus de 10 000 hectares de surface de cultures de la coca ont été éradiquées. 10 tonnes de cocaïne ont été saisies et détruites. C'est bien, c'est spectaculaire. Mais ça ne suffit pas. Au Pérou sont produites 325 tonnes de cocaïne par an. Il faut comprendre ce qui se cache derrière ce chiffre, le défi que cela représente pour l'autorité de l'État et même pour la construction d'une société organisée. La culture et le commerce de la drogue pourrit tout ce qui l'approche et l'entoure. En 2011, il y avait eu 11 pistes clandestines d'aviation repérées par satellite. En 2013 il y en avait déjà plus de 75 repérées à la moitié de l'année. Ainsi de tous côtés l'État est mis au défi ! Son espace aérien, son espace fiscal, ses ports, sa jeunesse, les instruments de l'État comme la police, tout est rapidement contaminé. Sans oublier la dimension politique. Car 60 % des cultures sont actuellement sous le contrôle de la pseudo guérilla maoïste « Sentier lumineux ».

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Cet aspect ne saurait être négligé. Le lien qui existe entre la culture et le commerce de la cocaïne et la prétendue guérilla « Sentier lumineux » n’est pas anecdotique ici. Il fait ressurgir le fantôme d’un passé qui a laissé un terrible souvenir : celui des années de guerre qui ont défiguré la société péruvienne pendant une décennie. Les gens que j'ai rencontrés, porte-paroles des associations de victimes, parlent de 70 000 morts et 4000 disparus. Comme je m'ébahissais du nombre des morts et du fait que cela se sache si peu, même de gens comme moi qui suivent l'actualité de l'Amérique du Sud depuis tant d'années, on me demanda de bien prendre en compte qui sont ces morts et ces disparus ! Au contraire de la situation du Brésil, de l'Argentine ou du Chili dans le cadre des meurtres planifiés par les dictatures et les nord américains avec le plan Condor, ici toute la bataille a eu lieu dans les campagnes. Les protagonistes dans tous les autres pays étaient urbains. Ils venaient de toutes les classes sociales, certes. Mais beaucoup étaient des cadres, des étudiants, des enfants de la classe moyenne. Ils avaient une voix, des relais et se firent entendre. Rien de tel ici. L'armée patrouillait dans les campagnes, le «Sentier lumineux » et le Mouvement Révolutionnaire Tupac  Amaru de même. Les paysans étaient seuls devant eux. Tous seuls. « Tupac Amaru était mieux équipé, m’a raconté un témoin. Ils avaient des armes et certains étaient en uniforme. Ils fusillaient les gens qu’ils condamnaient. Les militaires aussi. Ceux du « Sentier lumineux » étaient plus pauvres, en haillons. Souvent ils n'avaient pas de chaussures. Ils tuaient les gens leur écrasant la tête avec une pierre ou en leur coupant la gorge avec un couteau ou une machette.» Il y avait aussi des attentats en ville qui tuaient les gens à l'aveuglette. Mais pour l'essentiel les victimes sont de pauvres paysans illettrés, sans relation, coupés du monde. Il y a une commission admirable qui a fait le décompte des morts et qui s'est efforcé de rétablir la vérité. Tant d'années après, évidemment, la société veut tourner la page. Il faut le comprendre. Mais beaucoup de familles des victimes ne lâchent pas la prise. Elles se battent encore pour la vérité et les réparations. Ce sont de pauvres gens. Ils méritent notre aide.

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Ce 14 juillet, au terme de la cérémonie place de France à Lima, pour la fête nationale des Français à laquelle participent de nombreuses personnalités péruviennes, il y avait un groupe de représentantes des familles des victimes. Elles se sont groupées devant nous pour nous présenter une modeste pancarte large comme une feuille de papier sur lequel était écrit : « familles des victimes ». Rien de plus. L'ambassade de France avait organisé une exposition de photographies qui donnaient des témoignages de cette époque. Je pense que c'est ce qui explique la présence de ces personnes. Quand on voit les photos on comprend mieux… Et on comprend surtout pourquoi le narcotrafic est aussi vécu comme un ticket de retour du passé de guerre civile. Dans ce domaine encore il n'y a pas d'autre issue que la reconstruction de l'État, de son autorité et des moyens qu’il peut mettre en œuvre pour donner à la population une autre issue que la production de coca qui finira dans les puits de macération et les sentiers de fourmis.

