jeudi 19 juin 2014
Manuel Valls vient de nous rendre un immense service en se découvrant politiquement dans un détail qu'on n'espérait pas aussi précis (voir l'analyse de Philippe Marlière de ce néo-socialisme de droite). Pour ne pas mourir, nous explique Valls, suicidons-nous : la Gauche doit se faire hara-kiri corps et biens parce qu'elle risque de perdre les élections. Il fallait y penser! Mais ce faisant, le Premier Ministre ouvre un boulevard à la " refondation " dont tout le monde parle mais que personne ne voit encore venir (mais elle vient) : c'est précisément par le refus net, frontal de cette liquidation de nos valeurs que la (vraie) Gauche peut et doit se refonder.
C'est ce refus que doivent d'urgence exprimer des Etats généraux de la (vraie) Gauche. Un " Front du Peuple " contre la politique libérale de Manuel Valls : telle semble être finalement l'horizon d'action que se donnent également depuis ce week-end le PC et le PG. Tout en étant en accord sur les contours de cette proposition sur la nécessité d'élargir et de fédérer par la base les associations ou assemblées existantes en les reliant dans un regroupement national, je voudrais plaider ici pour un comité de liaison souple de ce " Front du peuple ", mais aussi pour la conservation du mot Gauche, dont la réappropriation me semble nécessaire, et la redéfinition autour d'une plateforme minimale de convictions communes à rédiger ensemble.
Sur le fond, la manoeuvre est simple, on l'a déjà lue sous la plume de Cambadélis et la voilà dans la bouche de Valls : menacer de la " mort de la gauche " et du péril fasciste, pour mieux mettre au rebus la question sociale en la faisant disparaître sous la soi-disant question du jour : la question identitaire. Valls, " pompier pyromane ", écrit justement Marlière, attise le feu de la " crise d'identité " et du rejet de la politique pour mieux camoufler les vraies raisons de la véritable crise : la scandaleuse montée des inégalités (encore augmentées depuis deux ans de social-libéralisme au pouvoir), et l'imposition par les oligarchies de LEUR politique exclusivement favorable aux actionnaires privés et impitoyable envers le bien commun (la dépense publique), les services publics (la privatisation annoncée de la SNCF soi-disant déjà actée par les textes européens, malgré les démentis jésuitiques : les garanties réclamées par les députés suffiront-ils à cet égard? C'est aux cheminots à en décider, soutenons-les :
http://blogs.mediapart.fr/blog/pierre-khalfa/180614/cheminots-un-mouvement-legitime-1:
http://soutien-aux-cheminots.wesign.it/fr), tous les salariés enfin (les trois-quart de la population), qui doivent eux se serrer la ceinture au nom de la dette. Qu'est-ce que la dette? Le chantage des oligarchies via leurs organismes bancaires pour plier les états à LEUR politique. Conclusion de Valls : il n'y a qu'une seule politique : la " compétitivité " des entreprises, traduisez : la politique au profit des actionnaires, autrement dit le There Is No Alternative blairo-thatcherien qui mine chaque jour davantage, depuis trente ans, le lien social réinventé en Europe en 45 au sortir de l'épouvantable guerre. On fait mine en parallèle de se préoccuper de " transition énergétique " et de " réindustralisation ". Mais c'est bien le dernier souci des actionnaires, tout le monde le sait. Va-t-on les supplier longtemps, à genoux, la langue de plus en plus pendante, d'embaucher, de réindustrialiser, de se préoccuper d'économie durable et écologique ? Naïveté (ou imposture) criminelle (et suicidaire) des sociaux-démocrates de droite.
Nous, le peuple de gauche, démocrate et " social ", c'est-à-dire favorable à redistribution des richesses communes captées par une minorité d'oligarques (à peine quelques pour cent de la population) au détriment de l'immense majorité (de salariés pour l'essentiel), nous devons d'urgence organiser notre résistance : en réaffirmant collectivement notre existence dans des Etats généraux en rupture claire avec la politique prônée par Manuel Valls, nous devons en appeler à l'unité de toutes nos organisations : pas seulement nationales mais aussi locales, mouvementistes, syndicales, coopératives, groupes de discussion informels comme il en existe ici et là partout dans les villes et les villages (oui, il existe une vie en-dehors du désert parisien asséché par la conquête des places et du pouvoir).
Le but des Etats généraux de la (vraie) Gauche serait la mise en place d'un comité de liaison national de la Gauche sur la base de l'adhésion à un texte amendé et discuté, et finalement adopté en séance plénière.
