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 Série : Ecosocialisme au Japon (Corinne Morel Darleux)

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MessageSujet: Série : Ecosocialisme au Japon (Corinne Morel Darleux)   Série : Ecosocialisme au Japon (Corinne Morel Darleux) EmptyLun 3 Fév - 16:15

Départ au Japon

Lundi 3 Février 2014

Je pars au Japon la semaine prochaine. J’y effectuerai notamment une série de rencontres politiques autour de l’écosocialisme.

Comme vous le savez, le Manifeste pour l’écosocialisme a été traduit en Japonais et remis au Parti communiste japonais (PCJ) l’an dernier par notre responsable Asie du PG, François Delbrayelle. Ce voyage est une occasion précieuse de contribuer à le faire connaitre en Asie, d’explorer nos combats communs à l’ère des " Abenomics ", ces mesures libérales du gouvernement japonais, de suivre les prochaines élections à Tokyo et de me rendre sur place pour pouvoir témoigner de la situation à Fukushima.

De nombreux contacts sont encore en cours, mais voici déjà ce qui est calé concernant mon agenda politique là bas.

Le 7 février, je me joindrai à la manifestation anti-nucléaire devant l’Assemblée Nationale à Tokyo. Cette marche citoyenne a lieu chaque semaine. Elle a été instituée après la catastrophe de Fukushima. Elle part de la résidence du premier ministre - le Kanteimae et se rend devant la Diete.

Le 8 février, je donnerai une conférence sur l’écosocialisme à la Meiji-Gakuin University, organisée à l’initiative du PRIME (International Peace Research Institute) et des Amis du Monde Diplomatique Japon, avec Makoto KATSUMATA. Des exemplaires du Manifeste traduit en Japonais seront disponibles sur place, une invitation va être lancée dans les réseaux à Tokyo.

Le 8 février après-midi je suis invitée à participer à un colloque sur les victimes de Fukushima avec des résidents de la zone sinistrée et des ONG actives sur place, au Campus de Shirokane à Tokyo.

Le 9 février, je participerai à la soirée électorale à Tokyo. Le PCJ soutient un candidat au gouvernorat, Kenji Utsunomiya, qui s’est clairement positionné contre le redémarrage des réacteurs japonais. Avec la perspective des JO, cette élection prend une tournure éminemment stratégique et tourne beaucoup autour du nouveau clivage politique apparu sur la question nucléaire.

Je rencontrerai également à Tokyo des élus et personnalités politiques sur des combats communs : la hausse de la taxe sur les consommations, équivalent de notre TVA, qui doit intervenir au mois d’avril au Japon, le traité trans-pacifique en lien avec les négociations ouvertes ici par l’Union Européenne avec les États Unis pour le "Grand Marché Transatlanique" (GMT).

Enfin, je me rendrai le 12 février dans la zone contaminée de la préfecture de Fukushima avec un couple d’anciens habitants qui ont fui la zone. Pour mémoire, la commémoration des trois ans de la catastrophe aura lieu le 11 mars, peu après mon retour.

Nous nous rendrons à Watari, un quartier à fort taux de radioactivité de la ville de Fukushima, puis à la Mairie du village de Iitate et au centre de décontamination. Nous passerons également par Ukedo, un quartier de la ville de Namie qui est située à 6 kilomètres de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, via la ville de Minamisôma. Le maire de cette ville avait lancé un appel désespéré en vidéo 15 jours après la catastrophe. Depuis ce point on peut voir la tour de la centrale. Pour celles et ceux qui souhaiteraient un aperçu d’ambiance dans cette zone, grand angle et témoignages. Nous devrions également passer par un lieu d’élevage de boeufs et un lieu de production d’énergie renouvelable, le onsen de Tsuchiyu avec son système de "production électrique binaire" et la centrale à énergie solaire de Reizan.

Enfin, pour le sourire, voici l’annonce en japonais de la conférence que je donnerai à Tokyo le 8 février sur notre Manifeste écosocialiste. La traduction Google (ici) est un monument de poésie, puisqu’on y apprend que la thèse 2, pourtant admirablement traduite initialement par notre camarade François Delbrayelle devient, je cite : "Escape from confiture direct idéologique». Alors… Sortons de la marmelade idéologique avec l’écosocialisme !

A très vite pour des nouvelles de là-bas.


Dernière édition par Admin le Jeu 27 Fév - 3:16, édité 2 fois
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MessageSujet: Re: Série : Ecosocialisme au Japon (Corinne Morel Darleux)   Série : Ecosocialisme au Japon (Corinne Morel Darleux) EmptyLun 10 Fév - 13:36

Tempête de neige à Tokyo

Mardi 4 février 2014

Un clin d’œil dès mon arrivée à Tokyo, dans un froid mordant et après 24 heures pile de voyage de Paris via Moscou*. Il est 17h ici, en France ce n'est encore que le début de la matinée. Il m'a fallu un peu de tenacité pour trouver mon hôtel sur les plans en japonais, sous l'averse, m'arrêtant pour me réfugier sous chaque auvent, abordant les passants pour demander mon chemin. Las, j'ai déjà pu constater que les japonais sont d'une grande gentillesse mais parlent peu anglais. Jusqu'à ce qu'une femme me voyant désemparée et frigorifiée avec ma valise au milieu de la rue m'accompagne jusqu'à la ruelle où cet hôtel a eu la drôle d'idée d'aller se fourrer.
Je vous écris donc de ma chambre (très) exiguë, digne d'un capsule-hotel mais coquette et surtout à l'étage élevé que je souhaitais. La petitesse de l'espace m'oblige à penser la place de chaque chose et à expérimenter une forme particulière de rigueur et de simplicité, à la limite du wabi-sabi, cette esthétique du dépouillement chère au bouddhisme zen.

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Mais avec la modernité d'une télé allumée pour entendre du japonais et me mettre dans l'ambiance, un thé vert à portée de main. L'immersion est totale, dès l'arrivée. Les caractères japonais, bien sûr, à base de kanji chinois et du syllabaire japonais, mais aussi l'esthétique de toute chose, jusqu'aux distributeurs de boissons sur les quais de gare, bien loin de nos machines à expresso. Et les masques sur les visages, omniprésents, pour éviter de refiler ses microbes à tout le monde. Je me surprends à penser que par ailleurs c'est aussi un vecteur de protection, une forme d'anonymat qui pourrait me plaire parfois. Mais bon, j'ai pris mon chapeau façon An 01 déjà... Pour un sacré pas de côté.

Dans le métro, un détail amusant. Je me suis arrêtée une seconde sur le quai vers la sortie pour vérifier un truc. Au bout d'un instant les gens s'étaient arrêtés derrière moi, comme pour faire la queue. Il règne une discipline et une courtoisie déjà palpables en quelques pas dans ce pays. Je sens que je vais adorer séjourner ici. J'avais pris le volumineux Guide Bleu du Japon avec moi dans l'avion, et rien d'autre pour être sûre de me le coltiner. En fait ça m'a passionnée. J'en ai fluoté la moitié, que j'essaierai de vous distiller au fil de mes billets. Ce panorama politique, culturel, artistique, linguistique et sociétal m'ont donné du pays une impression que j'ai hâte de confronter à la réalité vécue, celle qui ne s'apprend pas dans les livres mais s'éprouve...