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C'est tout cela l'arrière-plan d'une discussion comme celle que j'ai pu avoir avec le président péruvien. Un passé terrible, un présent incertain, surplombent toute la décision politique. Le programme le plus simple prend alors une dimension qu’il n'a pas ailleurs ! Il s’agit de construire un État et de le mettre à la disposition de toute la population et non pas seulement de quelques secteurs. Il faut développer massivement les infrastructures pour unifier le marché péruvien et par ce seul moyen offrir des débouchés aux régions enclavées qui s'en tiennent à une économie de subsistance. Par-dessus tout, l’objectif est d’élever le niveau d'éducation et de santé du peuple. Le but est d’éradiquer la très grande pauvreté et de réduire massivement la pauvreté ordinaire. Voilà les quelques axes essentiels auxquels Ollanta Humala s'accroche. En deux ans les résultats sont solides, sérieux, avérés. Pour faire tout cela, il dit qu'il a besoin de la rente minière. « Et tout cela, rappelle-toi, nous sommes en train de le réussir dans la démocratie ». Il aurait pu ajouter : et dans… l'honnêteté. Car ses pires adversaires ne lui disputent pas ce point d'honneur : pour la première fois depuis bien longtemps le président de la république du Pérou est un homme honnête.

Ici, la nouvelle hiérarchie du monde est faite.

La discussion sur l'interdiction de survol de la France par l’avion d’Evo Morales a été rapide. Pour Ollanta Humala, comme pour ses collègues, si j'ai bien compris, cela est assimilé à une grosse bourde ridicule commise sous la pression des nord-américains. L’image de la France sort terriblement amoindrie de cette affaire. Désormais nous sommes classés dans la catégorie des petites mains de l’Empire. L’effet Villepin est mort. Il m'a rappelé qu'en tant que président de l’UNASUR, il a fait adopter un communiqué unanime des chefs d'État de l'Amérique du Sud pour condamner cette décision. C’est un texte dur. À ce moment-là, je lui ai demandé s'il ne s'était pas isolé des autres chefs d'État de la « vague démocratique » en n’acceptant pas l'idée d'un sommet de tous les chefs d'État. Il m'a répondu très calmement et très tranquillement. « Je travaille bien avec tout le monde. Je me suis toujours bien entendu avec Chavez et maintenant avec Nicolas Maduro. Je n'ai pas de problème avec eux. En tant que président d’UNASUR, je devais arriver à un résultat unanime. Il n'y avait pas unanimité pour tenir un sommet de tous les chefs d'État d’UNASUR ! Je pense que si nous avions fait voir de la division, la situation aurait été très mauvaise. Bon, après cela, il y a eu un sommet à Cochabamba où se sont retrouvé un certain nombre de chefs d'État, mais ce n'était pas dans le cadre d’UNASUR. Ils étaient quatre en tout! Maduro lui-même était en Biélorussie.» La « chancelière », ministre des affaires étrangères a beaucoup insisté sur le fait qu’il fallait retenir la condamnation unanime et sans ambiguïté plutôt que les critiques et disputes éventuelle à propos de la tenue ou non d’un sommet des chefs d’Etat de l’UNASUR. Elle souligne que la convocation d’un tel sommet répond à des règles de convocation qui s’impose en tout premier chef à celui qui préside à ce moment-là l’UNASUR. Je livre ces arguments à l’appréciation de ceux qui me lisent et sont très attentifs à tout ce qui s’est passé ici autour de cette affaire où notre pays s’est si mal comporté. Je le fais pour éviter la sale besogne de tous ceux qui ont intérêt à diluer le problème posé par l’abaissement atlantiste de la France dans une autre discussion, qui n’a pas lieu d’être, à propos du degré de condamnation réel que la décision française a provoqué, ici en Amérique du sud !

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Nous sommes allés aussi un peu davantage sur le fond à propos de géopolitique. Pour bon nombre de nos amis, l’alliance privilégiée par Ollanta Humala est vécue comme un axe opposé à celui qu’ils défendent. Pourtant, lui présente sa participation à l'alliance pour le Pacifique avec le Chili et la Colombie comme une décision sans contenu idéologique. Pour lui, cet accord résulte des intérêts du Pérou « en tant qu'économie ouverte », selon sa façon de nommer les choses. D’après lui, les géants de la région comme l’Argentine ou le Brésil ne sont pas dépendants comme le Pérou de leur ouverture sur le reste du monde. Je lui ai demandé si c’était un problème que la vie au côté d’une superpuissance comme le Brésil. Il m’a répondu que c’était à eux, tous les autres, de trouver la façon positive de vivre avec cette situation.