Cette plateforme de fondation du comité de liaison devrait être la plus courte, la plus directe et la plus lisible possible : une déclaration politique minimum de la " vraie " Gauche non sociale-libérale, anti-austéritaire, redistributive, écologiste, soucieuse du " commun " (
http://blogs.mediapart.fr/edition/camedia/article/180614/des-communs-se-mettent-table ;
http://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/040614/un-chemin-commun-pour-la-revolution-au-xxie-siecle) plutôt que du commerce (la compétitivité).
L'adhésion au comité de liaison national serait ouvert à tous sur la base de l'accord avec ce texte principiel. Il faut accepter les adhésions collectives et individuelles, en privilégiant les adhésions collectives de structures locales voire minuscules : en fédérant par le minuscule et le local collectif (quel que soit le type de regroupement), on doit pouvoir surmonter l'impasse du cartel d'organisations auquel se heurte le Front de Gauche, et en appeler aux électeurs du Parti socialiste comme à ceux de l'extrême-gauche, comme aux abstentionnistes, qui sentent tous qu'il est " urgent de faire quelque chose (mais on ne sait pas quoi) ", comme on l'entend dans toutes les conversations.
Un calendrier de rencontres sur des sujets plus spécifiques et prêtant à désaccords et débats serait défini. Il y a de faux débats techniques qu'il faut nécessairement remettre à plus tard, dans des rencontres prévues à cet effet, comme celui de la sortie de l'euro et de l'europe. En revanche je crois qu'un accord très large peut se faire à propos du refus du Traité transatlantique (
http://blogs.mediapart.fr/blog/attac-france/190614/marche-transatlantique-face-aux-contradictions-du-gouvernement-nos-exigences).
Mais ça ne suffit pas, c'est trop pointu comme message pour le citoyen peu informé, il faut axer principiellement sur la redistribution de la richesse, la solidarité, l'écologie, la coopérative, l'association, la démocratie locale.
Et inviter le mouvement social en cours, les intermittents, les cheminots, les Fralib, les associations actives à Notre-Dame des Landes etc.
Il existe des médias susceptibles de couvrir un tel évènement sur le fond : Mediapart bien sûr, mais aussi L'Humanité, Regards, Politis, etc. et la palette large des sites et publications qui existent sur le net.
Il faudrait créer une affiche nationale pour informer partout de l'évènement prime, et inviter partout à se réunir pour rédiger des propositions de plateforme commune.
Le comité de liaison serait une sorte de conseil national ou d'assemblée permanente, dans lequel chaque organisation adhérante enverrait au moins deux représentants : un homme et une femme ; il se réunirait par exemple tous les mois par département, tous les trois mois nationalement à l'occasion d'une manifestation ou d'un meeting national. Un site serait créé avec plateforme permanente de délibérations sur une série de sujets, des textes signés par leurs auteurs, des discussions ouvertes sur l'actualité. Un média comme Mediapart pourrait relayer des synthèses ponctuelles en lien ou non avec l'actualité.
Le comité de liaison de la Gauche pourrait aussi : Organiser des cahiers de propositions citoyennes sur l'ensemble du territoire pour refonder la République. Relayer des initiatives locales de " transition énergétique " et de solidarité. Organiser des primaires pour un candidat unique de la (vraie) gauche à la présidentielle (mais cet objectif est secondaire). La liste n'est pas close.
L'urgence morale : halte au défaitisme qui règne partout dans ce qu'on appelait autrefois le " peuple de gauche " (le même qu'en Italie il y a quelques années). Le peuple de gauche n'a pourtant disparu ni en Italie ni en France, il ne vote plus parce qu'il est écoeuré comme je le suis, comme vous l'êtes, Cessons de nous dénigrer entre nous et de porter des jugements définitifs les uns sur les autres. On ne peut discuter sans qu'aussitôt cela tourne au règlement de comptes fratricide. Un vrai suicide de baleines : les égos comme des baleines : à dégonfler, on ne détient chacun qu'une partie de la vérité! Tournons le dos à ces attitudes mentales agressives, autistes.
La question qui fait impasse à gauche est simple, double plutôt : quel objectif de pouvoir/quelle organisation et corollairement, quel type de médiatisation/participation citoyenne? (cette question de l'organisation nécessairement corellée à celle de l'objectif : quel pouvoir?, c'est l'objet de mon article à venir : " Désirer la guerre ", et c'est une longue tâche)
Commençons donc par nous redéfinir collectivement contre la néolibéralisme vallsiste, avec des mots simples, directs.
Et tenons ferme cette corde d'unité que le néo-socialiste nous tend à son corps défendant pour le réfuter. Nous devons nous remettre ensemble à discuter, partout, de la gauche du Parti socialiste à l'extrême-gauche : ce sera déjà commencer à faire trembler les murs des pouvoirs sclérosés, entre nous, et dans la (V
ème) République. Le reste suivra.
Pascale Fautrier