J'écris pour lutter contre la fatigue et l'envie d'aller me rouler en boule sous la couette. Déterminée à encaisser le décalage horaire dès mon arrivée. Le temps de me poser un peu avant de retourner dehors affronter les flocons de neige balancés horizontaux par le vent. Dire qu'au départ je voulais voir les cerisiers en fleurs... A 3h du matin heure française, je survolais la mer du Japon sous un soleil radieux, avant un atterrissage mouvementé à l'aéroport de Narita et après une escale de nuit à Moscou stupéfiante de clichés (dont ce selfie de la photo 2, j'admets). Les cargos Aeroflot et le tarmac gelé... J'avoue que l'idée de cette escale à Moscou me plaisait. Comme un pied de nez romantique à l'axe nippo-américain.

Pris également des photos en vol du Nord de la Russie (photos 3 et 4), d'où j'ai enfin vu de mes yeux le pergélisol, ou permafrost, celui dont je parle dans mes interventions sur les climat depuis des années : en dégelant peu à peu sous l'effet du réchauffement des températures dans cette zone, il libère des gaz à fort effet de serre, accélérant le dérèglement... Vu d'avion en tout cas il est encore bien gelé.

Mais surtout, de ce trajet je retiens le plaisir indescriptible de répondre Moscou et Tokyo à chaque uniforme qui me demandait où j'allais.

* (au passage le patch est une invention merveilleuse, je n'ai même pas eu envie de fumer, je n'aurais jamais cru ça possible)
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MessageSujet: Re: Série : Ecosocialisme au Japon (Corinne Morel Darleux)   Série : Ecosocialisme au Japon (Corinne Morel Darleux) EmptyLun 10 Fév - 13:40

En perte de repères

Mercredi 5 février 2014

Le soleil est revenu ce matin, radieux. Après avoir fait le tour du cadran j'ai pu m'attaquer doucement aux rues de Tokyo en quête d'un petit-déjeuner.

Déjà hier soir, ressortie pour dîner, j'ai fait l'expérience d'être affamée dans une ville sans aucun repère ni de où, ni de quoi manger. Je suis partie au hasard des rues, guettant les devantures à lampion. Suis entrée dans un lieu qui ressemblait, au hasard. Et au hasard, j'ai commandé. Mal... Rattrapé in extremis par une charmante japonaise qui parlant un peu anglais m'a conseillée. J'avais pris un plat d'accompagnement, sans nouilles, dans un restaurant de nouilles. Notez, elle m'a recommandé un plat de riz. Mais c'était délicieux. Pour le dessert, j'ai choisi le mode épicerie et suis allée me faire un échantillonnage personnel. Au hasard toujours, guidée par les rayons, les couleurs. On ne retrouve pas les codes alimentaires auxquels on est habitué ici, et j'aurais aussi bien pu me retrouver à mâcher du savon. Mais non. Le premier petit paquet renfermait une sorte de perle coco, bingo.

Série : Ecosocialisme au Japon (Corinne Morel Darleux) .photo_12_sSérie : Ecosocialisme au Japon (Corinne Morel Darleux) .photo_5_sSérie : Ecosocialisme au Japon (Corinne Morel Darleux) .photo_11_sSérie : Ecosocialisme au Japon (Corinne Morel Darleux) .photo_20_sSérie : Ecosocialisme au Japon (Corinne Morel Darleux) .photo_16_sSérie : Ecosocialisme au Japon (Corinne Morel Darleux) .photo_22_sSérie : Ecosocialisme au Japon (Corinne Morel Darleux) .photo_23_sSérie : Ecosocialisme au Japon (Corinne Morel Darleux) .photo_8_s

Dans le hall de l'hôtel m'attendaient en rentrant un charmant fax manuscrit de bienvenue de Makoto-san, mon hôte pour la conférence de samedi au PRIME, ainsi qu'un chaleureux message de bienvenue du Parti communiste japonais (PCJ) désolé du mauvais temps par lequel j'étais arrivée. Des attentions appréciables quand on débarque en terre inconnue. Et de nouvelles propositions de rencontres : un déjeuner avec Makoto-san et ses collègues, un rendez-vous avec Akira Kasai, parlementaire du Parti communiste japonais (PCJ) qui m'accompagnera ensuite au rassemblement anti-nucléaire devant l'Assemblée nationale qui a lieu chaque vendredi. Enfin, une autre rencontre lundi au siège du PCJ avec la "Policy commission" pour discuter des Abenomics, ces mesures très libérales et liberticides prises par le gouvernement de M. Abe. Mon agenda se remplit, d'autant plus heureuse de cette journée libre dans Tokyo, que je m'étais conservée en prévision du décalage horaire. J'ai bien fait, mes neurones ne sont pas tous totalement remis.

Petit déjeuner, donc. J'ai fini par me résigner, la faim au ventre, à entrer dans un bistrot et à prendre un bol de nouilles avec un tempura de légume. Foin de chouquettes, puisque nous sommes au Japon ce sera à la japonaise. Tout de même, au réveil c'est un peu rude. Mais ça tient au corps, et avec la marche et le froid c'est un atout non négligeable. Cela m'a permis, pour commencer cette longue journée de marche à pied dans des rues glacées malgré le soleil, de longer les rails jusqu'à la gare de Tokyo. Sous la voie ferrée, des échoppes, bistrots et vide-greniers côtoient les gratte-ciels surgis de l'autre côté de la rue. C'est un lieu commun, mais de fait c'est vrai. Le Japon, au carrefour de la modernité et de la tradition...

Une pause de temps en temps dans une Smoking area, puisqu'à Tokyo on n'a pas le droit de fumer dans la rue en marchant. En revanche, à l'intérieur on peut. La plupart des chambres d'hôtel sont fumeurs, et c'est pareil dans les cafés et restaurants où je me suis réfugiée régulièrement pour consulter mes plans. Une précision tout de même, pour éviter de passer pour une déboussolée : à Tokyo les rues n'ont pas de noms. Elles sont désignées en sinogrammes, suivies de numéros indiquant les blocs et le nombre de croisements. En gros. Autant dire que pour se guider c'est assez peu pratique. Alors je me suis consolée en voyant que les japonais avaient l'air aussi perplexe que moi devant les plans dans le métro, et ai décidé de partir le nez au vent.

Citation :
Rien de plus facile à dire
Et de plus difficile à faire
Que de lâcher prise

L'écosocialisme est aussi fait de buen vivir... mais Diable, comme il est à la fois dur et bon d'accepter de perdre ses repères et de lâcher prise, de ne pas essayer de déchiffrer un plan à tout prix, de choisir un plat au feeling sans savoir ce qu'on va manger. Finalement c'est aussi ça qui est beau, ce décadrage où l'on s'en remet au hasard. Où l'on cesse de résister, où l'on renonce à prendre l'initiative, pour se laisser porter par les événements... Et puis, à la fin de la journée, se rendre compte qu'on a déjà intégré deux-trois codes, de quoi prendre le métro, faire quelques courses et rentrer sans se perdre. Et en être toute fière.