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Il m'a rappelé que dorénavant la Chine était le premier partenaire du Pérou devant les États-Unis d'Amérique. La bifurcation du monde est commencée ici. Dans ces conditions, selon lui, certaines batailles, ne sont pas celles du Pérou. J'ai bien compris qu'il classait la polémique et les bras-de-fer avec les États-Unis d'Amérique dans cette catégorie de faits qu'il nomme « idéologiques ». Bien-sûr, je ne suis pas d’accord. Les Chinois n’espionnent pas tout le monde, ils ne déclenchent pas de coup d’état, ils n’essaient pas d’assassiner les chefs d’état qui leur déplaisent, ils ne font d’embargo sur aucun pays au monde, ils n’ont aucune base militaire en Amérique du sud. Ils n’ont jamais colonisé personne ici. Les Chinois posent d’autres problèmes. Ollanta Humala le sait bien, j’en suis certains. Mais à plusieurs occasions il a précisé sa pensée : « le Pérou ne peut pas être un simple  fourgon dans un train dont il n'a pas la direction ». Je pense que dans la conscience nationaliste du président péruvien, aucun leadership régional n’est acceptable. Je pense que sa priorité est là.

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J'ai trouvé le président péruvien très serein et détendu. Aucun sujet de notre conversation n'a créé de tension en lui ou dans ses propos. Il n'avait pas de cravate, il était très souriant. Il parlait bien assis au fond de son fauteuil et son visage ne portait aucun des stigmates du stress ou de la grande fatigue des personnes qui agissent à son niveau de responsabilité. Pourtant c’était samedi, le soir, et il était de retour d’un déplacement en province. Il est sec physiquement et ses mouvements sont très déliés. Il se tient très droit et cela m’a impressionné comme le premier jour où je l’ai rencontré dans la gare de Strasbourg, il y a deux ans. Il me dit en début de la conversation que lui et sa femme, Nadine, avaient un bon contact populaire. De fait dans les enquêtes d'opinion, aucun président péruvien n'a été aussi haut deux ans après son élection. A l’évidence il surplombe une scène politique confuse où la corruption bat encore son plein. Sa réputation d'intégrité le place à part de ce monde. Sa politique a quasi éradiqué l'extrême pauvreté et fait monter une classe moyenne qui avait été détruite dans les années précédentes par l'hyper inflation et le chaos politique. Il sait que cette classe moyenne nouvelle présente à son tour des exigences impatientes en matière de qualité du service public et de présence de l'État. Il a bien capté l'exemple de la situation brésilienne. « Il n'y a rien d'autre à faire que de continuer à développer un niveau de bien-être et une qualité de service public et d'infrastructures. Pour cela il me faut une économie en ordre et beaucoup de recettes fiscales. » C'est sa manière de voir et de dire les choses.

Quelques leçons de choses

Je veux revenir sur un point qui doit nous servir de leçon. Cette diversité des situations que j'observe en Amérique du Sud, je sais qu'elle nous concerne nous aussi. On ne peut mettre un signe égal entre ce que disent Die Linke en Allemagne, Syriza en Grèce, Izquierda Unida en Espagne et le Bloco au Portugal. Le moment venu, je crois bien qu'ils n'appliqueront pas la même politique s’ils gouvernent leurs pays respectifs. La singularité du Front de Gauche en France, de ses méthodes et de son programme sont aussi une réalité. Cette différence tient à l’histoire bien sûr, aux traditions politiques particulières de chacun de nos pays, mais aussi à la place qu'ils occupent dans les rapports de force en Europe et dans le monde. On ne peut rayer tout cela d'un trait de plume et il faut s'attendre à ce que cela pèse lourd le moment venu. Le rythme et les conditions auxquelles s'opèrera le changement ne pourra effacer toutes ces différences. Cela peut paraître une évidence mais il faut bien mesurer l'impact concret de ces sortes d'évidence. Nos gouvernements doivent impérativement obtenir des résultats concrets car c'est sur la base d'une urgente nécessité qu'une majorité se tourne vers nous, dans tous les cas que j'ai pu observer. Obtenir des résultats oblige à placer le curseur des compromis du mieux que l'on peut, là où il peut être placé dans les conditions particulières de chaque pays. Nous n'échapperons pas à cela. Et nous devons être conscients que ce qui est plus accessible à la France, deuxième économie de notre continent et cinquième puissance du monde, ne le semble pas autant pour nombre d'autres pays.

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Le procès des étoiles

En 1735, trois personnalités de l'Académie royale des sciences de Paris sont envoyées en Amérique du Sud pour mesurer de Quito à Lima, chemin inverse du mien, un morceau du méridien terrestre. Il s’agit de trancher un débat crucial sur la forme de la terre et permettre, entre autre, d’étalonner les mesures qui se feront pour les cartes. Une expédition est envoyée en Laponie, l’autre en Amérique du sud. Celle-ci comptera jusqu’à 10 personnes! Deux d'entre eux seulement reviendront à Paris. Les autres mourront sur place ou sombreront dans la folie. Godin, chef d’expédition, La Condamine, Bouguer, Seniergue, Jussieu avaient prévu quelques mois de présence loin de leur pays. En fait, lorsque commença la troisième année de leur travail, ils n'en étaient qu'à la moitié de leur calcul. Leur parcours a représenté un terrible exploit physique qui les a vu passer par des chemins quasi impraticables, des régions que les Indiens eux-mêmes craignaient, attelés à une tâche absurde consistant à mesurer les distances entre une étoile et deux tas de cailloux laborieusement constitués pour servir de repère ou entre deux points remarquables du paysage qu'un brouillard, des nuages ou une tempête de neige pouvaient tout d'un coup dissiper dans le néant…

