Mercredi 19 novembre 2014
À l’occasion de son concert de la tournée Vélo Va, nous avons rencontré
Dick Annegarn à Saint-Apollinaire.
Le chanteur néerlandais aux 40 ans de carrière se raconte simplement, de la même voix rocailleuse qu’il chante ses chansons faussement enfantines.
Pourquoi passer de la guitare seule de vos anciens albums à des arrangements complexes sur Vélo Va ?Il n’y a pas moins cher qu’un chanteur-guitariste-producteur-vidéaste-webmaster, et c’est le cas de beaucoup de monde aujourd’hui. Je n’ai pas voulu continuer comme ça. Un vrai spectacle doit avoir une vraie scénographie. Je suis artiste de variété et pour moi cela reste une notion noble. Pas forcément pour l’aspect “ show ”, mais au moins pour les instruments, leur richesse.
Pour la tournée Vélo Va, on tout de même se trimballe avec 40 000 euros d’instruments, à nous quatre, musiciens. Ce sont des instruments choisis, de la lutherie, du beau son. Je suis d’ailleurs plus guitariste et chanteur de folk dans l’esprit – j’ai même fait une tournée Folk Talk. La guitare est selon moi l’orchestre du pauvre. Regardez ma tournée Annegarn Libre, c’était une façon de dire “ low-cost ”.
Entretenez-vous une relation particulière avec votre guitare ? Il parait que certains artistes leur écrivent même une chanson.Moi aussi ! “ La caisse de ma guitare est usée jusqu’au fil. Elle m’a l’air toute médusée. Elle en a marre de se trimballer de ville en ville, j’ai dû trop en abuser ”. En effet, notre guitare, c’est un peu notre compagne, notre épouse. La guitare, dans la culture noire-américaine, c’est celle qui remplace les cœurs, les amis.
Vous associez des paroles enfantines à des propos parfois très durs dans vos chansons…Les enfants, c’est cruel, c’est pas gentil. C’est comme les chats. Cela bouffe une souris après l’avoir fait souffrir longtemps. C’est peut-être mignon mais c’est cruel. Les enfants, c’est pareil. Et moi aussi. Mes chansons finissent souvent mal. On s’octroie le droit de faire mourir. C’est un peu la facilité, comme dans un film ou un roman, il y a toujours un mort.
L’idéal serait d’écrire des chansons comme des feuilletons, avec des personnages qui se retrouvent. Mais on n’a en général pas assez d’imagination, alors on les fait mourir à la fin. Voilà pourquoi les intégristes et les fondamentalistes n’aiment pas trop les petits créateurs que nous sommes. Nous inventons des mondes, nous nous substituons à Dieu. Nous avons le droit de vie ou de mort sur nos personnages, et nous en profitons.
Quel regard vous portez sur ce jeune chanteur de 22 ans que vous étiez et qui jadis faisait l’Olympia ?Vous savez, je ne me regarde pas beaucoup moi-même. Je n’ai pas de nostalgie. Je ne fais pas Age tendre et Tête de bois, je ne suis pas dans le vintage remember ni de moi-même ni des autres. Tout cela, c’est du passé. Quand je vois des photos, je me rends compte que les scènes étaient nulles…
L’Olympia je l’ai fait seul, avec d’autres. Il y avait au final beaucoup de solitude dans ce début de carrière. Je ne prends pas de plaisir à la rétrospection.
Le phénomène de fascination, je l’ai vite assimilée à la fascisation. C’est un faisceau dans lequel nous sommes pris, nous sommes lumineux. Certains ont vu dans les chansons que je chantais à 22 ans quelque chose de mystique. Je ne voulais certainement pas être un gourou, un Bernard Lavilliers ou le grand frère citoyen qui allait parler à son public. Je n’avais pas le droit d’en profiter.
Qu’est ce qui a changé dans votre rapport au public durant ces 40 années de carrière ?J’ai la mémoire d’un public que je n’ai pas connu, celui du rythm’n’blues, d’une salle qui s’exprime beaucoup. Je ne demande pas à ce qu’on défonce les sièges et que les filles crient. Mais qu’il y ait un moteur rythmique et que le public danse ou tape du pied, ça on le sent quand même. Le souffle musical que le public vous rend, c’est contagieux, ça nous fait mieux jouer.
C’est agréable de savoir que la petite magie musicale d’une chanson devient météorologique, cosmique. On devient un être subtile, on s’élève du sol. On recherche la grâce. C’est une petite mort, un moment d’oubli où l’on s’oublie nous-même. Un concert, le mot est juste : on se concerte, on est ensemble et on vit une petite messe poétique ou musicale. Cela aide à vivre.
Le titre Vélo Va, c’est un vélo poétique ou vous aimez juste le vélo ?C’est les deux. C’est un vélo dans la tête et un vélo sous le cul. Le vélo, c’est un peu l’invention de la roue. Aujourd’hui, chaque ville a un plan vélo. Le vélo est sorti de sa sphère solitaire, c’est un véhicule social. Moi, j’ai un vélo électrique dans ma montagne, un VTT au Maroc et un vélo en libre-service à Toulouse !
Dominique Boeuf