L'accueil que l'on rencontre partout ici aide beaucoup. Même sans se comprendre d'un mot, il y a une bienveillance et une hospitalité qui mettent instantanément à l'aise la touriste la plus empêchée. Dans un café où je traînais, mon café depuis longtemps avalé, au lieu de me regarder de travers on m'a apporté un thé. Et ce midi, victoire, j'ai trouvé un restaurant de sushis, où j'ai reconnu près de la moitié des aliments servis. Me suis juste fait avoir par la crème au œufs, que je me gardais pour le dessert, et qui renfermait de surprenants mais délicieux champignons.

Après m'être perdue dans la gare de Tokyo - qui constitue probablement le plus grand centre commercial qu'on puisse imaginer, sur plusieurs niveaux, avec une rue intérieure entièrement dédiée à mille sortes de chocolats – je suis allée au Palais impérial. Un parc en réalité, puisque du Palais il ne reste que des pierres et des douves... Entouré d'immeubles géants. Puis direction le Meiji-Jingu, mon premier temple au Japon. Après avoir longé une allée bordée de barils de saké, offerts en hommage au couple impérial, à l'entrée on se rince les mains et la bouche à l'eau – gelée à cette période de l'année – avant d'arriver dans un lieu vaste et à l'ambiance joyeuse et familiale qui évite de se sentir intimidé.

Ici les rituels sont simples et conviviaux. De petites échoppes permettent d'acheter des offrandes en tissu, chacun peut laisser un message sur un petit support en bois qui va ensuite s'accrocher à ceux déjà laissés. On tire sa bonne chance et des poèmes, écrits par l'Empereur Meiji ou l'Impératrice Shoken, qui ont pour but d'inspirer un sens particulier à sa journée. Le mien me recommandait de laisser mon cœur large et ouvert comme le ciel bleu...

Après ce joli moment de spiritualité j'ai fait le grand écart dans le coin bruyant et animé de Shibuya. Le quartier Tokyo-like, celui auquel on pense quand on imagine cette ville.

Néons, écrans géants, love hotels, musiques à fond, jeunesse débridée et stylée. J'en ai profité pour m'acheter les fameuses crèmes dévolues au layering japonais. Oui. L'acculturation passe aussi par les soins de beauté.

... Et donc là je me rends compte en levant les yeux que ça fait une heure que j'écoute une émission télévisée sur la paille et la corde tressée. Je trouvais ça bien calme, aussi.

La prochaine fois je regarderai Lost in translation différemment je crois, avec un regard joliment éclairé.
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MessageSujet: Re: Série : Ecosocialisme au Japon (Corinne Morel Darleux)   Série : Ecosocialisme au Japon (Corinne Morel Darleux) EmptyLun 10 Fév - 16:26

Tourbillon politique à Tokyo

Vendredi 7 février 2014

Un signe rapide de Tokyo.

Après un petit temps de réorientation nécessaire déjà narré ici et , cette journée de vendredi a marqué le vrai démarrage de mes rencontres politiques au Japon.

Je dois dire qu'elle a dépassé mes attentes : déjeuner avec le responsable des Amis du Monde Diplomatique au Japon (et au passage huitres en beignet, mais ce n'est qu'un détail - quoique croustillant...). Puis rencontre avec les membres du bureau international du Parti Communiste Japonais au siège impressionnant de ce parti de 300.000 adhérents. Ensuite direction le Parlement avec deux heures d'échanges passionnants avec le député Akira Kasai, rejoints par la jeune sénatrice Kira Yoshiko.

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Nous avons ensemble rejoint le rassemblement hebdomadaire antinucléaire devant l'Assemblée nationale où j'ai pris la parole au nom du PG et plus largement du peuple français qui ne se reconnait pas dans la politique pro-nucléaire de Hollande. Cela a été filmé, j'espère pouvoir récupérer la vidéo très vite (addendum : oui, elle est ici). Un plaisir énorme, et un tabac. Les  nombreux retours des japonais présents, sur place puis via les réseaux sociaux font chaud au cœur, sincèrement. J'ai ressenti ce que veut dire la solidarité internationale comme rarement, d'autant que c'est quand même la France qui exporte à tout-va son nucléaire et soutient ceux qui au Japon veulent réactiver les réacteurs... Mais j'y reviendrai. En tout cas, rien que pour ça, ça valait le coup.

Je n'ai pas le temps de faire une vraie note de blog plus détaillée tout de suite, car j'enchaine avec la conférence écosocialisme demain matin et ici il est déjà presque minuit ici. Mais je le ferai, j'en ai des pages et des pages de notes, il y aurait de quoi faire un billet par jour jusqu'à fin février. D'autant que le parallèle avec la France est surprenant et qu'il y a beaucoup à en apprendre pour nous. Il a été beaucoup question d'écosocialisme et de nucléaire bien sûr - j'ai même présenté le scénario Negawatt - mais aussi du TPP (Transpacific Treaty - leur Grand marché Transatlantique à eux), de bases militaires états-uniennes, de mer, de Dugon et de biodiversité, des Abenomics, de la visite du Premier Ministre Abe au sanctuaire Yaskuni qui provoque incidents diplomatiques en chaine dans toute l'Asie, des élections pour le gouvernorat de Tokyo qui ont lieu dimanche, entre autres...

Pour en savoir plus et quelques photos en attendant, il n'y a que l'embarras du choix parmi mes twitts envoyés en voltige dès que j'ai pu récupérer une connexion (qui normalement s'affichent en bas à droite de cette page quand ça fonctionne, ou bien là)

Courage à vous et à bientôt.
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MessageSujet: Re: Série : Ecosocialisme au Japon (Corinne Morel Darleux)   Série : Ecosocialisme au Japon (Corinne Morel Darleux) EmptyLun 10 Fév - 16:40

Elections à Tokyo, JO, nucléaire, et le sale jeu du gouvernement français

Dimanche 9 février 2014


[Edit : le favori du gouvernement pro-nucléaire Yoichi Masuzoe vient d'être élu gouverneur de Tokyo avec 43% des voix, suivi à 20% par le candidat antinucléaire Kenji Utsunomiya soutenu par le PCJ - Abstention à 53%...]

Aujourd'hui est un dimanche d'élections à Tokyo, où se joue principalement la prise en compte ou la mise sous le tapis de la question nucléaire dans la préparation des Jeux Olympiques de Tokyo en 2020.

Las, à 17h il n'y avait que 28,23 % de participation, soit 12 % de moins que la dernière fois. Il faut dire que nous avons connu ici une tempête de neige comme le Japon n'en avait pas connu depuis un demi-siècle. Ce matin le soleil était revenu, et l'heure était aux pelles et au dégel, mais les rues sont encore glissantes et beaucoup de personnes, âgées notamment, avaient prévu de rester chez elles.

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Pour ces élections au gouvernorat de Tokyo, quatre candidats sont en lice.

Un ancien Premier Ministre, soutenu par un autre Ancien Premier Ministre, libéral, qui se positionne pour l'arrêt du nucléaire. Sa sincérité est mise en doute et il se trouve hum, un peu empêché par le fait qu'il ait du démissionner sur fond de corruption il y a quelques années. Le fait intéressant néanmoins est que sa prise de position contre la réactivation des réacteurs nucléaires, électoraliste ou pas, fait clivage à droite et dessine une nouvelle ligne de démarcation dans la politique Japonaise.