Dans cette équipe, c'est Jussieu qui se montre le plus proche de nous par sa sensibilité, son intérêt et sa proximité avec les Indiens. Les autres finirent bien ou mal comme lui. L'un se dissipa en aventures féminines quand l'occasion s'en présentait, l'autre fut assassiné, celui-ci mourut en tombant d'un échafaudage tandis qu'il réparait l'horloge de la cathédrale de Lima parce qu'un très petit tremblement de terre se fit sentir à cet instant. Tous connurent toutes sortes de démêlés avec les autorités espagnoles. Pour autant nul ne fut plus méticuleux que ces hommes pour faire leurs mesures. Ici la rigueur scientifique est à la racine d’exploits et de démêlés inouïs et qui le resteront jusqu’à la fin ! Leurs aventures sont en effet à peine croyables, bien des fois.

Ainsi le 28 octobre 1746, 11 ans après leur départ, alors que Jussieu et Godin se trouvent à Lima et font leurs ultimes préparatifs pour le retour en France, un tremblement de terre rase toute la ville. Leur maison est en décombres et tous leurs papiers concernant l'expédition sont sous les gravats… Ces papiers si précieux, qui ont déjà failli être emportés avec les mules dans les torrents ou dans les précipices du parcours dans les Andes. Ils parviendront encore à les récupérer. Mais le voyage du retour est reporté : toute la population vivante est réquisitionnée pour reconstruire Lima. Godin est nommé ingénieur en chef de travaux à accomplir et c'est lui qui décide du nouveau plan de la ville de Lima. Après quoi, deux ans plus tard, en 1748, enfin autorisés à partir, ces deux-là décident de rentrer en traversant tout le continent par les plateaux pour s’embarquer à San Paolo. Ils se sépareront en fait à La Paz, car Jussieu disparaît, incapable de quitter le pays, en laissant tout l'argent commun à ce pauvre Godin. Lequel ne parviendra pourtant à reprendre pied en Europe, au Portugal, qu’en 1751, 16 ans après son départ, d'où il ne pourra plus sortir. La Condamine eut les honneurs et le lycée français ici porte son nom.

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J’ai accumulé toutes sortes de récits sur ce sujet qui m’excite d’enthousiasme. Il s’est fait en Equateur un colloque sur le thème. Mais je recommande un livre passionnant. Il raconte l’expédition, écrit comme un beau roman. Il a été publié à la « petite bibliothèque Payot » sous le titre : « le procès des étoiles ». C'est Florence Trystram qui en est l'auteur. Je m'amuse de penser que, de cette façon, avec ce livre, toutes les tentatives faites par l'absurde justice espagnole locale pour effacer les traces du passage des Français, que les hidalgos locaux détestaient tandis que les créoles les soutenaient selon une heureuse préfiguration de ce qui adviendra bientôt, auront été vaines. Au milieu du récit des exploits de ces hommes, on sent bien sans cesse la trace bien racontée de leur humanité. Enfin, La Condamine avait fait construire de petites pyramides pour graver la mémoire du passage de notre expédition. La jalousie de ses collègues espagnols et de grotesques démêlés judiciaires aboutirent à ce qu'elles soient détruites. Mais en dépit de tout, par la légende, le livre publié et peut-être même ces quelques lignes, l'esprit parvenant jusqu'à vous, le néant de l'oubli aura été vaincu.
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MessageSujet: Pérou. Rencontre avec le président de la République (Jean-Luc Mélenchon)   A Lima avant Quito (Jean-Luc Mélenchon) EmptyMer 17 Juil - 17:17

En partant des besoins populaires la vie change profondément et la croissance est de six points. Avec la création d’une retraite pour tous ceux qui n’en avaient pas, avec l’attribution de milliers de bourses d’étude aux familles pauvres et le développement impétueux de l’accès aux soins, Ollanta Humala, le président du Pérou, fait vite et bien ce que le président d’un pays riche comme le nôtre se montre incapable de commencer.

Ici on ne se réjouit pas de l’existence des riches : on répare leurs dégâts en s’occupant des pauvres et en trouvant le chemin du développement humain de la société en dépit de toutes les difficultés.
Au lieu de leur interdire le survol de l’espace aérien français, François Hollande ferait mieux d’inviter les chefs d’état d’Amérique du sud à lui donner des conseils. Eux éradiquent la pauvreté lui la développe. Leur pays ne prennent plus de consigne à Washington. Et ils sont respectés pour cela.

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