Le candidat favori, ancien Ministre, est soutenu par le Premier Ministre Shinzo Abe, par les medias dominants, le syndicat majoritaire et pro-nucléaire, et le Parti libéral démocrate (PLD). Il est détesté dans son parti, passe pour un aventurier opportuniste pour avoir quitté le PLD, tenté de créer un autre parti, puis être revenu, mais faute de candidats il a finalement été désigné.

Il y a également un candidat d’extrême droite, courant qui se caractérise ici principalement par le fait nationaliste, le révisionnisme historique et l'extase militaire, et moins comme on le connait en Europe sur la xénophobie. Ces points étant d'ailleurs partagés par Shinzo Abe, qui par ses provocations, du déni de l'esclavage sexuel par l'armée japonaise à la visite du sanctuaire Yaskuni, est en train de provoquer des réactions en chaine diplomatiques, et place son pays au bord de la crise avec la Chine et la Corée.

Enfin, il y a Kenji Utsunomiya, le candidat soutenu par le Parti communiste, les Verts japonais et de nombreux collectifs. Je l'ai croisé au rassemblement antinucléaire vendredi soir où il a également pris la parole. Clairement antinucléaire, ancien président de la fédération japonaise des avocats, ce magistrat respecté propose de sortir Tokyo du nucléaire, de défendre l’emploi et de lutter contre les heures supplémentaires impayées. Il a bien entendu tout le soutien du PG (voir ici le très complet billet de mon camarade François Delbrayelle sur ces élections à Tokyo).

Les JO de Tokyo, c'est un budget de 8 milliards d'euros. Beaucoup plus de retombées attendues. Et toutes ces belles personnes n'ont aucune envie que M. Utsunomiya, les victimes de Fukushima et les antinucléaires viennent jouer les trouble-fêtes.

Tokyo n'est pourtant qu'à 230 km de la centrale de Fukushima Daiichi, dont des tonnes d'eau radioactive continuent de s'échapper vers l'océan Pacifique. Or l'an dernier on a trouvé du poisson pêché à 40 km de la centrale avec une teneur de substances dangereuses dépassant de cent fois la norme.

Mais tout cela n'a pas empêché le Premier ministre de nier devant le Comité international Olympique JO l'existence du moindre problème sanitaire : "Elle (la centrale) n'a jamais fait et ne fera jamais de dommages à Tokyo. Il n'y a pas eu de problème sanitaire jusqu'à maintenant et il n'y en aura pas à l'avenir. J'en fait la déclaration devant vous de la façon la plus emphatique et sans équivoque". Sic. Las, le potentiel commercial l'a emporté une fois de plus, et le CIO a désigné Tokyo pour ces JO de 2020.

Cette élection percute également le débat qui anime le pays sur la remise en fonctionnement des réacteurs nucléaires. Depuis la catastrophe de Fukushima, ils sont tous à l'arrêt. Deux ont été rouverts, puis refermés suite à une inspection de sécurité. Mais la compagnie Tepco, non contente de continuer à faire des profits alors que les victimes de Fukushima attendent toujours les aides promises, a l'intention de remettre en route 16 réacteurs au Printemps.

Avec le soutien du Premier Ministre Abe et du gouvernement français qui, de Sarkozy à Hollande, n'a de cesse de venir vanter les mérites du nucléaire au japon. C'était l'objet du tout premier déplacement en juillet 2012 du nouveau Ministre des Affaires Etrangères Fabius pour vanter le combustible Mox d'Areva.

Et re-belote avec la réception officielle par Shinzo Abe de François Hollande en juin dernier pour appuyer le démarrage de la centrale de retraitement de Rokkasho-Mura, construite en partenariat avec le groupe français Areva, et vanter l'export de l'"excellence française" en matière de nucléaire.

Pardon ? Ce serait ça l'excellence française ? Pas en notre nom. C'est le sens du message de solidarité que j'ai adressé au peuple Japonais devant la Diete, l'Assemblée Nationale japonaise, vendredi soir à l'occasion du rassemblement pour l'arrêt du nucléaire qui y a lieu toutes les semaines depuis la catastrophe de Fukushima. Message que je ne cesserai de marteler ici au Japon. Pas en notre nom.

Illustration : La revue dessinée 02, Hiver 2013-14, Emmanuel Lepage "Les plaies de Fukushima"
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MessageSujet: Re: Série : Ecosocialisme au Japon (Corinne Morel Darleux)   Série : Ecosocialisme au Japon (Corinne Morel Darleux) EmptyLun 10 Fév - 16:48

Petit coup de gueule féministe de Tokyo

Lundi 10 février 2014

Aujourd'hui j'ai découvert ce message pimpant de rose sur le quai du métro de Tokyo. Bon, en réalité il y avait un homme dans le wagon. Et en fait, tant mieux. Ce genre de trucs me semble toujours bizarre, surtout que le Japon n'est pas franchement un repaire de criminalité, et je ne suis pas sûre que séparer les femmes des hommes soit vraiment ce qu'il y a de mieux à faire ni la priorité au Japon.
 
A vrai dire, ce dont j'ai entendu parler, c'est surtout des cas de viols perpétrés par l'armée Japonaise, lors du Massacre de Nankin en 1937 notamment. Selon l'historien Jonathan Spence, 20 000 femmes y ont été violées.

Faits niés par le maire de Nagoya en février 2012. En mai 2013, c'est le maire d'Osaka qui déclarait que les "femmes de réconfort" asiatiques avaient été une "nécessité". Puis le mois dernier le PDG de la toute puissante chaine de télévision NHK, M. Momii, un proche du Premier Ministre Shinzo Abe, affirmait que la prostitution forcée de femmes par l'armée japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale était une pratique "fréquente dans tous les pays en guerre". Suivi par un autre dirigeant de la chaine qui nie que le massacre de Nankin ait eu lieu. Silence radio du côté du gouvernement et de M. Abe. Le même qui est allé se recueillir au temple de Yasukuni où sont enterrés 14 criminels de guerre.

Ce dont j'ai entendu parler, ce sont des viols commis par des militaires de la base américaine d'Okinawa, qui provoque une mobilisation de rejet de la population, opposée à cette base et à son projet de relocalisation sur la côté d'Okinawa, près d'une ville qui vient de réélire son maire opposant au projet. Des années que ça dure, des années que la population résiste.

Série : Ecosocialisme au Japon (Corinne Morel Darleux) .femmes1_sSérie : Ecosocialisme au Japon (Corinne Morel Darleux) .femmes3_sSérie : Ecosocialisme au Japon (Corinne Morel Darleux) .femmes2_s

Alors des affiches comme celle-ci, victimaire et glorifiant le mâle sauveur, hum. Avant de crier au pervers, encore faudrait-il condamner ceux qui ont violé et violent encore.

- 痴漢です!! = "Un pervers !!"
- 置換ですって? = "Un pervers ??"
- 犯罪だ! : "Au criminel !"
- どうしました!! : "Que se passe t-il ?!"

Je ne m'aventurerai pas ici à une analyse de la place des femmes dans la société japonaise, je n'en ai pas la compétence et d'autres l'ont sans doute fait avant, et mieux que je ne saurai le faire. Mais il est clair que très peu de femmes travaillent ici, qu'un salaire suffit à peine pour vivre à deux, et que la natalité est en chute libre dans un pays vieillissant.

Peut-être qu'un peu de politique féministe et d'émancipation ferait du bien. Sans doute plus en tout cas que le révisionnisme et le déni.
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MessageSujet: Re: Série : Ecosocialisme au Japon (Corinne Morel Darleux)   Série : Ecosocialisme au Japon (Corinne Morel Darleux) EmptyMar 11 Fév - 12:16

Beignets d'huitres et Abenomics

Mardi 11 février 2014

J'ai pris un retard fou dans mes récits, les heures filent à une allure vertigineuse ici, comme si le temps était happé. Je me pose enfin pour  reprendre mon clavier et le fil de mon récit plus longuement, plus personnellement aussi. En fait je pourrais presque en écrire un roman.

Comme prévu vendredi a été une journée très dense, et samedi nous avons eu une improbable tempête de neige, comme le Japon n'en avait pas connu depuis un demi-siècle. J'avais de la neige jusque dans ma petite chambre, il a fallu me calfeutrer. Mais cela ne nous a pas empêchés de tenir la conférence prévue samedi matin sur l'écosocialisme à la Meiji Gakuin University, malgré la circulation perturbée, et ce matin le soleil était revenu.

Série : Ecosocialisme au Japon (Corinne Morel Darleux) .MeijiGakuinNeige_sSérie : Ecosocialisme au Japon (Corinne Morel Darleux) .photo_18_sSérie : Ecosocialisme au Japon (Corinne Morel Darleux) .MakotoSan_sSérie : Ecosocialisme au Japon (Corinne Morel Darleux) .Diete_sSérie : Ecosocialisme au Japon (Corinne Morel Darleux) .metro_tokyo_s

Après avoir fini jeudi de récupérer du décalage horaire, linguistique et culturel, en trainant dans les quartiers de Shibuya et d'Akihabara entre machines électroniques et boutiques de manga, vendredi j'ai eu ma première belle nouvelle de la journée : j'ai trouvé "mon" café du matin.

Un petit endroit avec des bancs en bois, calme et fumeur, tenu par une vieille dame charmante qui sert des toasts à l'omelette délicieux avec un café noir. Parfait. Me voilà libérée du poisson frit au petit déjeuner. Et en y retournant ce lundi après la fermeture hebdomadaire, je n'ai déjà plus besoin de commander, café et omelette toastée m'accueillent dès mon arrivée. Comme un doux sentiment de chez soi.

Le métro de Tokyo n'ayant plus de secrets avec mon pass Suica (dire que j'ai toujours refusé le suivi à la trace du pass Navigo), je suis allée faire un tour ensuite du côté du quartier chic de Tokyo, à Ginza, le temps de relire mes notes et de réviser posée dans un autre café en prévision de mes premières rencontres officielles. Vocabulaire de salutations de base, histoire de ne pas paraitre complètement mal élevée. Et derniers articles sur les Abenomics, ces mesures du Premier Ministre Shinzo Abe, au croisement entre l'austérité libérale que nous connaissons en France et une relance de l'activité par la demande empreinte de Keynésianisme.

Un curieux mélange, qui permet à Abe de réclamer d'un côté une hausse des salaires au moment des négociations salariales avec le patronat, tout en prévoyant une hausse de la taxe sur la consommation, équivalent de notre TVA, qui passera de 5 à 8% en avril. Ce grand écart difficile à comprendre de France s'explique en partie, comme me l'a confirmé un de mes interlocuteurs du Parti communiste japonais, par la tradition japonaise de paix sociale, où même les libéraux les plus acharnés ont semble-t-il toujours considéré que la justice sociale, un minimum de répartition des richesses et des inégalités maintenues à un niveau raisonnable, étaient aussi des conditions sine qua non de la compétitivité.

C'est un des nombreux sujets que nous avons abordés vendredi au cours de mon déjeuner avec Makoto Katsumata, de l'International Peace Research Insitute et des Amis du Monde Diplo au Japon. C'est grâce à Makoto-san, avec qui j'ai été mise en relation par mon ami Christophe Ventura, que j'ai pu organiser ma visite dans la zone rouge de Fukushima demain. Lui encore qui vendredi midi m'a permis de découvrir les huitres en beignet. C'est idiot mais je me suis sentie plus à l'aise de tester ça accompagnée par un Japonais. Et ça n'y parait peut-être pas, mais c'est une expérience sensorielle majeure, et mine de rien, un nouveau point commun entre les peuples français et japonais. Je ne suis pas sûre qu'il y ait tant d'endroits au monde où on ne regarde pas de travers les huitres servies dans une assiette.

J'ai pris un vrai coup d'apprendre le lendemain à mon arrivée à la Meiji Gakuin University que Matoko-san qui m'avait guidée, conseillée, et avait tout organisé, ne pourrait pas venir et qu'il était à l’hôpital. Une des victimes de la tempête de neige, j'ai su plus tard qu'il avait glissé et s'était cassé le genou. Mais sur le coup, sans informations, c'est étrange la fatigue et le décalage m'ont sans doute fait surréagir, je me suis sentie très esseulée soudain et suis redescendue me fumer une clope sous la neige avant de pouvoir assurer la conférence.

Mais je vais trop vite, on est encore que vendredi et je déjeune encore avec Makoto. On bavarde en français, ça fait du bien. Du Monde Diplo, de Mémoire des Luttes pour lequel je vais bientôt tenir une chronique hebdomadaire sur le thème de la mer, à ma manière. Du Vénézuela, de mon premier séjour là-bas en amont du Sommet de Copenhague avec Hervé Kempf, Bernard Cassen et Christophe Ventura, et de la campagne de Chavez à laquelle j'étais allée participer une seconde fois à Caracas. De décroissance aussi, Makoto me parle de Serge Latouche et de Paul Ariès, et puis de nucléaire bien sûr, thème omniprésent dans toutes mes rencontres ici. Je lui passe un autocollant du Parti de Gauche "Vite, sortir du nucléaire !" pour son bureau. Le même que la sénatrice du PCJ, Kira Yoshiko, arborera le soir même au rassemblement antinucléaire devant la Diete.

Il y a des slogans qui unissent au-delà des frontières... Demain, je vais à Fukushima.
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MessageSujet: Re: Série : Ecosocialisme au Japon (Corinne Morel Darleux)   Série : Ecosocialisme au Japon (Corinne Morel Darleux) EmptyVen 14 Fév - 17:34

Vendredi 14 février

Ma visite à Fukushima, la dystopie au bout des doigts

Citation :
"Aujourd’hui, sous le ciel bleu de Fukushima, des enfants jouent au ballon et regardent vers l’avenir. Pas vers le passé" Shinzo Abe, Premier ministre du Japon.

Mercredi 12 février 2014, 8h08. Gare centrale de Tokyo.

J'ai mal dormi, réveillée en sursaut par la douleur après avoir donné un violent coup de pied dans le mur qui borde mon lit.  J'avais pourtant renoncé à revoir Akira pour passer une bonne nuit. La matinée est froide. Sur le quai 21, le haut parleur mentionne tous les arrêts du Shinkansen vers Sendai. Je n'en entends qu'un, Fukushima... Trois ans que ce nom résonne dans le monde entier. Je me souviens de nos premiers communiqués, de mon billet de colère le 15 mars 2011 où déjà j'écrivais : "... mais j'avais dit assez de mots, je me tais. Je suis en colère, oui. Et je retiens mon souffle avec les damnés de l'archipel".

J'ai du mal à réaliser que dans deux heures j'y serai.

Voilà ce que j'écrivais mercredi, dans le train qui m'emportait à Fukushima, en prévision de ce billet. Et depuis, j'y suis allée. Et revenue. J'ai beaucoup hésité ces deux derniers jours sur la forme à donner à ce compte-rendu. Mes récits d'écosocialisme au Japon jusqu'ici on fait une large part aux émotions et il est vrai que je ne dissocie pas la politique des vibrations de la vie. Les parfums, les images et les sensations, tout fait sens pour capter l'ambiance et la culture d'un pays. Mais parler de Fukushima, faire le tri dans les émotions, rendre les paysages marqués par le tsunami et l'invisibilité de la radioactivité avec des mots, à chaud, sans sombrer dans le pathos ni travestir la réalité... Je ne veux pas faire de sensationnel, juste rendre compte et témoigner. Alors cette fois, un billet qui vous semblera peut être un peu froid. Mais froide, cette journée l'a été.

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10h, arrivée à Fukushima. Fukushima est à la fois le nom d'une Préfecture, d'une ville et de sa gare. Devant cette dernière, un panneau indique Fukushima Station. A côté, une publicité se détache en toutes lettres : Power city. La principale activité ici c'est l'agriculture, principalement les fruits. Leur vente a repris dès la deuxième année après le triple désastre. Séisme, tsunami, explosion à la centrale Tepco de Daiichi.

160.000 réfugiés ont fui, dont un tiers a du quitter la Préfecture. Aujourd'hui seulement 10.000 ont pu rentrer chez eux. Mais les jeunes ne veulent pas revenir ici. C'est un jour blanc, neigeux. Il fait froid, les rues de Fukushima ville sont grises et tristes. La traduction est parfois difficile, nous parlons un mélange de japonais, de français et d'anglais à nous quatre avec le Professeur et les époux Goto.

Premier arrêt dans la ville de Fukushima, près de préfabriqués où vivent, en habitat temporaire, des réfugiés de Namie. Ils étaient venus pour un an, ils seront bientôt là depuis trois ans. En zone rouge, à Namie, on estime qu'il faudra plusieurs décennies avant de pouvoir se réinstaller.

Nous croisons une jeep de l'Armée de défense japonaise. La préfecture attire tous les trafics. Les travaux publics, comme dans le reste du pays, regorgent de sous-traitants et se retrouvent souvent in fine aux mains des yakusas, la mafia japonaise. Trois risques principaux sont surveillés ici. Vols, tremblement de terre, terrorisme. C'est ce qu'on me répond, dans cet ordre là. La centrale de Daiichi reste extrêmement dangereuse. Un tremblement de terre, une attaque, et tout est fini.

En bas de l'immeuble où vivent les époux Goto, le travail de décontamination est terminé. En témoignent de grandes bâches bleues entreposées là. Personne ne semble savoir pour combien de temps. Sous le plastique, des tonnes de pelletées de sol. Le compteur Geiger annonce 0,179 microSV/h.

Le long de Shinobuyama, la montagne sacrée, nous reprenons la route. Celle qui a servi à évacuer au moment de la catastrophe, remplie de gens fuyant la côte Pacifique. En octobre 2011, l'assemblée de la ville de Fukushima a voté une résolution pour devenir indépendante du nucléaire. On m'explique que les habitants étaient pourtant des gens assez conservateurs, mais le désastre a révolutionné les mentalités. Et identifié deux ennemis déclarés : le gouvernement central et Tepco.

Le slogan dans toute la Préfecture est devenu "Protest and Survive" et des initiatives citoyennes commencent à fleurir. L'Alliance paysanne que je rencontre à Ryozen a ainsi lancé un fonds, alimenté par des fermiers et des citoyens, pour monter une petite centrale solaire. Ils ont collecté 400.000 euros et catégoriquement refusé le moindre argent public. Ils m'expliquent leur volonté d'être indépendants, ils se méfient des autorités et ne veulent plus avoir affaire à tout ce qui peut représenter le gouvernement.La ferme solaire a été inaugurée en septembre dernier. En janvier, elle a produit 10.000 kWh. L'électricité est revendue à l'entreprise Tohoku Electric Power. Il était hors de question pour eux de revendre à Tepco. Le compteur Geiger indique 0,453 microSV/h. On évoque beaucoup le solaire ici, mais jamais les économies d'énergie. Je parle du scénario Negawatt et de transition énergétique pour la millième fois depuis que je suis arrivée.

Je suis leur première visite. Ils sont ma première occasion de témoigner sur place de notre solidarité. Je leur parle de ce qu'on fait à la région Rhône Alpes pour les coopératives citoyennes, leur dis l'action qui a lieu en même temps à Paris contre le nucléaire, les chaines humaines chaque 11 mars. Ils me montrent leur maison, ancestrale, en bois, elle est là depuis 150 ans. Nos sourires, leur fierté... Eux comme moi, émus et joyeux. La neige nous empêche de nous approcher des panneaux solaires, ils m'invitent à revenir au Printemps.

A midi nous sommes à Soma, la température continue de baisser. Il fait 0°C. Les microSV augmentent un peu mais restent à des seuils raisonnables - pour une journée. 

Ici mes hôtes tiennent à me montrer un bâtiment créé en partenariat avec la Fondation de France et des étudiants en architecture de Tokyo. Il abrite aujourd'hui un hangar pour les fermiers, un magasin de vente directe et un lieu de rencontres - café. Le projet s'appelle Nomado. Le toit est couvert de panneaux solaires. Huit personnes y travaillent à plein temps.

Les paysans y disposent d'un équipement, obligatoire, pour contrôler le taux de radioactivité de leur production. Les sacs de riz sont étiquetés d'un code-barre qui permet d'avoir un accès direct à ces informations. La machine qui calcule le nombre de becquerels contenu dans le riz est vendue par Areva.Je me surprends moi-même à exploser de colère dans le hangar.

Mes hôtes étonnés ont droit à une diatribe enflammée sur le capitalisme vert et ces multinationales qui font du profit en polluant, puis en dépolluant ce qu'elles ont détruit. Ainsi, Areva veut vendre du combustible Mox et des réacteurs nouvelle génération, "plus sûrs", au Japon. Mais en cas d'accident, pas de problème, Areva vend aussi. L'industrie du nucléaire gagne à tous les coups.

Le gérant a un autre projet en tête. Puisque personne ne peut retourner vivre en zone rouge, il veut y installer des panneaux photovoltaïques. Tout type d'entreprise y est interdit, mais le rapport de forces engagé par l'Alliance paysanne semble porter ses fruits. Ils ont obtenu l'autorisation des Ministères de l'agriculture et de l'industrie. Le projet doit démarrer cet été.

Nous déjeunons d'un bento traditionnel dans le café Nomado. Accompagné de thé vert bio, sur lequel il est spécifié qu'il a été produit sans aucun lien avec les multinationales de l'agro-alimentaire. Dans le magasin j'achète un Hanami de poche, des fleurs de cerisiers séchées sur lesquelles il suffit de verser un peu d'eau brûlante pour provoquer la floraison tant appréciée au Japon.

14h, le soleil apparait et réchauffe un peu l'air. Nous sortons le compteur Geiger qui est obligatoire dans la zone des 20km autour de la centrale. Il restera allumé tout le long de notre présence dans ce rayon, jusqu'au contrôle final de contamination en fin de journée, réalisé par des officiers avant de nous laisser repartir de l'autre côté. A l'avant de la voiture, bien visible, l'autorisation officielle qui spécifie la plaque d'immatriculation et nos noms.

Nous longeons la côte. Si les désastres du nucléaire restent cachés, impalpables, les ravages du tsunami sont eux encore bien visibles. Par le vide de ces immenses étendues de neige, là où il y avait autrefois des maisons. Des océans de vide. Le tsunami a provoqué 20.000 morts. Mes guides me racontent les lieux qu'ils ont parcouru avant, et juste après le tsunami. La rivière où on pêchait du saumon... Nous entrons dans la zone d'exclusion des 20 km. Ici personne n'a le droit de rester la nuit. Nous n'avons pas le droit d'arrêter la voiture. C'est le domaine des porcs redevenus sauvages et des cochons-sangliers que les gens semblent beaucoup redouter.

Après avoir passé un premier checkpoint, nous arrivons à la ville côtière de Namie à 15h. Nous avons rendez-vous à la Mairie avec un responsable du service Santé.

La Mairie tient un registre extrêmement détaillé de la nouvelle répartition géographique des habitants de Namie et de leur état de santé, régulièrement contrôlé. Namie est à cheval sur les trois zones : verte, orange et rouge. Les zones d'exclusion croisent deux critères : la distance de la centrale qui reste un facteur de risque important, matérialisé par le rayon des 20km, et le niveau de radioactivité dont la dispersion suit les courants des vents et va bien au-delà des 20km, mais peut aussi être faible tout près de Daiichi. Raison pour laquelle nous pourrons nous approcher à moins de 7 km de la centrale sans subir de trop fortes doses de radioactivité, qui ne dépassera jamais 0,500 microSV/h. Le risque le plus élevé ici en réalité, c'est celui d'un deuxième accident nucléaire. Dans les projets de reconstruction de la ville de Namie figurent un Mémorial et une ferme solaire.

Dernière étape, il est 16h30 et le soleil commence à décliner. Nous arrivons dans un lieu de bout du monde, improbable. Là où se situaient le port de Namie et son école élémentaire. 80 élèves en ont été évacués dès l'alerte du tremblement de terre. On aperçoit au loin les cheminées de la centrale Tepco. La terrible beauté du chaos. Pas de mots, juste des photos.

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MessageSujet: Re: Série : Ecosocialisme au Japon (Corinne Morel Darleux)   Série : Ecosocialisme au Japon (Corinne Morel Darleux) EmptyLun 17 Fév - 12:32

Lundi 17 février

Hanami de Méihuā sous les flocons. Et évaporation

Citation :
" Tous en ce monde sur la crête d'un enfer à contempler les fleurs " Kobayashi Issa

La politique cède un peu la place au poétique ici et je ne m'en plains pas... Je vais poursuivre mon séjour au Japon sur un mode plus nomade et plus intime, donc me faire plus rare sur les réseaux sociaux et m'absenter probablement de ce blog quelques temps, le temps de me rincer les yeux et de me réinspirer.

En politique comme en toutes choses, il est essentiel de savoir parfois s'extraire du quotidien et de prendre le temps d'aller se nourrir d'ailleurs et d'imaginaire. Faire un pas de côté, passer de l'activisme au contemplatif pour pouvoir revenir à l'action empreint de nouvelles étincelles dans le regard, avec une avidité nouvelle. Renouer avec la beauté de la vie et de chaque petite chose, lâcher prise, cesser de vouloir tout maitriser, ne plus penser aux signaux envoyés. Décrocher avec application, discipline et volonté, pour pouvoir se laisser aller à vivre les choses sans en chercher l'utilité, sans vouloir à tout prix les partager. Se désaccoutumer de l'aliénation de l'instantané, vivre pour soi enfin. Et puisque le thème de ce séjour est l'écosocialisme, mettre un peu tout ça en harmonie. Expérimenter ralentissement et buen vivir, toucher du doigt la gratuité des choses qui font vibrer sans rien rapporter au-delà de l'intimité. Alimenter ce dialogue intérieur qui transforme une personne et détermine ce qu'elle sera capable de porter et d'incarner.

Tout ici est propice à retrouver cet émerveillement, à laisser la magie s'installer doucement. A chaque tournant un temple, un héron, un jardin zen, une bambouseraie. Et je me surprends à sourire comme je ne l'avais pas fait depuis des années. Comme une gamine enchantée. Je suis accompagnée dans ce périple par les symphonies de Joe Hisaichi et par l'ombre du peintre fou Hokusai, dont je suis en train de lire l'autobiographie imaginaire de Bruno Smolarz. Hokusai qui s'attache au bruissement des feuilles et à la manière dont le pinceau peut rendre le moindre effleurement... Hokusai, peintre anarcho-punk avant l'heure rendu mille fois solitaire, qui avait le sentiment d'errer "comme on vogue sur une vaste mer, toujours incertain et flottant, poussé d'un bord à l'autre sans jamais trouver un port d'attache" mais aussi "de rester libre comme l'air, comme les oiseaux sur le rivage, toujours sur le qui-vive et prêts à s'envoler si quelqu'un vient les déranger". Comme un écho au titre de cet article qu'on m'a transmis : "voyager seule, l'audace de vivre". Oui, cette solitude choisie est féconde et permet de se recentrer pour mieux revenir, différemment. Avec plus de force et de discernement.

Le sensible a trop déserté la politique. Et le militantisme débridé de ces cinq dernières années m'a assoiffée de beau. Besoin de réapprendre à m'inspirer d'un ruisseau, d'un brin d'herbe, de poésie et de spirituel pour revenir en guerrière zen. La mise en harmonie de l'être par son environnement, comme me l'a écrit un ami... L'essence même de l'écosocialisme. C'est exactement ce que je ressens ici.

Avant de m'évaporer il y a une chose que je tiens à partager ici. J'ai vécu depuis que je suis au Japon deux journées vraiment hors du commun, qui m'ont marquée profondément, et pour longtemps. De ces moments qu'on a envie d'ancrer pour pouvoir les appeler les jours d'adversité. Il est hélas si rare que la réalité soit à la hauteur du fantasme mais ces jours là ça a été le cas, à chaque pas. La première était à Tokyo, au milieu des temples de l'ancien quartier de plaisirs d'Asakusa. Le jour où j'ai découvert mes premières fleurs d'Ume, appelées Méihuā 梅. J'ai cru d'abord que c'était un miracle de fleurs de cerisier écloses un mois plus tôt, je crois que j'étais tellement déçue de rater ce spectacle merveilleux que j'étais prête à croire n'importe quoi. Renseignements pris autour de moi, comme une folle souriant les larmes aux yeux, des Japonais amusés m'ont expliqué, comme on a pu, et j'ai approfondi dès que j'ai réussi à m'en arracher, après quelques dizaines de photos.

Réfugiée dans un café avec une connexion, j'ai souri de plus belle en découvrant que le Hanami (« regarder les fleurs ») de Ume était une coutume japonaise plus ancienne que le Hanami de fleurs de cerisiers qui l'a supplanté. Le Ume a été introduit au Japon avec le Bouddhisme au VIIe siècle, et c'est la toute première floraison de l'année, avant les cerisiers. Une éclosion de fleurs éphémère, sur des branches apparemment mortes, une explosion de sève sous les flocons de neige... Ces particularités font que le Hanami d'Ume a été associé à la capacité de faire face à l'hostilité avec persévérance, de se remémorer la beauté, mais aussi les côtés transitoires de la vie. Selon le premier livre chinois traitant des plantes médicinales, ses fruits appelés meishi "font descendre le qi, éliminent la chaleur et les vexations, calment le cœur". Un mythe personnel est né.

J'ai retrouvé cette émotion à Kyoto, lors d'une journée passée à cheminer sous une neige incessante de temple en temple, délicieusement seule dans ces lieux désertés par les visiteurs tant l'averse était drue, les sons étouffés par la couche de neige qui avait tout recouvert, jusqu'aux arbres de mille fleurs blanches, comme un Hanami d'Hiver.

Mono no aware. C'était mon cadeau avant de m'évaporer...
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MessageSujet: Re: Série : Ecosocialisme au Japon (Corinne Morel Darleux)   Série : Ecosocialisme au Japon (Corinne Morel Darleux) EmptyJeu 27 Fév - 3:30

Hiroshima, l'effet d'une Bombe

Mercredi 26 Février 2014

6 août 1945, un matin de guerre en été. Le ciel est clair, le soleil radieux. Il est 8h, la journée commence à Hiroshima, une ville de 350.000 habitants qui longe la Mer intérieure du Japon. Des étudiants et lycéens ont été mobilisés dans la ville pour des travaux de remblais. Des travailleurs, principalement Coréens, ont été amenés de force pour prêter la main. Entre 2000 et 6500 enfants ont été envoyés à la campagne pour fuir les bombardements.

La fin de la guerre est proche, l'état-major États-unien veut en finir avec les forces armées du Japon. Il cherche le coup final. Plusieurs possibilités, militaires et diplomatiques, sont examinées : débarquement terrestre, entrée en guerre de l'URSS contre le Japon... puis rejetées, cette dernière risquant de donner trop de pouvoir aux soviétiques.

L'hypothèse est finalement retenue d'un bombardement atomique, qui permettrait aux États-Unis de justifier les dépenses de recherche dans le domaine du nucléaire militaire auprès de sa population, et surtout de tester les effets grandeur nature de la Bombe A. Le « projet Manhattan », démarré trois ans plus tôt, trouve sa justification. Quatre objectifs possibles sont identifiés, dont Hiroshima et Nagasaki. L'état-major a posé ses conditions : la cible doit être une ville qui n'a pas subi trop de bombardements et d'une certaine superficie, pour pouvoir étudier au mieux les effets de la bombe. Hiroshima présente toutes ces caractéristiques et la ville a en outre un avantage décisif : elle ne détient pas de prisonniers américains.

Série : Ecosocialisme au Japon (Corinne Morel Darleux) .HiroshimaDomeQuai_sSérie : Ecosocialisme au Japon (Corinne Morel Darleux) .HiroshimaOldPhoto_sSérie : Ecosocialisme au Japon (Corinne Morel Darleux) .HirsohimaMemorial_s

8h15, la première bombe atomique de l'histoire de l'humanité est larguée. Elle contient 50 kilogrammes d'uranium 235 et mesure trois mètres. Elle a été surnommée Little Boy et couverte de graffitis et d'injures à destination du peuple Japonais. A 600 mètres du sol, juste au-dessus d'un hôpital, Little Boy explose en produisant l'équivalent d'un deuxième petit soleil dans le ciel d'Hiroshima : une boule de feu de 280 mètres de diamètre, au cœur de laquelle la température avoisine les 1.000.000 °C. L'air se dilate, la pression de l'explosion atteint 19 tonnes / m2.

En un éclair tout brûle, se tord et fond. Tout ce qui se tient sur terre, êtres humains, espèces vivantes et bâtiments, est incinéré sur place dans un rayon de 2 kilomètres. Au-delà se combinent les trois effets de la Bombe A : radiations, chaleur et souffle de l'explosion. Et la pluie noire qui donnera son titre au terrible film 黒い雨 Kuroi ame de Shohei Imamura.

350.000 personnes sont irradiées, brûlées et projetées. Les survivants, les « Hibakusha », développeront pour beaucoup cancers et leucémies. Une loi promulguée en 1957 leur assurera un suivi médical particulier. Mais 140.000 personnes mourront avant la fin de l'année 1945. La plupart des enfants envoyés à l'abri à la campagne sont devenus orphelins.

Le tout n'a duré qu'un instant.

22 février 2014, Hiroshima, un beau matin d'hiver. Ciel clair, soleil radieux. A l'endroit même où la bombe a explosé se trouve le Dôme de la Bombe A, conservé en l'état pour mémoire. Plus loin, dans le parc du Mémorial, une flamme allumée dans un temple de Miyajima, censée brûler jusqu'à l'éradication de la dernière arme nucléaire sur Terre. Une arche en hommage aux victimes, et un Musée. Dès l'entrée de celui-ci, le poids de la France dans l'arsenal nucléaire est souligné. La Russie possède 10.000 têtes nucléaires, les Etats-Unis 8.000, la France 300. Suivent la Chine (240) et le Royaume Uni (225) puis l'Inde, le Pakistan, la Corée du Nord et Israël.

Dans le Musée pour la Paix, des témoignages, des maquettes, des photos, des objets brûlés. La vie à Hiroshima avant, et après la bombe A. Sobre, digne et insoutenable.

Hiroshima, ville martyre où l'état-major États-unien décida de tester les effets de la bombe A.

Hiroshima, ou comment une chaîne de commandement aboutit à ce que des êtres humains décident sciemment de larguer l'arme atomique sur des gens, civils et enfants, pour voir l'effet que ça faisait.

Hiroshima, Memorial de la Bombe A, patrimoine de l'Humanité. Il y a des héritages douloureux et lourds à porter. Du désastre nucléaire de Fukushima au délibéré militaire à Hiroshima, il y a de quoi se demander si les hommes ne cherchent pas juste parfois à tout foutre en l'air.

Être ici même, entourée de vie, m'asseoir sur un banc au soleil, écouter les oiseaux. Sous le même ciel, imaginer l'inimaginable. La vie suspendue, en une fraction de seconde. Éprouver douleur, peine et colère. Errer le regard noyé sans pouvoir s'en aller.

C'est la première fois de ma vie que je saisis à ce point l'intérêt d'un lieu de souvenir. Le travail de mémoire réalisé ici a su rendre la menace nucléaire terriblement concrète. C'est la première fois que je suis saisie à ce point, effrayée de ce que l'être humain est capable de produire. C'est la première fois que je me sens à ce point atterrée. Cette nuit là j'ai dormi douze heures d'affilée, comme pour ne plus jamais me réveiller. C'était il y a quatre jours. Entre-temps je me suis rendue dans ce temple de montagne sur le mont Misen à Miyajima, où la flamme du mémorial a été allumée. Quatre jours pour trouver le courage de mettre en mots, sans vraiment y arriver.

Photo d'archive : Yoshito Matsushige
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